Le gouvernement conservateur du Canada endosse un général prônant une intervention agressive en Afghanistan

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Le gouvernement conservateur canadien a démenti un reportage de CTV diffusé au début du mois d’octobre laissant entendre qu’il envisageait ne pas renouveler le contrat du chef d’état-major des Forces armées canadiennes, Rick Hillier, qui arrive à échéance en février 2009. Connu pour être proche du corps officier et des forces de sécurité, le gouvernement a rapidement levé toute ambiguïté sur l’avenir du général Hillier. Le premier ministre Stephen Harper l’a qualifié de « soldat remarquable » et son ministre de la Défense, Peter McKay, a précisé que le « premier ministre est très satisfait » de Hillier.

Les milieux militaires ont exprimé leur indignation devant l’annonce d’un possible condégiement du général en temps de guerre, ce qui serait selon eux un acte proche de la trahison. « S’ils devaient le retirer à cette étape en ne renouvelant pas son contrat en février, ce serait une grosse gifle », a dit Scott Taylor, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire militaire Esprit de corps.

Hillier qui fut nommé à son poste par le gouvernement libéral de Paul Martin a joué, de mémoire d’homme, un rôle politique comme aucun autre chef de l’état-major avant lui. Alors que l’élite canadienne a, durant la Guerre froide, mené ses interventions militaires à l’étranger en se donnant une image de « gardien de la paix »,  le général est applaudi par ses supporteurs pour être intervenu dans le débat politique afin de raviver les traditions militaristes du Canada et préconiser un rôle agressif pour l’armée.

Hillier s’est fait le porte-parole des sections de plus en plus dominantes de l’élite canadienne qui ne voulaient pas que le Canada se limite « à diriger la circulation à Kaboul ». Il est crédité pour avoir convaincu Paul Martin, alors premier ministre libéral, de modifier le rôle de l’armée canadienne en Afghanistan afin de prendre part aux combats à Kandahar dans le cadre d’une opération de contre-insurrection menée sous l’égide de l’OTAN.

Le Canada fait partie de la « coalition de volontaires » menée par les forces américaines qui ont envahi l’Afghanistan en 2001. Cette opération militaire, quoique lancée au nom de la « guerre contre le terrorisme », a pour but véritable le contrôle de l’Asie centrale, région cruciale de par sa position géostratégique et les réserves importantes de gaz et de pétrole dont elle dispose. Depuis 2005, l’armée canadienne est au front dans la province de Kandahar au sud de l’Afghanistan, connue pour être le fief des talibans. Sur les 2500 soldats canadiens déployés en Afghanistan, il y a déjà eu 71 morts et environ 500 blessés. Cette mission est la plus importante dans laquelle le Canada a participé depuis la guerre de Corée il y a plus de cinquante ans.

Hillier a aussi joué le rôle dirigeant dans la création d’une équipe de Canadiens, la plupart étant des officiers de l’armée canadienne, conseillant le président fantoche de l’Afghanistan, Hamid Karzaï, avec la liberté d’intervenir dans tous les ministères. Avec un rôle clairement politique, cette équipe d’une vingtaine de membres est directement sous les ordres du général canadien. L’Equipe consultative stratégique, comme on la nomme, coordonne les affaires de la plus haute importance pour les nations impérialistes qui soutiennent le gouvernement Karzaï (voir Les « ministres canadiens » du gouvernement afghan d’Hamid Karzaï).

Le gouvernement Harper défend si vigoureusement Hillier parce qu’il cherche à implanter le tournant militariste dont ce dernier est devenu le symbole. Dans les derniers jours de la dernière campagne électorale en 2006, Harper avait déclaré qu’il développerait les Forces armées canadiennes (FAC) jusqu’à ce que les grandes puissances en prennent note. Une question centrale de la politique de son gouvernement a été de réhabiliter l’idée que les FAC sont un instrument de guerre et que ce rôle est une composante essentielle de la position géopolitique du Canada.

Peu après son élection, devant une foule de quelques centaines de supporteurs de l’armée rassemblée devant les édifices du Parlement canadien, Harper avait repris une citation controversée d’Hillier, déclarant que c’était le soldat qui était la source des libertés canadiennes. Au contraire, les droits démocratiques ont historiquement été arrachés par les classes populaires dans une lutte pour limiter les droits des puissants et des bien nantis. Et le plus souvent, c’est lorsque les soldats envoyés pour réprimer la population se sont plutôt rangés de ses côtés que les grands gains démocratiques ont été conquis.

Plus récemment en Chambre des communes, Harper avait violemment attaqué Stéphane Dion, le chef de l’opposition officielle, parce qu’il tentait d’utiliser le fait que l’armée canadienne était complice de la torture des prisonniers afghans pour se faire un peu de capital politique. Harper avait répliqué avec mépris à Dion qu’il n’avait pas à lui répondre parce qu’il n’était pas membre de l’armée. Selon les principes de la démocratie bourgeoise, l’armée est soumise au pouvoir civil et toutes les questions politiques et militaires sont discutables au Parlement, encore plus par le chef de l’opposition officielle.

Le reportage qui a fourni aux conservateurs l’occasion de réaffirmer leur soutien plein et entier à Hillier citait des sources au sein du parti conservateur selon qui Hillier aurait irrité le gouvernement parce qu’il avait pris « plus de place dans les médias que ses maîtres politiques » et « miné l’ancien ministre de la Défense ». Gordon O’Connor, un brigadier-général de l’armée canadienne à la retraite et devenu lobbyiste pour l’industrie de l’armement, a perdu son poste de ministre de la Défense lors du dernier remaniement ministériel en août 2007. Il avait été critiqué pour la façon dont il avait géré la question des prisonniers afghans faits par l’armée canadienne qui avaient été torturés par les forces de sécurité afghanes auxquelles ils avaient été remis. Hillier faisait partie de ceux qui ont demandé que O’Connor soit sacrifié afin de ne pas rendre la mission afghane encore plus impopulaire aux yeux d’une population canadienne largement opposée à la guerre en Afghanistan.

Le fait que Hillier ait prévalu dans cette querelle interne sur la meilleure façon pour l’élite de « vendre » aux Canadiens une guerre dont ils ne veulent pas, et l’endossement qu’il a obtenu du gouvernement conservateur, indiquent un profond changement dans les rapports entre l’armée et le pouvoir politique où l’armée a une influence grandissante dans les questions de la politique étrangère et de façon générale dans les affaires politiques canadiennes.Copyright

WSWS, 20 octobre 2007.

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Articles Par : Guy Charron

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