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Le gouvernement équatorien accorde une base au Pentagone aux Galapagos
Par Bill Van Auken
Mondialisation.ca, 19 juin 2019
wsws.org 18 juin 2019
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Le gouvernement équatorien du président Lénine Moreno a conclu un accord avec le Pentagone autorisant l’armée américaine à utiliser l’île de San Cristobal, une île des Galapagos, comme base militaire.
Rendu public la semaine dernière, l’accord a provoqué l’indignation populaire en Équateur, où il est à juste titre répugné comme une violation grotesque de la souveraineté et de la constitution du pays, ainsi qu’une menace pour l’un des sites les plus précieux et les plus sensibles de la planète du point de vue écologique.

San Cristobal, où l’armée américaine doit être basée, est l’île où Charles Darwin a débarqué pour la première fois à terre du HMS Beagle en 1835. Située au confluent de trois courants océaniques, site d’une activité sismique et volcanique continue et extrêmement isolée – à 620 kilomètres au large des côtes de l’Équateur – l’île a donné naissance à des formes uniques de vie animale. Ceux-ci incluent l’iguane terrestre, la tortue géante et les nombreux types de pinsons, qui ont inspiré la théorie de l’évolution de Darwin sur la sélection naturelle.

Désignée par l’UNESCO comme site du patrimoine mondial et une réserve de la biosphère, l’île va désormais devenir une rampe de lancement pour les opérations prédatrices et meurtrières du militarisme américain en Amérique latine. La base constituera une menace directe pour la vie et la liberté des habitants de la région, ainsi que pour l’intégrité environnementale de l’une des zones de biodiversité les plus précieuses de la planète.

Rien ne pourrait exprimer plus clairement la soumission servile à l’impérialisme et à la criminalité pure et simple des classes dirigeantes capitalistes d’Amérique latine.

Vantant l’accord avec le Pentagone, le ministre de la défense de l’Équateur, le général à la retraite Oswaldo Jarrín, a déclaré: « les Galapagos sont pour l’Equateur notre porte-avions, c’est notre porte-avions naturel, car elles assurent la permanence, le réapprovisionnement, les installations d’interception et elles sont à 1000 kilomètres de nos côtes.»

Une otarie à l’île San Cristóbal aux Galapagos

Depuis 2008, la constitution de l’Équateur proclame le pays «territoire de paix» et que «l’établissement de bases militaires étrangères ou d’installations étrangères à des fins militaires est interdit». Un an plus tard, le pays a expulsé le personnel militaire américain de sa base aérienne à Manta, sur la côte du Pacifique, à partir de laquelle il avait effectué des vols de surveillance sous prétexte de lutter contre le trafic de drogue.

Le ministre de la défense de l’Équateur a salué les prouesses du Pentagone, déclarant que «ce que la base [Manta] a fait à son époque peut être réalisé à présent par un seul avion, grâce à la technologie de pointe qui n’est possible d’acquérir que si vous avez la puissance d’un pays comme les États-Unis.»

L’avion auquel il fait référence est un Boeing 707, Système aéroporté d’alerte et de contrôle (AWACS), avec une autonomie de plus de 4500 milles marins. Volant à 30.000 pieds, il est capable de surveiller une zone couvrant 120.000 milles carrés. À partir de sa base aux Galapagos, cet avion puissant sera capable de préparer une invasion du Venezuela, d’espionner le peuple équatorien ou même de suivre le flux de migrants en provenance d’Amérique centrale vers le nord. Il sera accompagné d’un avion Lockheed Orion P3, un avion développé pendant la guerre froide pour pister les sous-marins nucléaires soviétiques.

La base américaine a une immense importance géostratégique. Washington avait cherché à y établir des bases depuis 1911, trois ans avant l’achèvement du canal de Panama. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, l’armée américaine a établi une base à Baltra, une petite île de l’archipel des Galapagos, où elle a déployé 2500 soldats ainsi que des avions de combat et des moyens navals afin de protéger l’accès au canal depuis le Pacifique par le Japon et l’Allemagne.

Aujourd’hui, le Pentagone installe des avions espions militaires américains dans le Pacifique Est dans le contexte d’une guerre commerciale grandissante et d’une montée en puissance militaire visant à empêcher la Chine de devenir un concurrent économique et géostratégique.

L’Équateur est un champ de bataille important dans l’intensification du conflit entre «grandes puissances», où Washington pointe du doigt l’investissement chinois et sa dette de 6 milliards de dollars auprès de la Chine comme étant symptomatique de l’ingérence intolérable de Pékin dans «l’arrière-cour» de l’impérialisme Yankee.

Le gouvernement du président Moreno a fait tout son possible pour se soumettre aux exigences de Washington. Les termes des accords conclus dans ce sens – signés, scellés et livrés lors d’une visite à Quito par le vice-président américain Mike Pence il y a un an – sont devenus clairs.

Avant tout, le gouvernement Moreno a ouvert les portes de son ambassade à Londres en avril dernier, invitant un détachement de la police britannique à extraire Julian Assange manu militari du bâtiment diplomatique où il avait obtenu l’asile politique en 2012.

Moreno et ses acolytes ont affirmé que les Britanniques avaient offert des garanties que le cofondateur de WikiLeaks ne serait pas extradé vers un pays où il risquerait la torture, la peine de mort ou la prison à vie. Suite à leur trahison, il est actuellement incarcéré à la prison à sécurité maximale de Belmarsh, au Royaume-Uni, dans des conditions équivalant à de la torture. Le ministre britannique de l’yntérieur a signé une demande d’extradition des États-Unis, où le journaliste fait l’objet de 18 chefs d’accusation, dont ceux d’espionnage – passible de la peine de mort – pour avoir révélé les crimes de guerre et les complots criminels de l’impérialisme américain.

Pendant ce temps, Ola Bini, informaticien suédois et ami d’Assange résidant en Équateur, est emprisonné sans être inculpé depuis deux mois. Les autorités équatoriennes ont indiqué qu’elles allaient le livrer à des interrogateurs américains.

La violation du droit d’asile, des principes démocratiques et du droit international dans l’affaire Assange s’est accompagnée d’un réalignement radical de la politique étrangère de Quito sur celle de l’impérialisme américain, Moreno devenant l’un des partisans les plus enthousiastes de l’opération de changement de régime menée par Washington au Venezuela. .

Chez lui, le gouvernement Moreno a lancé une attaque sans relâche contre les emplois et le niveau de vie des travailleurs équatoriens, en appliquant fidèlement les mesures d’austérité exigées dans le cadre de l’accord passé avec le FMI.

Ces attaques et la trahison perpétrée contre Assange ont provoqué des manifestations qui ont été l’objet de la répression policière.

La ruée vers la droite du gouvernement Moreno en Équateur fait partie du destin plus large de la prétendue «marée rose», c’est-à-dire du règne de divers partis bourgeois populistes et nationalistes en Amérique latine. Cela a entraîné l’éviction du Parti des travailleurs et l’arrivée au pouvoir du président fascisant Jair Bolsonaro au Brésil, le remplacement de la dynastie péroniste Kirchner par le multimillionnaire de droite Mauricio Macri en Argentine en 2015, la crise intense du gouvernement du président Nicolas Maduro au Venezuela ainsi que celui de Daniel Ortega au Nicaragua.

Ce virage à droite en Amérique latine a été préparé par les gouvernements associés au soi-disant «virage à gauche» au cours des deux décennies précédentes. Tout en employant une rhétorique nationaliste et «socialiste» – et sans cesse promus par la pseudo-gauche en Amérique latine, ainsi qu’aux États-Unis et en Europe – ils restèrent des gouvernements contrôlés par la bourgeoisie, engagés dans la défense de la propriété privée et les intérêts du capital tant étranger que local.

Avec l’effondrement du boom des marchés émergeant et des matières premières qui leur avait permis d’adopter une posture plus indépendante vis-à-vis de Washington tout en mettant en place de modestes programmes d’assistance sociale chez eux, ils y ont réagi en intensifiant les attaques contre la classe ouvrière. Le résultat final a été une hostilité croissante populaire à l’égard de ces gouvernements qui, en l’absence d’un mouvement socialiste de masse indépendant au sein de la classe ouvrière, ont ouvert la voie au retour de la droite.

En Équateur, ce processus politique est personnifié par le président actuel. Lénine Moreno est entrée en politique faisant partie d’une génération d’étudiants radicalisés qui ont protesté contre la domination de l’impérialisme américain en Amérique latine et contre les dictatures fascistes et militaires qu’elle a engendrées. Il a commencé sa carrière en tant que membre du MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire), qui reproduisait les politiques nationalistes et guérilleros petit-bourgeois du castrisme et du guévarisme.

Comme beaucoup de ceux qui ont participé dans leur jeunesse à ces mouvements nationalistes radicaux petits-bourgeois, dont l’ancienne présidente brésilienne Dilma Rousseff, Moreno a depuis longtemps renoncé à son radicalisme juvénile, devenant un impitoyable homme de main politique de l’impérialisme et de l’oligarchie au pouvoir en Équateur.

En tant qu’ancien vice-président, Moreno était le successeur trié sur le volet du président Rafael Correa, un partisan autoproclamé de la révolution bolivarienne. Alors que Moreno s’est violemment retourné contre son ancien partenaire politique et a mis en œuvre les politiques qui ont brusquement déplacé l’Équateur vers la droite, ce processus avait déjà commencé sous Correa.

Il convient de rappeler que c’est Correa qui a ordonné la coupure de la connexion Internet de Julian Assange à l’ambassade d’Équateur en 2016 sous la pression de Washington après la publication par WikiLeaks de fuites de courriels issus du Comité national démocrate. Deux ans plus tôt, il avait transféré plus de la moitié des réserves d’or de l’Équateur à Goldman Sachs afin de gagner la confiance des marchés financiers capitalistes.

L’octroi d’une base à l’impérialisme américain aux Galapagos est une rude confirmation supplémentaire que la défense des droits démocratiques, l’élimination de la pauvreté et des inégalités généralisées de la région et le renversement de la domination impérialiste ne peuvent être atteints que par la mobilisation politique de la classe ouvrière, indépendante de tous les partis bourgeois – y compris le PT au Brésil, le chavismo au Venezuela, le péronisme en Argentine et des mouvements similaires – fondée sur un programme socialiste et l’unification des luttes des travailleurs d’Amérique latine avec celles des travailleurs des États-Unis, Europe et à travers le monde.

Bill Van Auken

 

Article paru en anglais, WSWS, le 18 juin 2019

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