Le gouvernement espagnol passe du déni judiciaire à la répression policière…

La Catalogne endure la répression pour différer la confrontation

Réveillé en tombant du divan, le gouvernement espagnol passe du déni judiciaire à la répression policière… pour commencer.

Le 5 septembre il a subitement annulé, en Catalogne, les congés de mutation de la Garde Civile (gendarmerie), dont les mutés de l’année sont habituellement libérés de leur ancienne affectation le 11 septembre et attendus dans leur nouvelle le 11 octobre. Pour s’éviter un sous-effectif temporaire de deux cents agents le gouvernement a ainsi mis en difficulté soudaine deux cents familles, dont la plupart avaient déjà quitté leur logement fin août laissant le mari (généralement) en « célibataire géographique » pour une semaine… qui va donc se poursuivre plus d’un mois, à leurs frais puisque la direction de la Garde Civile a, de plus, précisé que ce serait sans indemnités. Au-delà du déménagement, c’est la rentrée scolaire de ces familles dans leur nouvelle garnison qui est perturbée. Il n’y a pas de syndicats dans ce corps mais une grogne massive a enflammé les réseaux sociaux. La date du 1er octobre étant connue depuis le 9 juin, cette improvisation sans préavis est significative de la dangereuse indécision gouvernementale.

A partir du 6 septembre la Garde Civile, sur ordre du parquet, a démarré une campagne de perquisitions dans les imprimeries. Au début le principal résultat a été la frustration des imprimeurs, puis au bout d’une semaine, enhardie par la passivité de la police catalane, elle a trouvé et confisqué un million et demi de prospectus et d’affiches en faveur du referendum, mais toujours pas les bulletins de vote (ni les urnes), dont la saisie serait plus importante. Elle perquisitionne aussi les bureaux de poste. L’Etat espagnol a aussi fait fermer le site internet du referendum, immédiatement remplacé par des sites-miroirs préparés à l’avance selon les conseils de Julian Assange, qui annonce sans ambages que le 2 octobre il y aura en Europe ou un nouvel Etat ou une guerre civile. Le gouvernement a aussi fait admonester les maires de Catalogne par le tribunal constitutionnel, en les avertissant que collaborer à l’organisation du referendum serait commettre un délit, ce qui n’a pas empêché de l’ordre de 700 municipalités sur 950 de s’engager auprès du gouvernement catalan à organiser localement le scrutin. Le gouvernement espagnol a alors fait convoquer ces maires devant le parquet (pour cette semaine) pour mise en examen, une minorité d’extrême-gauche déclare qu’elle ne se rendra pas aux convocations mais la très grande majorité obéit à la directive du gouvernement catalan de s’y présenter. Un groupe de députés européens (en majorité non catalans) a sonné l’alarme au sein du parlement européen et a présenté le cas à la commission européenne, essentiellement au motif d’une répression de masse envers des centaines d’élus d’un pays membre, et accessoirement au cas où un maire catalan également député européen (sauf erreur il n’y en a qu’un) serait inculpé ou arrêté sans avoir préalablement fait l’objet d’une demande de levée d’immunité auprès du parlement européen. Samedi 16 septembre, 700 maires catalans, soutenus par leurs électeurs, ont manifesté dans la rue contre la répression.

Dans les jours qui viennent on connaîtra les intentions du parquet, vraisemblablement tenter d’intimider les maires reçus un par un, puisqu’en cas d’arrestation de quelques-uns les suivants ne se présenteraient pas… et l’insurrection serait garantie. Depuis le 20 juillet il est clairement établi que la Garde Civile, et donc à plus forte raison la police nationale, ne peut pas entrer dans les enceintes du gouvernement et du parlement catalans (pourtant alors non protégés) sans invitation, en armes ou à visage masqué. Une protection de ces emprises a certainement été mise en place depuis lors, aussi seule une opération de type militaire pourrait permettre d’en prendre le contrôle. Mais il est vraisemblable aussi que dans les jours précédant le referendum une protection des mairies, sinon de tous les bureaux de vote, sera mise en place par la police catalane, et peut-être par la police barcelonaise dans la capitale si le maire de Barcelone ne retourne pas casaque une fois de plus.

Le 8 septembre le parquet a requis la police catalane, ainsi que la Garde Civile et la police nationale, de tout mettre en oeuvre pour empêcher la préparation du referendum, en particulier de rapporter toute activité suspecte et d’en identifier les auteurs, de confisquer tout matériel relatif au referendum, et en cas de besoin de contacter directement le parquet (pour un ordre de perquisition ou autre). A la grande surprise de beaucoup de Catalans qui s’attendaient à un refus d’obtempérer de la part du ministre de l’intérieur catalan ou du commandant de la police catalane, ce dernier a immédiatement pris acte de cette réquisition, ordonné la diffusion et l’affichage de la demande du parquet dans tous les locaux de la police catalane… et chargé un service spécifique de suivre cette affaire. Ainsi, à première vue et sur le papier (on ignore les consignes orales), la police catalane collabore à l’interdiction du referendum. A y regarder de plus près cependant, le commandement de la police a certes informé tous les agents de cette demande mais leur a interdit de communiquer avec le parquet. Par ce « communiqué interne », il est demandé la diffusion de la requête du parquet afin que tous les agents en « aient connaissance », c’est-à-dire à titre d’information. Pour une bonne coordination et « afin d’éviter toute redondance dans les commuincations avec le parquet », toute information relative à cette affaire doit être communiquée au Commissariat Général d’Information. Ni celui-ci, ni les unités territoriales de base ne sont particulièrement enjoints à la moindre diligence, du moins dans cette note. Moyennant quoi, la prétention d’obéissance est sauve et ni le commandant de la police ni le ministre de l’intérieur ne sont sujets à inhabilitation, mais au contraire réaffirment leur autorité directe sur la police catalane.

Ainsi le gouvernement catalan diffère la confrontation inévitable, jusqu’au moment où il devra activement utiliser la police pour, par exemple, sécuriser des locaux ou protéger des personnes face à la Garde Civile. On peut cependant supposer que les points sensibles critiques, par exemple les entreprises chargées d’imprimer les bulletins de vote ou le quai où ils seront débarqués s’ils ont été commandés à l’étranger, seront mis sous protection lorsque ce sera nécessaire. Le gouvernement catalan, lui, n’improvise pas.

Pendant ce temps le gouvernement espagnol renforce ses forces de police en Catalogne. Il annonce pouvoir envoyer sous vingt-quatre heures 4000 agents de plus de la Garde Civile et de la police nationale, venant en l’occurrence de l’Unité d’Intervention Policière (2600 hommes dont 400 en Catalogne) et des Groupes de Réserve et Sécurité de la Garde Civile (1600 hommes dont 200 basés en Catalogne), pour assurer la sécurité des édifices et organismes de l’Etat central en Catalogne, notamment la Délégation du Gouvernement (préfecture), la Banque d’Espagne et la Direction des Impôts ; on parle aussi de devoir protéger les partis politiques unitaristes et les domiciles de leurs dirigeants. Si l’effectif des renforts disponibles est vraiment de 4000, donc supérieur à l’estimation de 2500 donnée par Stratediplo dans la Neuvième Frontière, cela signifie que, tout en niant tout caractère de gravité à la situation, le gouvernement espagnol s’apprête à envoyer l’ensemble de ces unités, donc les huit de la Garde Civile et les onze de la police nationale, dégarnissant donc temporairement toute l’Espagne, îles et enclaves comprises. En ce qui concerne la Garde Civile les renforts ont commencé à arriver et se déployer le 9 septembre, en prévision de la Diada catalane du 11. Se félicitant d’avoir gardé sous le coude la commande de 1000 armes d’épaule pour la police catalane, dont une policière a récemment abattu cinq mahométans en mouvement (automobile) de seulement cinq tirs de pistolet, le gouvernement assure ne craindre que des attaques de bâtiments publics par des groupes de radicaux pendant ou après le referendum. Il vient cependant de transférer d’urgence à la police nationale des véhicules blindés de l’armée, des BMR-600 (blindados medios de rueda), qui sont des véhicules blindés à roues comparables aux VAB français. Dépourvus de leur mitrailleuse, ces blindés légers ont été rematriculés en immatriculation civile, repeints en bleu et ont reçu le sigle et l’écu UIP devant et sur les côtés. Le ministère de l’Intérieur espagnol refuse de préciser combien de véhicules sont concernés par ce transfert.

En parlant de véhicules, le ministère de la Défense continue d’acheminer à Saint-Clément Sescebes des véhicules de combat d’infanterie modernes Pizarro (encore un convoi en cette mi-septembre), dans le cadre de la conversion programmée du 62° régiment d’infanterie de montagne en infanterie mécanisée, comme s’il n’avait aucun doute quant à l’appartenance durable de l’extrême nord-est de la Catalogne à l’Espagne. Tant à l’état-major de l’armée de terre qu’au régiment on assure qu’il n’a été préparé aucun plan de repli, ni d’intervention d’ailleurs, hormis le possible déploiement de soldats rassurants dans les rues en cas de passage au niveau 5 d’alerte terroriste. Eventée ou inventée il y a quelques années et nommée en référence au drapeau sécessionniste étoilé l’Estelada mais sans rapport avec l’action antinarcotique du même nom, l’Opération Estela (étoile) n’existe pas.

Sur le plan judiciaire le Tribunal Supérieur de Catalogne (justice espagnole déconcentrée) a reçu les dénonciations présentées par le parquet contre le président, le vice-président et les douze ministres catalans pour la signature du décret de convocation du referendum, constitutive des délits de « désobéissance, prévarication et malversation de fonds publics ». Les mêmes accusations sont portées contre la présidente du parlement catalan et les quatre membres du bureau, pour ne pas s’être opposés au vote des lois de déconnexion, la loi d’organisation du referendum et la loi de transition juridique et fondation de la république. La procureur les accuse aussi de fomenter une « infraction ouverte et délibérée » à l’ordre constitutionnel, mais fidèle à l’incohérence du gouvernement espagnol elle se garde de les accuser formellement de sédition, dont la définition dans le code pénal correspond pourtant parfaitement (rébellion impliquerait une action armée). Il est demandé des cautions et saisies de patrimoine des inculpés, comme si cela pouvait les inciter à renoncer au referendum plutôt que, au contraire, quitter rapidement la juridiction espagnole. Il est vrai que les fissures politiques au sein du parlement espagnol invitent le gouvernement à la modération face au processus de sécession. Une fois de plus il se retrouve dans cette position de ne pas poursuivre les intentions déclarées mais seulement les actes consommés, c’est-à-dire de s’interdire toute action préventive, ce qui le mettra à la fin devant l’alternative entre l’acceptation de la sécession et l’action militaire.

Vendredi 15 septembre le gouvernement espagnol au complet (conseil des ministres) a décidé qu’à partir de demain 20 septembre toutes les dépenses du gouvernement catalan, du moindre fournisseur aux fonctionnaires en passant par les factures d’électricité, seraient réglées directement (et discrétionnairement) par les trésoriers-payeurs de l’Etat central, qui cesse de virer mensuellement le budget correspondant sur les comptes du gouvernement catalan, et fait bloquer ces comptes par les banques. Cette confiscation de prérogatives contrevient aux statuts approuvés du gouvernement catalan (la Généralité) mais aussi à la constitution espagnole, en particulier les articles 137 et suivants, 153 sur les moyens de contrôle et 156 sur l’autonomie financière. Hier 18 septembre le gouvernement catalan a déposé un recours en contentieux administratif devant le Tribunal Supérieur, au motif d’anticonstitutionnalité. Pour sa part le président catalan défie le premier ministre espagnol à venir expliquer cette mesure d’exception devant le parlement espagnol, seul compétent à autoriser le gouvernement à mettre en oeuvre l’article 155 de la constitution qui d’ailleurs ne permet pas de supprimer l’autonomie mais de soumettre ses autorités à injonctions directes (ordres de faire ou de ne pas faire) du gouvernement central. Car effectivement, au-delà d’une mesure de brimade envers le gouvernement catalan, à l’efficacité d’ailleurs douteuse puisque la préparation du referendum est déjà payée en dépit des contrôles hebdomadaires des dépenses illégalement institués en juillet, il s’agit aussi d’une mesure de contournement de l’autorité du parlement espagnol, déjà divisé quant à l’opportunité d’accorder au gouvernement la mise en oeuvre de l’article 155… s’il la demande, ce dont il semble avoir décidé de se passer, comme on l’avait deviné lorsqu’il en a volontairement laissé passer les délais. Le ministre espagnol de l’Economie a même évoqué le blocage sans jugement des cartes bancaires personnelles des élus et fonctionnaires du gouvernement catalan, dont on saura très prochainement s’il a réussi à l’imposer aux banques, qui comme dans tous les « Etats de droit » de l’Union Européenne n’ont aucun état d’âme à procéder à de tels « gels » (confiscations illégales et anticonstitutionnelles) quand ils visent des entreprises ou personnes physiques russes. Sans préjudice de l’effet à court terme sur les fonctionnaires catalans soudain privés de salaire, tout cela ne peut qu’encourager le peuple catalan à verser ses impôts au gouvernement régional plutôt qu’à un Etat central qui en prélève la moitié puis promet d’en reverser le reste au gouvernement régional mois par mois… sauf cas de gel anticonstitutionnel soudain.

Les quatorze barreaux d’avocats catalans s’organisent pour renforcer leurs permanences du 1er octobre en cas d’arrestations massives. Au-delà de la proclamation des résultats du referendum il n’y aura pas d’arrestations, puisqu’en cas de victoire de l’indépendantisme le parlement catalan proclamera la sécession et l’entrée en vigueur de la loi de transition juridique et fondation de la république et il n’y a désormais aucun doute que la police catalane protègera alors les maires et les citoyens catalans, tandis qu’en cas de défaite de l’indépendantisme le gouvernement et le parlement catalan démissionneront et le gouvernement espagnol n’aura alors plus de raison d’arrêter des citoyens dans la rue. C’est la veille du referendum, par des arrestations de centaines de maires aux fins de dissuasion des votants, ou le jour même par un déploiement policier d’envergure prétendant interdire l’accès aux bureaux de vote, que la violence risque d’éclater. En effet jusqu’à la proclamation de la sécession par le parlement, le gouvernement catalan jouera le formalisme (on ne saurait écrire légalisme) et ne donnera pas à sa police l’ordre de s’opposer par la force aux unités de la Garde Civile et de la police nationale. C’est dans ces moments-là que pourraient se produire des incidents violents.

A l’extérieur, en plus du gouvernement hongrois dont le porte-parole Zoltán Kovács vient d’annoncer que la Hongrie « respecterait le désir des gens », plusieurs groupes parlementaires d’Europe expriment leur préoccupation devant la répression espagnole en Catalogne, soit auprès de leur propre gouvernement ou du gouvernement espagnol, soit auprès de la Commission et du Parlement européens. C’est notamment le cas dans les pays de taille moyenne comme la Catalogne ou plus petits, correspondant à un seul peuple non soumis à un Etat-nation. La présidente du parlement catalan profite du nouveau procès ouvert contre elle pour exiger que le Tribunal Supérieur consulte la Cour de Justice de l’Union Européenne sur les questions d’inviolabilité parlementaire, de liberté d’expression (des citoyens et donc des élus) mais aussi de droit d’autodétermination (des peuples), pour épuiser vraiment toutes les voies possibles afin d’être en droit de recourir, par-delà l’Espagne et l’Union Européenne, à la Cour Européenne des Droits de l’Homme (niveau Conseil de l’Europe), dont les juges ont déjà eu l’occasion de se prononcer sur la dérive autoritariste de l’Espagne. Samedi 16 le président et le vice-président catalans, la présidente du parlement et, nouveauté, le maire de Barcelone, ont adressé au roi et au premier ministre une dernière demande d’autorisation du referendum. La démarche est sans espoir mais a un but de communication internationale, quelques jours après que le président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker ait laissé échapper qu’en cas de victoire du Oui au referendum la Commission « respectera ce choix » (14 septembre) et que la porte-parole du ministère des affaires étrangères états-unien Heather Nauert ait déclaré en conférence de presse que les Etats-Unis d’Amérique « travailleront avec quelque gouvernement ou entité qui en sorte » (13 septembre), comme on l’avait déduit et annoncé.

Le gouvernement espagnol prétendait jusqu’à présent s’en tenir à la constitution et à la loi, raison pour laquelle on ne prévoyait pas d’écarts anticonstitutionnels de sa part. Après des mois de déni de réalité et de cécité volontaire, et même après s’être acculé à n’avoir plus que le choix entre accepter la sécession et déployer l’armée, le gouvernement espagnol semblait vouloir respecter la constitution, dont l’article 116 donne exclusivement au parlement la compétence de déclarer l’état de siège prévu par la loi organique 4/1981 (Catalogne, vers l’état de siège?). Depuis ce vendredi 15, le gouvernement espagnol montre sa conception du respect de la constitution et du parlement.

Ces développements récents, et ceux qui suivront, ne surprendront pas les lecteurs de la Neuvième Frontière (disponible chez Lulu.com/fr et Amazon/fr), où Stratediplo expose la dynamique, les perspectives et les risques du processus de sécession en cours.

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Articles Par : Stratediplo

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