Le gouvernement français envisage une déchéance de nationalité comme sanction pour tous les citoyens

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Après l’annonce le mois dernier par le président François Hollande que la France pourrait priver les binationaux reconnus coupables de terrorisme ou de crimes contre l’État de la nationalité française, le gouvernement PS (Parti socialiste) envisage maintenant l’extension de cette sanction à tout ressortissant français.

Ce serait là une violation flagrante du droit international. L’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme spécifie que la nationalité est un droit fondamental de tout individu ; une convention de 1961 des Nations unies précise que les États membres ne peuvent priver personne de nationalité si cela fait d’un individu un apatride. En effet, Hollande avait dit en décembre que la mesure ne toucherait que les binationaux afin d’éviter de faire des apatrides.

Lundi néanmoins le ministre pour les Relations avec le parlement Jean-Marie Le Guen (PS) a annoncé que la privation de nationalité pour tous les ressortissants était « un élément qui est dans le débat. » Bruno Le Roux, le président du groupe PS à l’Assemblée nationale, sembla vouloir aller plus loin avec un appel ambigu à priver de la nationalité française « tous ceux qui tournent leurs armes contre l’Etat. »

Le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll a expliqué, « on va regarder les propositions et ce qui peut être mis sur la table. Le souci du président de la République et du gouvernement, c’est de rassembler une majorité large sur un enjeu qui est d’abord celui de la protection des Français et qui doit donc dépasser les clivages habituels »

Ce tournant encore plus marqué vers l’extrême droite fait partie d’une tentative d’avoir une majorité PS soudée pour appuyer les plans réactionnaires de Hollande. Initialement, des couches du PS s’étaient senties obligées de faire certaines critiques de la déchéance de nationalité ; c’est une mesure associée au Front national néo-fasciste (FN), au régime vichyste de collaboration avec les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale et à l’Holocauste. Le régime de Vichy a utilisé cette mesure infâme pour priver des milliers de Juifs français de leur citoyenneté et les déporter vers les camps de la mort nazis.

Sa dernière utilisation importante sous un régime parlementaire fut en février 1940 dans le climat réactionnaire des premiers mois de la Seconde Guerre mondiale, contre la gauche. À cette époque, les deux députés et dirigeants du Parti communiste français stalinien (PCF) Maurice Thorez et André Marty furent dénoncés comme instruments de l’URSS et privés de leur citoyenneté.

A présent, sous prétexte que le gouvernement ne discrimine plus les binationaux, de larges sections du PS commencent à soutenir l’initiative de Hollande. Le secrétaire national du PS Jean-Christophe Cambadélis, qui avait dit que la privation de nationalité pour les binationaux n’était pas « une mesure de gauche », a déclaré cette semaine que la mesure pouvait être envisagée si elle était ouverte « à l’ensemble des Français ».

La justification officielle qu’il s’agit d’une mesure visant les terroristes français liés à l’État islamique (EI), qui ont effectué les attaques de Charlie Hebdo et du 13 novembre dernier à Paris, est une fraude politique. La mesure ne fait rien pour aider à la surveillance ou à la prévention d’attaques terroristes. Elle ne servirait qu’à créer une couche d’individus privés de tous droits civils et forcés de vivre et de travailler illégalement en France.

Comme l’écrit le quotidien Libération, « Il n’est en effet possible de prendre un décret de déchéance qu’une fois la condamnation définitive prononcée et que le mis en cause a purgé sa peine. Ce qui représente, au bas mot, une quinzaine d’années de délai (pour des crimes relevant du terrorisme), qui aboutirait à une situation incongrue : rendu apatride, l’individu serait donc un sans-papiers en France, probablement condamné à rester dans cette situation. “Quel autre pays l’accepterait sur son territoire ?” interpelle ainsi [le professeur de droit à l’Université Lille, Jules] Lepoutre. »

De plus, il semble peu probable qu’un islamiste français auteur d’une attaque terroriste se voie privé de sa nationalité. Tous, de Mohamed Merah, le tireur de Toulouse en 2012, aux attaquants du13 novembre, en passant par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly qui ont perpétré les attaques contre Charlie Hebdo et l’Hyper-Cacher, ont soit été assassinés par des unités paramilitaires ou ont fui la France.

Cette loi rapproche bien plutôt la France d’une situation où la police pourra effectivement mettre hors-la-loi quiconque est reconnu coupable d’un délit relevant d’une gamme toujours plus étendue de délits liés au terrorisme ou à la violence contre la police ou d’autres représentants de l’État.

Divers politiciens du PS ou de partis proches continuent de proposer des alternatives à la privation de citoyenneté. Le chef du Parti Vert Jean-Vincent Placé propose une privation des droits civiques, mesure appliquée à la fin du 19e siècle aux ouvriers partisans de la Commune de Paris ayant survécu au massacre des Communards par le gouvernement versaillais en 1871.

Ce qui est toujours plus clair cependant, c’est que le PS se saisit des attaques terroristes du 13 novembre à Paris pour tenter de résoudre la crise politique profonde en France en créant un climat politique officiel très à droite et en s’alignant sur la politique du FN.

Dans la période précédant les attaques du 13 novembre, après l’effondrement de partis sociaux-démocrates comme le PASOK grec et le PSOE espagnol, la survie à long terme du PS se posait. Le premier ministre PS Manuel Valls avertissait de « la mort de la gauche. » La politique d’austérité et de guerre du PS donnait à Hollande les plus bas taux d’approbation de tout président français depuis la Seconde Guerre mondiale et la question se posait de la survie du PS jusqu’à l’élection présidentielle l’an prochain.

Pour le PS, les attaques du 13 novembre étaient une aubaine politique ; elles permirent à Hollande de se prononcer « chef de guerre » et d’essayer de donner un soutien plus large à son gouvernement sur la base de mesures de maintien de l’ordre.

Le débat sur la déchéance de nationalité révèle le contenu de classe de cette politique. Comme le montrent les remarques de Le Foll, le PS cherche à « dépasser » le clivage traditionnel entre gauche et droite, c’est-à-dire à surmonter les réticences de la bourgeoisie à recourir à des politiques trop visiblement liées à l’héritage du fascisme du 20e siècle.

Les groupes pro-capitalistes réactionnaires qui ont passé pour être la gauche durant les décennies depuis la grève générale de 1968 — les partis petits-bourgeois issus du mouvement étudiant et le PS lui-même — achèvent une dégénérescence historique. Ces forces représentaient, en dernière analyse, une alliance entre le capital financier et des sections de la classe moyenne aisée hostiles au marxisme. Durant les décennies où ils ont imposé des politiques réactionnaires, à commencer par la présidence PS de François Mitterrand en 1981, ils sont devenus une couche sociale totalement étrangère à la classe ouvrière.

Maintenant que la prospérité électorale du PS s’effondre, ils vont rapidement sur le terrain de l’extrême droite et préconisent un État opérant hors du droit et des formes autoritaires de gouvernement. Le PS a annoncé des plans pour un état d’urgence permanent qu’Hollande veut imposer en amendant la constitution. Mais en plus, dans la confusion causée par le débat au sein du PS et des médias sur la privation de citoyenneté, on prépare toute une suite d’attaques des droits démocratiques.

Le PS est en train de rédiger à la hâte une réforme du Code pénal visant à renforcer les pouvoirs de la police ostensiblement sous prétexte de lutte contre le terrorisme ou le crime organisé. Cette loi étendrait l’immunité de la police pour l’utilisation de la force létale lors de raids, élargirait ses pouvoirs dans la fouille de personnes et de biens sans autorisation judiciaire et permettrait aux autorités policières de détenir des individus et de les assigner un mois à résidence sans autorisation judiciaire.

La police et le ministère de l’Intérieur s’emparent d’énormes pouvoirs, contournant effectivement les tribunaux et le système judiciaire. Le Monde écrit que l’objectif de la loi « est clair : prolonger les mesures autorisées par l’état d’urgence en dehors de l’état d’urgence… Il met enfin en lumière une tendance de fond des gouvernements : marginaliser l’institution judiciaire, et d’abord les juges d’instruction statutairement indépendants [de l’exécutif], au profit des procureurs, nommés par le gouvernement. »

Alex Lantier

Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 6 janvier 2016



Articles Par : Alex Lantier

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