Le gouvernement libéral du Canada intensifie la censure d’Internet avec la création d’un fonds pour les nouveaux médias

Dans le but de renforcer le contrôle de l’État sur l’Internet et les contenus numériques, le gouvernement libéral du Canada a annoncé la création d’un fonds de plusieurs millions de dollars pour les médias qui sera distribué aux créateurs de «contenu fiable». Le fonds de 600 millions de dollars, qui sera lancé cet automne, sera distribué par un comité de huit membres nommés par le gouvernement.

Ce fonds, composé de crédits d’impôt et d’incitatifs qui seront distribués au cours des cinq prochaines années, a été annoncé pour la première fois en novembre dernier, sous prétexte de protéger «le rôle vital que jouent les médias indépendants dans notre démocratie et dans nos collectivités».

Derrière tous les discours bidon sur la défense des médias indépendants et du journalisme canadien, les nouvelles structures de financement visent explicitement à censurer l’Internet avant et après l’élection fédérale de cet automne. Ils s’inscrivent dans le cadre d’une attaque mondiale contre les droits démocratiques et la liberté d’expression menée par les élites dirigeantes de chaque pays, qui a trouvé son illustration la plus flagrante dans la persécution de l’éditeur et journaliste Julian Assange et de la courageuse lanceuse d’alerte Chelsea Manning.

Soulignant le caractère international des efforts de censure, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a accueilli la Conférence mondiale sur la liberté des médias au début du mois avec le ministre britannique des Affaires étrangères Jeremy Hunt, qui a promis à plusieurs reprises de rendre Assange au gouvernement Trump.

Faisant la promotion d’une réunion qui a eu lieu à un peu plus de 10 km de la cellule de la prison d’Assange, où il est détenu aux côtés de terroristes et de criminels pour le «crime» d’avoir dénoncé les conspirations mondiales de l’impérialisme américain et de ses alliés, le ministère des Affaires étrangères de Freeland a cherché à susciter un souci d’intégrité journalistique. «Le Canada et le Royaume-Uni travaillent ensemble pour défendre la liberté des médias et améliorer la sécurité des journalistes qui font des reportages dans le monde entier», déclare Affaires internationales Canada sur son site Web dans un passage qui ne serait pas déplacé dans le roman d’Orwell, 1984.

Le langage même utilisé par le gouvernement Trudeau pour justifier la création du fonds des médias, avec ses références à des «contenus fiables» et à des «médias indépendants», ne rappelle rien de plus que le vaste programme de censure de Google sur Internet. Lancée en avril 2017, la campagne mondiale de rétrogradation des sites d’information jugés indésirables par les pouvoirs publics a entraîné une forte baisse du trafic des publications de gauche, antiguerres et socialistes, dont en premier lieu, le World Socialist Web Site.

Le comité choisi par le gouvernement comprendra des représentants de Médias d’information Canada, de l’Association de la presse francophone, de l’Association des journaux communautaires du Québec, du Conseil national de la presse ethnique et des médias du Canada, de l’Association canadienne des journalistes, de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, d’Unifor et de la Fédération nationale des communications.

Ce comité consultatif est tout sauf indépendant. Le fait que les libéraux aient inclus Unifor, le plus grand syndicat du Canada qui représente 12.000 journalistes, démontre que Trudeau considère les syndicats comme un pilier clé du soutien à l’État capitaliste et à ses politiques d’austérité et de guerre. Depuis trois décennies, Unifor et la bureaucratie syndicale dans son ensemble sabotent et étouffent les luttes de la classe ouvrière. Les libéraux sont donc convaincus que les bureaucrates d’Unifor seront d’une aide inestimable pour appuyer l’offensive menée par l’État contre les voix de l’opposition et de la dissidence.

Unifor a appuyé les libéraux pendant la campagne électorale de 2015, tandis que le président d’Unifor, Jerry Dias, a été un conseiller de confiance du gouvernement libéral pendant la renégociation de l’ALENA. C’est ce fait qui a provoqué la seule critique provenant des cercles dirigeants à l’égard du fonds, le Parti conservateur affirmant que le gouvernement Trudeau remplit le groupe de représentants prolibéraux.

Comme on pouvait s’y attendre, les conservateurs n’ont exprimé aucune préoccupation quant aux prémisses fondamentalement antidémocratiques et autoritaires de l’initiative. C’est parce que tous les principaux partis, y compris les libéraux, les conservateurs et les néo-démocrates, ont été complices de l’érection de l’échafaudage d’un État policier au cours des 15 dernières années au nom de la lutte contre le «terrorisme».

Le Fonds des médias est la plus récente mesure prise par Ottawa pour accroître le pouvoir de l’État de contrôler et de censurer le contenu numérique. Il fait suite à une série de rencontres internationales et de mesures coordonnées qui, selon le premier ministre Trudeau, visent à protéger les Canadiens contre «l’ingérence étrangère», principalement de la Russie et de la Chine.

La menace «d’ingérence étrangère» dans les prochaines élections fédérales a été énoncée par le Centre de la sécurité des télécommunications, qui fait partie du réseau mondial d’espionnage «Five Eyes» dirigé par la National Security Agency (NSA) des États-Unis, dans sa mise à jour du rapport intitulé «Cybermenaces contre le processus démocratique du Canada» publié en avril. Selon le rapport, il est très probable que les électeurs canadiens soient confrontés à de la cyberingérence étrangère avant et pendant l’élection générale de 2019.

Peu après, la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland a annoncé, lors d’une réunion des ministres des Affaires étrangères du G7 en France, que «notre opinion est que l’ingérence [dans les élections fédérales] est très probable et nous pensons que des acteurs étrangers malveillants ont probablement déjà fait des efforts pour perturber notre démocratie».

À la mi-mai, lors du sommet «Christchurch call» à Paris, au cours duquel les chefs d’État et les hauts fonctionnaires du secteur des technologies ont discuté d’une relation de travail plus étroite, M. Trudeau a annoncé les plans d’une charte numérique visant à accroître la réglementation du secteur des technologies. La Déclaration canadienne sur l’intégrité électorale, publiée plus tard le même mois et signée par le gouvernement et les entreprises de médias sociaux, engage les plateformes de médias sociaux à «intensifier leurs efforts» pour lutter contre la «désinformation» et «promouvoir des mesures de protection qui contribuent efficacement à régler les incidents de cybersécurité».

En ce qui concerne la réglementation des médias sociaux, Trudeau a annoncé lors d’une réunion devant le Grand Comité international sur les mégadonnées, la protection de la vie privée et la démocratie, «Je préférerais de loin le faire en partenariat avec les plateformes, mais, si c’est le cas, nous prendrons des mesures que nous pourrions regretter, car notre impératif est de protéger les citoyens.»

Après la publication des détails de la Charte numérique fin mai, le ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, Navdeep Bains, a averti en termes vagues que «les violations des lois et règlements qui soutiennent ces principes» entraîneront des «sanctions claires et significatives».

Il n’est pas clair si l’expression «sanctions significatives» signifie des millions de dollars d’amendes pour les organes de presse et les sociétés de technologie, ou pire, la persécution, l’emprisonnement et la torture de journalistes individuels et de dissidents politiques comme Assange, qui risquent l’extradition vers les États-Unis pour espionnage parce qu’il a révélé les crimes de guerre et les complots de l’impérialisme américain.

Le passage d’Ottawa à la censure numérique est également reflété dans le budget fédéral de 2019. Les mesures visant à «sauvegarder la démocratie canadienne» comprennent un financement de 19,4 millions de dollars sur quatre ans pour que le ministère du Patrimoine canadien lance le Projet sur la démocratie numérique, une initiative internationale dirigée par le Canada visant à créer des «principes directeurs» pour combattre la «désinformation» en ligne, et l’Initiative citoyenne numérique visant à sensibiliser le public aux «pratiques trompeuses» utilisées en ligne.

Confrontée au militantisme ouvrier croissant et à l’opposition de masse à la politique gouvernementale, la classe dirigeante canadienne, en collaboration avec ses alliés impérialistes, s’emploie à établir et à officialiser des mécanismes de censure d’État.

Le virage vers la censure d’Internet et d’autres pratiques autoritaires doit être considéré dans le contexte de la montée du militantisme de la classe ouvrière contre les régimes provinciaux de droite en Ontario et au Québec.

Alors que les premiers ministres populistes de droite Doug Ford et François Legault éviscèrent les services publics et les droits des travailleurs, l’élite dirigeante dans son ensemble craint que les protestations croissantes ne débouchent sur une remise en question totale du programme d’austérité et de guerre capitaliste soutenu par tous les partis établis. Cela comprend le gouvernement Trudeau, qui procède à une augmentation de plus de 70% de ses dépenses militaires et qui collabore à la répression d’extrême droite exercée par l’administration Trump contre les réfugiés et les immigrants.

Penny Smith et Roger Jordan

 

Article paru en anglais, WSWS, le 18 juillet 2019



Articles Par : Penny Smith et Roger Jordan

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