Le grand paradoxe des guerres infinies

En cette fin d’année, le sentiment d’impuissance est fort sur ce qui se passe dans le monde des blancs et dans le bien plus vaste monde des non blancs. Il y a un malaise chez nous européens qui savons voir  mais ne savons pas réagir. Concernant notre passé, c’est comme si nous étions frappés  de paralysie politique, diplomatique et culturelle. Des Balkans à l’Irak, de la Somalie au Liban, du Rwanda au Darfour, de l’Afghanistan à la Palestine défilent devant nos yeux des événements qui font voler en mille éclats des points de vue qui étaient généralisés. Deux paraissaient ancrés au mieux. Le premier était qu’après des siècles de colonialisme les blancs  avaient renoncé à utiliser la force militaire contre les non blancs, le second était que la distinction entre religion et politique s’était répandue comme la lumière électrique. Nous nous sommes trompés.

Les guerres en cours après 1989 ont lieu comme si nous étions à l’époque des guerres européennes de religion, en grande pompe de cruautés ancestrales et d’anarchie globalisée, de vengeances tribales, ethniques, religieuses dont nous avions perdu la mémoire. C’est comme si l’état restait encore à inventer et l’état de droit et les conventions internationales appartenaient à un futur encore à venir.

Et il est vrai que le plus fort coup de patte contre ce que nous tenions pour acquis une fois pour toutes est venu d’outre Atlantique, d’un leadership d’inspiration fondamentaliste religieuse qui allie la vengeance biblique à la mission évangélique. La soif de vengeance ne s’arrête même pas  devant les données statistiques selon lesquelles leurs soldats morts  en Afghanistan et en Irak ont dépassé leurs civils du 11 septembre.

La mission se trouve dans la démonstration que les blancs sont toujours les plus forts et  arrivent à imposer leur modèle de vie là où ils veulent.

Le fondamentalisme de la Maison Blanche est tel qu’il ne semble s’atténuer devant rien : ni  l’échec sur le terrain afghan, irakien, saoudien, et à l’intérieur du Moyen-Orient ; ni la défaite aux élections de mi-mandat, la répudiation par son propre parti, par le monde du gros business, par ses propres généraux, par la perspective d’une escalade militaire dangereuse pour le monde entier.

Ce qui rend inattaquable le fondamentalisme de la direction enfermée dans son fortin est justement la religion, et il en va de même pour ses adversaires aussi. Aujourd’hui la politique, les affaires, les relations internationales sont conditionnées par la présence d’élites qui déclarent agir chacune sous l’inspiration  de leur propre dieu. A Washington comme à Bagdad, à Téhéran, et dans le très vaste monde des non blancs où l’autorité religieuse est en première place.

Et où la mission dont se sont auto investis les blancs de Washington se vit comme la dernière intrusion blanche à laquelle il faut réagir en élevant des hommes et des femmes prêts à mourir pour leur propre identité religieuse.

Il reviendrait aux blancs de Bruxelles, de Londres, Paris, Berlin, Rome, Madrid, de relégitimer la raison et le réalisme comme bases des relations entre les hommes. Il est vrai que la raison à la place du fondamentalisme religieux est devenue aujourd’hui quasiment une prétention indue de laïcs vieux jeu.

Et le réalisme politique à la place des expéditions militaires est considéré comme une cession aux compromis du passé. L’impuissance européenne vient de là. Paradoxalement, le seul moyen d’être  pris au sérieux par Washington serait d’être une puissance militaire. Si nous l’étions, nous pourrions ressusciter le réalisme et les compromis pour ramener  la raison politique sur la scène internationale. Le paradoxe est aussi évident que notre impuissance.

(rita di leo est enseignante de politique internationale à l’Université « La Sapienza » de Rome)

Edition de samedi 30 décembre 2006 de il manifesto

http://www.ilmanifesto.it/Qouotidiano-archivio/30-Dicembre-2006/art8.html

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio



Articles Par : Rita Di Leo

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