Le jeu dangereux d’Henrique Capriles et de l’opposition vénézuélienne

Le candidat de la droite vénézuélienne refuse de reconnaitre sa défaite lors des élections présidentielles du 14 avril 2013, malgré la transparence des scrutins reconnue par les observateurs internationaux. Au contraire, il incite ses partisans à « exprimer leur colère »Le bilan est lourd : au moins 7 morts et 61 blessés.

Suite à la victoire électorale de Nicolás Maduro le 14 avril 2013, Henrique Capriles Radonski a rejeté le suffrage populaire et a appelé ses partisans à « exprimer leur colère » et leur « frustration » dans les rues, exigeant un recompte total des voix. « Toute cette rage, libérez-là », a-t-il lancé lors d’une conférence de presse télévisée transmise par la chaîne Globovisión, en appelant à des manifestations massives contre l’autorité élue du pays[1].

Les conséquences de cet appel du leader de l’opposition ont été dramatiques. Sept personnes ont été assassinées par les groupuscules d’extrême droite, dont six militants socialistes célébrant la victoire de leur candidat et un policier, et plus de 61 personnes ont été blessées[2]. Une militante du PSUV, le parti gouvernemental, a été brûlé vive et se trouve dans un état critique. Luisa Ortega Díaz, Procureur général de la République, a condamné les actes de violences : « On l’a brûlé vive. Imaginez un peu les niveau d’agressivité et de violence de ces personnes[3] ».

Plusieurs centres médicaux, symboles des programmes sociaux lancés par Hugo Chávez, ont été brûlés, ainsi que des bureaux de l’entreprise nationale de télécommunications CANTV, des magasins alimentaires gouvernementaux (MERCAL), des entreprises de production et de distribution d’aliments (PDVAL), appartenant à l’Etat ainsi que de nombreux services publics et autres commerces[4].

Capriles, également gouverneur de l’Etat du Miranda, s’en est pris publiquement à Tibisey Lucena, Présidente du Conseil national électoral (CNE) : « Vous devez vous rendre compte que les décisions erronées augmentent les conflits qui existent aujourd’hui dans le pays. Vous avez la responsabilité de faire face aux Vénézuéliens ». Suite à ces déclarations, l’opposition a fait le siège de la résidence de la Présidente du CNE, nécessitant l’intervention de la police[5].

Aucune sollicitation formelle

Le Procureur Díaz a fermement condamné l’attitude de Capriles : « Si le candidat que le peuple n’a pas choisi n’est pas satisfait du résultat, il dispose des outils nécessaires pour solliciter le Conseil national électoral (CNE) et une fois épuisée la voie administrative, il peut s’en remettre à la justice, au Tribunal Suprême de Justice. Mais jusqu’à présent, le candidat non élu n’a pas fait appel au CNE pour un quelconque recours, pour réclamer ses droits ou avancer des arguments. Il devrait formaliser ces actions auprès du CNE et non pas appeler à des actions violentes dans les rues […]. Porter atteinte à MERCAL, PDVAL, les centres médicaux et les services publics de l’Etat vénézuélien revient à porter atteinte au peuple[6] ».

Le vice-président Jorge Arreaza a confirmé ces déclarations et a informé que l’opposition, malgré ses déclarations publiques, n’avait entrepris aucune démarche formelle pour exiger un audit total de l’élection : « L’audit portant sur les 54% des suffrages s’est révélé exacte. Pour effectuer l’audit des 46% restants, une démarche formelle doit être effectuée. Ils ne l’ont pas fait car le but est de générer de la violence ». En effet, comme l’exige la législation, 54% des votes ont été automatiquement recomptés le jour même[7].

Le président Nicolás Maduro, dont l’élection a été reconnue par toute l’Amérique latine, l’Union européenne et une grande partie de la communauté internationale[8], et qui s’est déclaré favorable à un recomptage des voix à condition que l’opposition en fasse la démarche, a vivement condamné les actes de violences. « Quiconque prétend porter atteinte à la majorité en démocratie appelle de fait à un coup d’Etat », a-t-il averti. Selon lui, l’opposition se trouve désormais « en marge de la Constitution et de la loi[9] » et devra répondre de ses actes devant la justice[10]. Maduro a également explicitement accusé Capriles d’être responsable de la situation : « Vous êtes le responsables des morts dont nous portons le deuil aujourd’hui […] et vous devez répondre de vos actes[11] ».

Capriles, qui n’a eu de cesse d’accuser de partialité le Conseil national électoral durant la campagne présidentielle, s’était montré beaucoup plus indulgent à l’égard de l’institution lors des élections régionales du 16 décembre 2012. Il y avait une raison à cela : le CNE l’avait déclaré vainqueur dans l’Etat du Miranda et il en avait salué la décision. Suite au résultat serré du scrutin du 14 avril 2013 – 262 473 voix d’écart en faveur de Maduro (50,75%) –, Capriles a rejeté le suffrage populaire[12]. Pourtant, lors de son élection en tant que gouverneur (51,86%), la différence avec son opposant de gauche Elías Jaua était à peine de 45 111 voix sur un total de plus de 2 millions d’électeurs. Ce dernier avait néanmoins accepté sa défaite[13].

Les médias occidentaux ont soigneusement occulté les appels de Capriles à la violence. En guise de comparaison, imaginons un instant que suite à sa défaite électorale en mai 2012, le président sortant Nicolas Sarkozy ait refusé de reconnaitre la victoire de François Hollande en raison du résultat serré (3,28% d’écart), ait appelé ses partisans à manifester dans les rues pour « exprimer leur colère », et que ceux-ci aient assassiné six militants du Parti socialiste et un policier. La nouvelle aurait-elle fait la une des journaux ?

L’opposition vénézuélienne par la voix de Capriles, qui n’a avancé pour l’instant aucune preuve factuelle et n’a présenté aucun recours légal jusqu’à présent pour contester l’élection[14], semble faire le pari de la radicalité qui l’a amené à orchestrer un coup d’Etat en avril 2002 contre le Président Hugo Chávez, avec la participation active de l’administration Bush. Celle-ci avait été la seule avec l’Espagne à reconnaitre la junte putschiste dirigée par Pedro Carmona Estanga, aujourd’hui en fuite en Colombie pour échapper à la justice. Capriles avait lui-même participé à la rupture de l’ordre constitutionnel en assiégeant l’ambassade de Cuba et en procédant à l’arrestation de Ramón Rodríguez Chacín, alors Ministre de l’intérieur et de la Justice du gouvernement légitime. Capriles avait ainsi été mis en examen et avait passé plusieurs mois en prison[15]. La droite vénézuélienne vient de recevoir un soutien de poids dans son entreprise déstabilisatrice : les Etats-Unis, qui refusent de reconnaitre l’élection de Nicolás Maduro[16].

 Salim Lamrani

 

Article initialement publié en portugais :

http://operamundi.uol.com.br/conteudo/opiniao/28415/o+jogo+perigoso+de+henrique+capriles+e+da+oposicao+venezuelana.shtml

 

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de la Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.

Son dernier ouvrage s’intitule État de siège. Les sanctions économiques des Etats-Unis contre Cuba, Paris, Éditions Estrella, 2011 (prologue de Wayne S. Smith et préface de Paul Estrade).

Contact : [email protected] ; [email protected]

Page Facebook : https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel


[1] Agencia Venezolana de Noticias, « El violento llamado de paz de Capriles », 15 avril 2013.

[2] EFE, « Fiscal general de siete muertos en incidentes en Venezuela », 17 avril 2013 ; Agencia Venezolana de Noticias, « Siete socialistas son las víctimas fallecidas durante violencia convocada por Capriles », 16 avril 2013.

[3] Agencia Venezolana de Noticias, « Fiscal de la República: Hechos violentos en el país dejan siete fallecidos y 61 lesionados », 16 avril 2013.

[4] EFE, « El jefe del Parlamento venezolano pide una averiguación penal sobre Capriles », 16 avril 2013 ; Agencia Venezolana de Noticias, « Maduro: Quien venga por la vía violenta encontrará al Estado », 15 avril 2013.

[5] Ibid.; Agencia Venezolana de Noticias, « El violento llamado de paz de Capriles », op. cit.

[6] Agencia Venezolana de Noticias, « Fiscal de la República: Hechos violentos en el país dejan siete fallecidos y 61 lesionados », op. cit.

[7] EFE, « Capriles llama de nuevo a movilizarse ‘en paz’ hacia las oficinas electorales », 16 avril 2013.

[8] Associated Press, « España reconoce a Maduro pero no pide disculpas », 16 avril 2013 ; Salim Lamrani, « 25 verdades sobre as eleições presidenciais na Venezuela », Opera Mundi, 15 avril 2013. http://operamundi.uol.com.br/conteudo/opiniao/28380/25+verdades+sobre+as+eleicoes+

presidenciais+na+venezuela.shtml (site consulté le 17 avril 2013); Agencia Venezolana de Noticias, « Países del Mercosur ratifican total apoyo a Maduro tras triunfo electoral », 16 avril 2013.

[9] Agencia Venezolana de Noticias, « El violento llamado de paz de Capriles », op. cit.

[10] Agencia Venezolana de Noticias, « Presidente Maduro: Derecha pagará ante la ley lo que han hecho », 16 avril 2013.

[11] EFE, « Maduro responsabiliza de muertos a Capriles y dice que tendrá que responder », 16 avril 2013.

[12] Agencia Venezolana de Noticias, « Maduro: Hemos derrotado el golpe de Estado », 16 avril 2013.

[13] Agencia Venezolana de Noticias, « Jaua: No hay elementos para decir que hubo fraude en elecciones presidenciales », 16 avril 2013.

[14] Agencia Venezolana de Noticias, « Defensoría del Pueblo no ha recibido denuncias del proceso electoral », 16 avril 2013.

[15] Salim Lamrani, « 50 verdades sobre Henrique Capriles, candidato opositor à Presidência da Venezuela », Opera Mundi, 18 mars 2013.http://operamundi.uol.com.br/conteudo/opiniao/27872/50+verdades+sobre+henrique+capriles+candidato+opositor+a+presidencia+da+venezuela.shtml (site consulté le 17 avril 2013).

[16] The Associated Press, « EEUU : no estamos listos para felicitar a Maduro », 17 avril 2013.



Articles Par : Salim Lamrani

A propos :

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de La Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Son nouvel ouvrage s’intitule Fidel Castro, héros des déshérités, Paris, Editions Estrella, 2016. Préface d’Ignacio Ramonet. Contact : [email protected] ; [email protected] Page Facebook : https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel

Avis de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.

Le Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) accorde la permission de reproduire la version intégrale ou des extraits d'articles du site Mondialisation.ca sur des sites de médias alternatifs. La source de l'article, l'adresse url ainsi qu'un hyperlien vers l'article original du CRM doivent être indiqués. Une note de droit d'auteur (copyright) doit également être indiquée.

Pour publier des articles de Mondialisation.ca en format papier ou autre, y compris les sites Internet commerciaux, contactez: [email protected]

Mondialisation.ca contient du matériel protégé par le droit d'auteur, dont le détenteur n'a pas toujours autorisé l’utilisation. Nous mettons ce matériel à la disposition de nos lecteurs en vertu du principe "d'utilisation équitable", dans le but d'améliorer la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux. Tout le matériel mis en ligne sur ce site est à but non lucratif. Il est mis à la disposition de tous ceux qui s'y intéressent dans le but de faire de la recherche ainsi qu'à des fins éducatives. Si vous désirez utiliser du matériel protégé par le droit d'auteur pour des raisons autres que "l'utilisation équitable", vous devez demander la permission au détenteur du droit d'auteur.

Contact média: [email protected]