Le langage de l’ “État juif” : la violence

Cette photographie prise par Keren Manor est un nouveau témoignage de la situation des Palestiniens – ceux parmi eux qui sont citoyens d’Israël – plus éloquent que tous les mots. L’homme qui gît à terre est Ayman Odeh, membre du parlement israélien, qui est à la tête de la “liste conjointe”, le troisième plus important groupe parlementaire à la Knesset, et l’homme politique palestinien ayant le plus haut rang en Israël.

La police israélienne vient de lui tirer dessus avec des balles enrobées de caoutchouc [1], non pas une fois mais deux fois – y compris à la face. Odeh est l’un des hommes politiques les moins enclins à l’affrontement, parmi l’importante minorité palestinienne d’Israël, qui représente un cinquième de la population. Le message qui est le sien est constamment en faveur de la paix et de l’amitié entre tous les citoyens israéliens, qu’ils soient Juifs ou Palestiniens. Cela ne semble pas lui avoir valu la moindre protection contre la doctrine du “tirer d’abord – discuter ensuite” qui est celle des forces de sécurité israélienne vis-à-vis des Palestiniens.

Cette image devrait être perçue comme aussi choquante que le serait celle d’un Bernie Sanders ou d’un Jeremy Corbin ensanglanté et rampant dans la poussière, sous le regard impassible de policiers étatsuniens ou britanniques.*

Le nettoyage ethnique continue

Le contexte est également important.

Odeh s’était joint au millier d’habitants de Umm al-Hiran – tous citoyens d’Israël – aux premières heures de la matinée de mercredi, pour une manifestation afin d’arrêter les équipes de démolition de 150 habitations de leur village situé dans le Negev. Dans les années 1950, Israël avait autorisé ces familles à s’établir dans la zone de Umm al-Hiran, après les avoir chassées durant la Nakba des terres, beaucoup plus fertiles, où elles étaient initialement établies. Le prétexte invoqué à l’époque pour les chasser des terres de leurs ancêtres était qu’Israël en avait besoin pour installer un kibboutzexclusivement juif.

Tout ceci s’est produit sous le régime de la loi martiale qu’Israël a imposé à ses citoyens palestiniens pendant près de deux décennies. Plus de 60 ans plus tard, exactement le même scénario se reproduit, mais cette fois cela se passe devant des caméras. Umm al-Hiran est détruit afin qu’une communauté exclusivement juive, qui conservera le nom de Hiran, puisse être construite sur les ruines des maisons de ces familles.

Israël n’a jamais inscrit Umm al-Hiran dans un plan d’aménagement du territoire, de sorte que maintenant la localité peut être déclarée “illégale” et ses habitants considérés comme des “squatteurs” et des “intrus”. Ces familles sont donc, pour la deuxième fois, la cible d’un nettoyage ethnique, non pas en période de guerre, mais en temps de paix et par leur propre État*.

Et elles sont loin d’être les seules. Des milliers d’autres familles, et leurs villages, subissent le même sort.

La vérité, c’est que rien n’a changé depuis les années 1950. Israël continue à se conduire comme si la loi martiale s’imposait toujours à ses citoyens palestiniens. C’est toujours un “État juif”, c’est-à-dire un État où les droits des Juifs prévalent toujours face à ceux qui Palestiniens, théoriquement eux aussi “citoyens”. Et il traite toujours les non-Juifs comme une menace, comme un ennemi.

Israël n’est pas un État normal. C’est une ethnocratie, et elle est dirigée par une variante du nationalisme ethnique qui a déchiré l’Europe il y a un siècle.

Ayman Odeh est un leader qui fait campagne pour la paix et l’égalité entre les citoyens Juifs et Palestiniens. Aujourd’hui, il a reçu la réponse [de l’État juif]. La place qui lui est réservée est d’être meurtri, ensanglanté et brisé, rampant dans la poussière. Tel est le langage d’un “État juif”.

Jonathan Cook

Article original en anglais :

Israel_Palestine_Flag

Violence: The Language of a Jewish State. Palestinian Citizens of Israel

Traduction :  Pour la Palestine 

[1] Lorsque dans les médias dominants on parle de “balles de caoutchouc”, il s’agit presque toujours de projectiles métalliques enrobés d’une couche de caoutchouc, susceptibles de causer des traumatismes extrêmement sérieux et même parfois mortels. L’expression est utilisée par ces médias pour donne l’impression

Jonathan Cook vit à Nazareth et est lauréat du prix spécial Martha Gellhorn de journalisme. Ses ouvrages récents sont « Israel and the Clash of Civilisations: Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East » (Israël et le choc des civilisations : l’Irak, l’Iran et le plan de remodelage du Moyen-Orient) (Pluto Press) et Disappearing Palestine: Israel’s Experiments in Human Despair (La disparition de la Palestine : expérimentations israéliennes autour du désespoir humain) (Zed Books).



Articles Par : Jonathan Cook

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