Le mécontentement social en Jordanie épargne le roi Abdallah II

Amman, envoyé spécial – « Nous demandons aux Jordaniens de rester calmes, et de respecter les biens publics. Nous ne voulons ni chaos ni violence d’aucune sorte, mais nous exigeons des réformes politiques et économiques, sous la houlette du roi Abdallah II. » Cet appel au maintien de l’ordre dans le respect de la stabilité du régime hachémite aurait pu être lancé par le premier ministre, Samir Rifaï, mais c’est Hamza Mansour, secrétaire général du Front d’action islamique (FAI), branche politique des Frères musulmans et principal parti d’opposition, qui en est l’auteur.

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Dans un entretien accordé au Monde, M.Mansour a cependant souhaité que le mouvement de protestation populaire entamé depuis une dizaine de jours dans le royaume prenne de l’ampleur. S’il est sûr qu’il y aura « une contagion de la révolution tunisienne dans tous les pays qui connaissent une situation aussi catastrophique, comme l’Algérie », il ne range pas la Jordanie dans cette catégorie.
« Nous avons beaucoup plus de liberté d’expression [qu’en Tunisie], le régime n’interfère pas dans nos libertés individuelles », insiste-t-il. Les références à la Tunisie étaient pourtant nombreuses lors de la manifestation qui s’est déroulée, dimanche 16janvier, devant l’Assemblée nationale. Mais si les slogans, les banderoles et les discours demandaient la démission de M.Rifaï, devenu le bouc émissaire de la colère populaire contre la hausse des prix, personne ne visait la personne du roi.

Pendant deux heures et demie, sur fond de drapeaux vert et rouge (ceux du FAI et du Front communiste), quelque 1500 manifestants ont dénoncé à la fois la progression de l’inflation (6% en 2010), de la pauvreté et de la corruption, ainsi que l’absence de réformes politiques. Mais autant les manifestations qui avaient été organisées vendredi dans plusieurs villes du pays se fondaient sur un profond mécontentement populaire, autant la mobilisation de la confrérie des Frères musulmans a provoqué la méfiance des syndicats jordaniens.

« DONS ET SUBVENTIONS »

Mohammed Barakat, membre influent du puissant syndicat des ingénieurs, récuse « toute récupération politique de la part du Front islamique, qui a un autre agenda. Je ne veux pas que la Jordanie se transforme en un autre Gaza », explique-t-il. Le roi Abdallah II joue de ces divisions comme il joue de la mosaïque culturelle et ethnique de son pays, entre le Nord et le Sud, et surtout entre les « Transjordaniens » de souche et les Jordaniens d’origine palestinienne.

C’est notamment pour cette raison que la contagion de la révolution tunisienne n’est pas près de se répandre dans le royaume. « Tout le monde parle avec admiration de ce qui s’est passé en Tunisie, la reine Rania est comparée à l’épouse de l’ex-président Ben Ali, la corruption est probablement aussi grande ici, mais il y a une grosse différence: la Jordanie n’est pas un Etat policier », assure Fahed Al-Khitan.

Editorialiste au grand journal populaire Al-Arab Al-Yawm, il n’exclut pas « une explosion », parce que « 85% de la population a des revenus inférieurs à 400dinars par mois, que certains produits de première nécessité ont augmenté de 15% en six mois », et surtout que les carburants ont subi une hausse de 36% en un an. « Le seul moyen de désamorcer la situation, assure-t-il, c’est de démettre Samir Rifaï. De toute façon, le roi a toujours utilisé son premier ministre comme fusible. » Depuis huit jours, le régime a lâché du lest, renonçant à une partie des augmentations sur les carburants, consentant divers allégements sociaux, quitte à creuser encore le déficit budgétaire. Cela suffira-t-il? « Les Jordaniens ne critiquent pas le souverain en souhaitant son renversement: ils dénoncent la clique qui l’entoure », assure Fahed Al-Khitan.

Marwan Shehadeh, un analyste qui se définit comme un « activiste islamiste », ne partage pas cet optimisme: « Le peuple, explique-t-il, n’a jamais été habitué à critiquer le régime, parce que celui-ci, grâce à des dons et subventions, est toujours intervenu pour sauver la situation. » « Si AbdallahII change de premier ministre à cause de la pression de la rue, prévient-il, la prochaine fois, c’est lui qui sera sur la sellette! » Le risque, c’est qu’à la faveur de la révolution tunisienne les Jordaniens jouissent sans entrave de la liberté de manifester leur mécontentement.



Articles Par : Laurent Zecchini

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