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Le maïs dans le moteur d’accord, mais à notre façon : campesinos contre Bush
Par João Pedro Stedile
Mondialisation.ca, 11 mars 2007
Il manifesto 11 mars 2007
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/le-ma-s-dans-le-moteur-d-accord-mais-notre-fa-on-campesinos-contre-bush/5049

Le mouvement des paysans Sem terra du Brésil et l’organisation internationale Via Campesina condamnent l’initiative du président Bush, qui, dans son imminent voyage (l’article a été écrit avant le voyage de Bush au Brésil, NDT) latino-américain se propose de séduire et faire coopter les gouvernements de la région dans le développement à grande échelle de la production des biocombustibles – comme l’alcool de la canne à sucre et l’éthanol de maïs – pour les exporter vers le marché nord-américain. Récemment, 600 dirigeants de mouvements paysans du monde entier, de scientifiques, d’écologistes et de féministes, se sont réunis au Mali pour discuter  des problèmes relatifs à la souveraineté alimentaire de nos pays. Nous avons analysé l’offensive en cours pour la production de biocombustibles et avons  compris qu’une « alliance diabolique » a été fomentée pour unifier les intérêts de trois grands secteurs du capital international : les entreprises pétrolières, les transnationales  qui contrôlent le commerce agricole et les semences transgéniques, et les firmes des constructeurs automobiles.

Que veulent-ils ? Maintenir le niveau actuel de consommation dans le premier monde, avec tous leurs taux de bénéfice. Pour l’obtenir, ils attendent que les pays du sud concentrent leur agriculture sur la production  de combustibles qui approvisionneraient les moteurs du premier monde.

L’énergie contenue dans les grains (céréales) ou dans les plantes est en réalité une métamorphose agrochimique de l’énergie solaire qui, à travers les huiles végétales ou l’alcool se transforme en combustible. Les meilleures conditions de réalisation de ce processus  se trouvent au sud du monde, où l’incidence de l’énergie solaire est plus grande et où il y a encore des terres disponibles. En outre,  les entreprises veulent profiter de l’ouverture vers les agrocombustibles pour étendre l’utilisation des semences transgéniques de soja et maïs, en s’assurant les bénéfices dérivant de la vente des semences brevetées et de celle des produits agro toxiques pour le développement de l’agriculture énergétique.

 
Produire des combustibles comme le tournesol, le maïs, les amandes, la palme africaine ou la canne à sucre est en apparence un comportement  animé de bonnes intentions : celui de substituer au pétrole, combustible polluant et non renouvelable, des combustibles renouvelables qui n’endommagent pas l’environnement. Cette alternative sera récompensée  par une vaste publicité gratuite, parce qu’elle se présentera comme un geste de bonne volonté pour limiter le réchauffement de la planète.

Mais la seule chose qui intéresse l’alliance trilatérale c’est  de faire des profits. La question environnementale ne les préoccupe pas le moins du monde. L’alliance n’a opté pour l’énergie  renouvelable que pour ne pas dépendre du pétrole importé par des pays qui ont des gouvernements nationalistes comme le Vénézuéla et l’Iran, du fait de l’échec de la guerre en Irak qui a empêché les Etats-Unis de s’approprier ce pétrole, et du fait de l’instabilité politique du Nigéria, de l’Arabie Saoudite et de l’Angola. En clair, le choix a été déterminé par des problèmes dan les principaux pays qui exportent leur pétrole aux Etats-Unis ou en Europe.

Les mouvements  paysans affirment :

En premier lieu qu’on ne doit pas utiliser le terme de biocombustible, parce que mettre génériquement en relation énergie et  vie (bio) est une manipulation d’un concept qui n’existe pas. Le terme doit être remplacé par  agrocombustible.

Deuxièmement, nous reconnaissons que l’agrocombustible est plus adapté à l’environnement que le pétrole. Mais cela ne modifie pas le principe du choix auquel est appelé l’humanité : le modèle actuel du gaspillage de l’énergie et du transport individuel, qui doit être remplacé  par un modèle fondé sur le transport collectif (train, métro etc.).

Troisièmement, nous sommes opposés  à l’utilisation de biens destinés à l’alimentation humaine à des fins de production de combustibles.

Quatrièmement, bien que la production d’agrocombustibles soit considérée comme nécessaire, elle doit être faite de façon durable. Nous combattons le modèle  néo libéral actuel d’agriculture à grande échelle et de monoculture, qui dégrade l’environnement par l’utilisation intensive d’agro toxiques et la mécanisation, qui élimine la main d’œuvre et  aggrave le réchauffement de la planète, en détruisant la biodiversité, et en empêchant que l’humidité et les pluies gardent un équilibre avec la production agricole.

Nous affirmons qu’il est possible de réaliser des combustibles avec des produits agricoles si ceux-ci sont cultivés  de façon durable, dans des unités de production petites et moyennes, qui ne déséquilibrent pas l’environnement et qui préservent une plus grande  autonomie pour les paysans dans leur contrôle de l’énergie et dans les approvisionnements des villes.

Le mouvement paysan condamne le voyage de Bush, parce qu’il marquera le début de l’offensive pour l’exportation d’agrocombustibles latino-américains vers le marché étasunien. En échange, les capitalistes nord-américains de l’alliance trilatérale exigent  le droit d’installer des dizaines de nouveaux établissements pour la production d’alcool dans tout le continent sud-américain. Pour rendre son propre programme réalisable, le gouvernement Bush postule qu’on reconnaisse à l’alcool éthanol le statut de « matière première énergétique » non agricole, pour échapper aux  normes imposées par l’OMC sur les produits agricoles.

Bush propose en outre que Brésil, Etats-Unis, Inde, Afrique du Sud, et d’autres pays, négocient  un registre technologique commun pour l’agrocombustible dérivé de la canne à sucre, du maïs ou de plantes, dans le but d’atteindre une formule internationalement reconnue, en donnant naissance à une sorte d’Opec de l’énergie agricole, qui en contrôlerait le commerce mondial.

Dans les prochains mois, les mouvements paysans continueront à débattre pour une meilleure définition de nos concepts et de nos initiatives politiques face à ce nouveau défi, y compris avec la définition  d’une proposition de production réalisable et durable.

Surtout, nous discuterons des formes de combat contre ce projet étasunien dont l’éventuel succès  entraînerait une tragédie  pour l’agriculture tropicale, parce qu’il transformerait nos meilleures terres cultivables par de grandes extensions en monocultures, il aggraverait la perte de biodiversité et réduirait la quantité de terre réservée à la production d’aliments, en rejetant des millions de paysans du monde entier vers les bidonvilles. Le tout pour  approvisionner les transports individuels motorisés et préserver la consommation de l’ American way of life.

 
Cette discussion et cette lutte ne font que commencer. Nous espérons que le débat va s’étendre à toutes les sociétés et que les médias diffuseront le débat. Ce sont des thèmes fondamentaux pour l’avenir de nos peuples.

*João Stedile est le leader du mouvement des Sans Terre (MST) au Brésil. 

©Ips /il manifesto

 

Edition de jeudi 8 mars 2007 de il manifesto


 

Traduit de la version italienne par Marie-Ange Patrizio

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