Le marché du climat ira à Montréal

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Tout pourrait être en place dès ce printemps, dit Ambrose

Ottawa — Après avoir envoyé des signaux contradictoires pendant des semaines, le gouvernement Harper prend publiquement l’engagement de mettre en place rapidement un marché du climat qui vise à échanger des crédits de gaz à effet de serre. Et c’est Montréal qui accueillera ce marché au Canada. De plus, ce système d’échange réclamé à grands cris par l’industrie et les écologistes sera conforme aux normes internationales, ce qui ouvrira le marché mondial aux entreprises d’ici, a affirmé au Devoir la ministre fédérale de l’Environnement, Rona Ambrose, lors de l’une de ses rares entrevues.La ministre s’est entretenue avec Le Devoir tout juste avant de partir à Nairobi, où s’ouvre aujourd’hui la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques. Rona Ambrose a d’ailleurs soutenu que le Canada n’avait pas l’intention de faire déraper les négociations actuellement en cours sur la phase II du protocole de Kyoto. La ministre affirme qu’Ottawa fera partie de Kyoto II, peu importe si les pays membres du traité réussissent à convaincre ou non la Chine et l’Inde d’avoir de vraies cibles de réduction des gaz à effet de serre (GES) après 2012. Rona Ambrose soutient aussi que le Canada «doit» recevoir de nouvelles cibles contraignantes lors de Kyoto II, comme pour la première mouture. Mais la ministre répète que l’atteinte des objectifs canadiens entre 2008 et 2012 est «irréaliste».

Rona Ambrose a tenté de se faire rassurante lors de cet entretien vendredi. Consciente du scepticisme qui entoure les politiques environnementales de son gouvernement, mais aussi de la deuxième chance accordée à son projet de loi sur la qualité de l’air, qui sera étudié devant un comité spécial de la Chambre des communes dans les prochaines semaines, la ministre a semblé vouloir expliquer et clarifier certaines positions du gouvernement conservateur.

D’abord, un marché du climat, aussi appelé marché du carbone ou marché vert, sera mis en place au pays. Dans ce domaine, le gouvernement est dur à suivre, puisque la position énoncée par la ministre n’était pas aussi claire il y a quelques semaines, lorsque Rona Ambrose a comparu devant le Comité de l’environnement. Le 5 octobre dernier, elle affirmait plutôt qu’Ottawa ne serait pas un catalyseur dans la mise en place d’un tel système d’échange de crédit de GES. «Un tel marché peut exister sous les lois actuelles, mais nous n’allons pas en créer un», avait-elle dit.

Or, au moment de déposer son projet de loi sur la qualité de l’air, le 19 octobre dernier, la position du gouvernement avait déjà commencé à changer en faveur d’un tel marché. Ainsi, comme le fait remarquer la ministre en entrevue, l’avis d’intention du gouvernement fait mention d’un tel système. En page 11, on peut lire que «les consultations et les analyses concernant les options relatives à la conformité porteront sur des mécanismes autonomes axés sur le marché qui ne dépendent pas de l’argent des contribuables, notamment un système de commerce des droits d’émissions mené par l’industrie».

Les signaux contradictoires envoyés par la ministre ont toutefois occulté ce passage lors de l’annonce du projet de loi. Mais, aujourd’hui, la ministre revient à la charge pour rassurer les industriels désireux de profiter d’un marché international en pleine explosion.

«On a besoin d’une réglementation pour mettre en place un marché, et c’est ce qu’on va faire. On va dans ce sens-là rapidement. Il faut d’abord des cibles à court terme pour les entreprises, et ce pourrait être fait dès janvier, si tout va bien», soutient la ministre. Rona Ambrose vise le printemps, au plus tard, pour enclencher le processus de mise en place de ce marché, qui s’apparente à une bourse, mais auquel seuls les détenteurs ou les vendeurs de crédits de GES peuvent participer (entreprises, gouvernements).

«Il faut que ce soit un marché fait pour les entreprises, car le gouvernement n’a pas l’intention d’acheter ou de vendre des crédits de gaz à effet de serre avec l’argent des contribuables. Mais les entreprises vont avoir la possibilité de le faire, car c’est un système vraiment efficace pour faire des réductions à bon prix», dit-elle, avant d’ajouter que ce marché devra être «flexible, robuste et vérifiable». «Il faudra être certain que ce sont de vraies réductions de gaz à effet de serre qui s’échangent.»

Une question de mois

Quand ce marché entrera-t-il en activité? La ministre se dit incapable de fixer une date en raison des étapes encore importantes à franchir. Avant 2010? «Oui, absolument», affirme-t-elle toutefois. «Je ne parlerais pas d’années, mais de mois», ajoute Rona Ambrose. «Tout pourrait se mettre en place dès le printemps. Ça va dépendre des discussions.»

«Il y a plusieurs étapes à franchir, poursuit-elle. Il faut fixer des cibles aux entreprises. Celles à court terme sont importantes, et ce sera fait dans quelques mois. Il faut ensuite négocier un prix [de la tonne] de carbone avec les industries. Ensuite, il faut s’assurer que ce marché soit compatible avec les autres marchés en Amérique du Nord et en Europe. Bref, il faut s’entendre sur les principes avant d’aller de l’avant. Les environnementalistes ont des idées, les entreprises ont des idées. Il faut s’entendre sur le type de crédit qui sera reconnu. Il faut travailler avec nos partenaires internationaux sur ça et s’entendre avec le Marché climatique de Montréal. Il y a trop d’étapes pour que je donne une date précise.» La ministre semble donc vouloir mettre en place un marché qui sera compatible avec les autres marchés du climat dans le monde, ce qui pourrait rassurer les entreprises qui voyaient les occasions d’affaires filer rapidement.

Les modalités de ce marché sont encore en négociations, dit Rona Ambrose. Plusieurs types de systèmes pourraient également cohabiter. Ainsi, Ottawa songe aussi à mettre en place un tel marché pour les polluants atmosphériques, puisque les émetteurs de smog auront des objectifs de réduction absolus des polluants à partir de 2010. «Il y a plusieurs avenues. On peut avoir aussi un autre marché basé sur la réduction de l’intensité des émissions de gaz à effet de serre, alors que, sur le marché des crédits [comme celui en Europe], certaines entreprises vont pouvoir acheter des crédits anticipés. Il nous faut des mécanismes flexibles, et c’est ce qui est discuté.»

Et qui accueillera ce marché à terme très lucratif? Montréal? «Oui, nous sommes en discussions avec eux [les dirigeants de la Bourse de Montréal]. Leurs connaissances sont très avancées. On sait que Toronto est aussi intéressée, mais on ne les a jamais rencontrés, alors que pour Montréal, le ministre [Michael] Fortier et moi les avons rencontrés plusieurs fois. Disons qu’ils ont de très bonnes chances.»

Le ministre Ambrose a également déclaré que les nombreuses vérifications qui visent à s’assurer que les entreprises se conforment à leurs obligations vont coûter environ 600 millions sur les 15 prochaines années. «Il y aura des rapports au Parlement chaque année, dit-elle. On ne veut pas subventionner les réductions de GES des entreprises, mais il faut s’assurer qu’il y ait quand même des réductions.»

Négociations de Kyoto II

Rona Ambrose a également expliqué les objectifs du Canada concernant la deuxième phase du protocole de Kyoto. Ce post-2012 est actuellement en négociations, et la conférence de l’ONU qui s’ouvre aujourd’hui à Nairobi, au Kenya, fait partie de ces discussions. Selon la ministre, même si le Canada «ne peut pas atteindre» les objectifs de la phase I (-6 % sous le niveau de 1990 entre 2008-2012) — d’ailleurs abandonnés par le gouvernement Harper –, il doit tout de même recevoir de nouvelles cibles contraignantes lors de Kyoto II. «Oui, absolument, nous devons en avoir», dit-elle. «Actuellement, ce qu’on fait, c’est se fixer de nouvelles cibles, ici, au Canada. Faire ça va nous aider dans nos négociations pour la phase II de Kyoto. On peut maintenant arriver à la table et montrer qu’on a des engagements. Les vraies négociations vont commencer l’an prochain et il fallait bouger avant.»

Rona Ambrose affirme que l’objectif du Canada lors de ces discussions consiste à inclure l’Inde et la Chine dans les efforts mondiaux de réductions des GES. «On est très préoccupés par l’absence de la Chine et l’Inde, qui sont de grands émetteurs de GES. Il faut diplomatiquement les convaincre d’apporter leur contribution dans la phase II. Je vais d’ailleurs rencontrer les deux délégations au Kenya.»

Et si ces deux pays refusent de se donner des cibles contraignantes, le Canada devrait-il se retirer des négociations et faire cavalier seul? «Non, tranche la ministre. Si on se retire, il n’y a plus d’occasion de mettre de la pression sur ces pays. Il faut qu’on travaille tous dans le même sens. Le but est d’avoir plus de gens autour de la table, pas moins. Il faut aussi mettre de la pression sur les États-Unis. À la fin, il faudrait que tous les grands émetteurs fassent partie de la seconde phase», dit-elle. Il faudra toutefois voir si ces paroles pourront se traduire en gestes concrets dans les prochains mois, malgré la situation de gouvernement minoritaire qui règne à Ottawa.



Articles Par : Alec Castonguay

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