Le Mexique en crise

Le Mexique est en crise. La tension, la répression et la résistance montent, de part et d’autre. Le premier décembre prochain, le nouveau « président élu » par fraude électorale, Felipe Calderon, succédera officiellement à Vicente Fox lors d’une cérémonie de passation des pouvoirs que menace d’empêcher un large secteur de la population ainsi que le Parti de la révolution démocratique (PRD).

Le dirigeant principal du PRD, l’ancien maire de la ville de Mexico, Manuel Andres Lopez Obrador, nommé « président légitime », prendra possession de la présidence de façon symbolique le 20 novembre, jour de l’anniversaire de la Révolution, sur la place centrale de la ville de Mexico. Pendant ce temps, la commune de l’APPO continue sa résistance exemplaire et les mouvements sociaux s’organisent et résistent un peu partout dans le pays.

Pour comprendre ce qui se passe à l’heure actuelle au Mexique, un bref retour historique sera utile.

Un peu d’histoire

Le Mexique a une histoire remplie de luttes et de soulèvements populaires. Après les luttes victorieuses pour acquérir son indépendance face à l’État espagnol au début du 19e siècle, cent ans plus tard, en 1910, commence la Révolution mexicaine, qui réussit à expulser du pouvoir le dictateur Porfirio Diaz et vise la mise en place de mesures sociales en faveur de la population et contre les grands propriétaires terriens.

C’est des luttes politiques qui surgissent de la Révolution mexicaine que naît le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), parti qui gouvernera le Mexique durant plus de 70 ans et qui décevra les espoirs de la révolution en dirigeant le pays sur la base de la corruption, du clientélisme, du contrôle corporatif et de la répression. Les massacres d’étudiantEs de 1968 et 1971 comptent parmi les pires pages de l’histoire mexicaine, menées dans le contexte de la « guerre sale », où perdirent la vie et la liberté des milliers de militantEs d’organisations sociales.

Durant plusieurs années, le PRI mène une politique économique basée sur le marché intérieur, appuyé par l’État, où la production de pétrole joue un rôle important et permet une certaine croissance économique. Au début des années 1980, suivant la mouvance mondiale, le PRI commence l’instauration de politiques néolibérales, avec les typiques ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque mondiale : privatisations, réduction des dépenses au niveau de la santé, de l’éducation, etc., avec comme résultat inévitable une augmentation de la pauvreté et une détérioration notable des conditions de vie.

Pour ne donner qu’un exemple, le salaire minimum réel baisse de 50% entre 1982 et 1990 ; ce même salaire minimum réel de 1990 est inférieur à celui de 1934, d’où une perte considérable et catastrophique du pouvoir d’achat de la grande majorité des mexicainEs.

C’est dans ce contexte empreint de politiques néolibérales que le Mexique signe, avec le Canada et les États-Unis, l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) en 1993. Contrairement à ce que l’on veut faire croire à travers la propagande des médias de masse, les résultats de l’ALENA sont catastrophiques pour la population mexicaine. En 1994, on estimait à 36 millions les personnes pauvres dans le pays, en 1996 elles étaient 51 millions et, aujourd’hui, il est généralement admis que 65 millions des 100 millions de MexicainEs vivent dans la pauvreté.

Par contre, ces politiques ne s’instaurent pas sans résistance au Mexique. Exemple emblématique, le jour même de l’entrée en vigueur de l’ALENA, le 1er janvier 1994, a lieu au Chiapas le soulèvement de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN). On commence enfin à parler des conditions de vie indécentes des indigènes du pays. Dans les années qui suivent, les mouvements sociaux ont été confrontés à des massacres, à la prison et à la répression constante. Cependant, la lutte a continué et d’autres soulèvements armés se sont produits dans des États comme Guerrero, Oaxaca, Hidalgo et Veracruz.

En 2000 ont lieu des élections présidentielles qui auront comme objectif la « démocratisation » du pays. Il fallait sortir le PRI du pouvoir. Le Parti Action nationale (PAN) appelle alors au « vote utile » et se présente comme le gouvernement du changement ; il gagnera ces élections. Si le PRI était un parti divisé, où l’on retrouvait à la fois des néolibéraux et quelques nationalistes sur le plan des politiques économiques, le PAN, pour sa part, est un parti clairement néolibéral, lié à droite à l’Église catholique, aux grandes compagnies transnationales et aux narcotrafiquants.

Le nouveau président, Vicente Fox, est un ancien gérant de la Coca-Cola. Le PAN est clairement un gouvernement des entreprises et son administration qui se termine à la fin du mois de novembre a amené à un approfondissement du néolibéralisme ainsi qu’à de nombreux actes de répression contre les organisations sociales.

Aussi, il faut noter que ce gouvernement paniste a attaqué systématiquement, durant ses six ans au pouvoir, les droits humains et le droit à la diversité. Le bilan de l’administration Fox est la détérioration criminelle des conditions de vie et le mécontentement généralisé de la population à l’égard des institutions.

Les élections de juillet 2006

Le 2 juillet 2006 ont eu lieu les dernières élections présidentielles. Les principaux partis en compétition étaient le PRI, le PAN et le PRD. Le PRD, Parti de la révolution démocratique, est dirigé par Lopez Obrador, qui jouit d’une grande popularité à travers le pays. Il tient un discours de centre-gauche tout en étant social-libéral. En effet, le PRD propose certaines mesures sociales, le renforcement du marché interne, certaines dépenses de l’État,et l’atténuation des excès du néolibéralisme.

Mais il est aussi axé sur la compétitivité internationale et maintient, par exemple, des liens étroits avec Carlos Slim, entrepreneur et troisième homme le plus riche du monde (position indécente dans un pays où les habitantEs sont si pauvres). De plus, Lopez Obrador s’est engagé, devant les entrepreneurs, à ne pas modifier substantiellement l’ALENA, pour ne donner qu’un exemple. Enfin, Le PRD a une histoire de répressions contre les mouvements populaires dans les États où il gouverne et il y a aussi une corruption généralisée en son sein.

Le résultat officiel de ces élections présidentielles au pointage très serré est que le PAN est reporté au pouvoir avec Felipe Calderon, déclaré « président élu » et qui doit donc entrer en fonction le premier décembre 2006.

La fraude électorale

Le PAN a été réélu grâce à de la fraude électorale, mise en œuvre et appuyée par la droite, liée aux grandes transnationales, au narcotrafic et au clergé et à leurs alliés, les médias de communication. En effet, avant, pendant et après les élections, on a assisté à une manipulation médiatique agressive, manipulation des sondages, campagne de peur (par exemple, on a dit et répété que le PRD était financé par Hugo Chavez et représentait donc un danger pour la stabilité du pays).

De plus, des bulletins de vote ont été détruits, d’autres perdus, on a retrouvé des urnes dans des fossés, des morts ont voté, etc. L’histoire de 1988 se répète, alors que Cuauhtémoc Cardenas, fondateur du PRD, avait perdu les élections présidentielles dans des circonstances semblables.

Les preuves disponibles suggèrent que Lopez Obrador a obtenu entre un demi-million et 2 millions de votes de plus que Calderon, qui a gagné les élections avec une marge d’à peine 0,58%. (James D. Cockcroft, Rebelión.org, 13 octobre 2006). Le Tribunal fédéral électoral et la Cour suprême ont refusé de recompter l’ensemble des bulletins de vote, comme le demandaient le PRD et les millions de citoyenNEs en colère à travers le pays.

Le mécontentement social

Le mécontentement social prend différentes formes dans le pays et diverses expressions de dualité du pouvoir se sont mises en place. Par exemple, comme conséquence de la fraude électorale, est né un mouvement de résistance civile pacifique, qui défend Lopez Obrador comme « président légitime » du Mexique. En effet, le 16 septembre a eu lieu sur la place centrale de la ville de Mexico la Convention nationale démocratique (CND), avec la participation de plus d’un million de personnes « déléguées » qui ont désigné Lopez Obrador « président légitime » du pays.

Le 20 novembre, jour de l’anniversaire de la Révolution, Lopez Obrador prendra possession de la présidence symboliquement sur la place centrale de la ville de Mexico. Il a déjà composé son cabinet de gouvernement « itinérant », qui se déplacera dans le pays pour présenter son programme et la critique contre Calderon.

Ce mouvement a aussi comme projet d’empêcher le « président élu » Felipe Calderon de prendre le pouvoir formellement le premier décembre prochain, et d’empêcher toute apparition publique de ce dernier, étant illégitime.

Parallèlement au processus électoral, d’autres manifestations du mécontentement social continuaient à se dérouler. Parmi les plus significatives, il y a l’Autre Campagne, initiative de l’EZLN, et l’Assemblée populaire des peuples de Oaxaca (APPO), ainsi que de nombreux autres mouvements syndicaux et sociaux, à travers le pays.

La situation est explosive. Plus encore avec la capacité d’autodéfense démontrée par l’APPO à Oaxaca et qui pourrait s’étendre à d’autres régions du pays. Il existe un risque de répression massive et sélective. D’autant plus que le « président élu » Felipe Calderon menace de « rétablir l’ordre et rendre la paix aux citoyens », ambiance que renforce la déclaration de l’ambassadeur américain, qui a lancé une alerte avisant de ne pas voyager au Mexique parce qu’il y a aurait un risque élevé de violence, particulièrement entre le 20 novembre et le premier décembre. Selon lui, il y aurait des risques élevés de confrontation armée.

Pendant ce temps à Oaxaca, la APPO continue sa lutte et a entrepris, depuis le 10 novembre, un travail d’enrichissement de sa structure, avec la participation de tous les secteurs, ainsi que de définition de ses objectifs et de son plan d’action.

Même si les expressions des organisations sociales sont différentes, on ressent la nécessité de s’unir pour la destitution du gouvernement illégitime de Calderon, comme pour celle du gouverneur Ulises Ruiz de Oaxaca. Cela dans le but d’arrêter les projets néolibéraux qu’ils portent et qui menacent la souveraineté nationale, économique et politique du Mexique, ainsi que la qualité de vie de millions d’êtres humains. Cette période continuera à être marquée par la résistance populaire, de plus en plus organisée, et la répression d’un État guidé par l’extrême droite et par les compromis de sécurité nord-américaine du Commando Nord.

http://pressegauche.org/spip.php?rubrique10, 20 novembre 2006.



Articles Par : Claudia Martinez

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