Le monde se dirige-t-il aveuglement vers une guerre mondiale nucléaire?

« En libérant l’énergie atomique, notre génération a apporté au monde la force la plus révolutionnaire depuis la découverte du feu par l’homme préhistorique. Cette force fondamentale de l’univers ne peut aller de pair avec une conception dépassée des nationalismes étroits. » Déclaration du Comité d’urgence des scientifiques atomistes, présidé par Albert Einstein, le 22 janvier 1947.

« Je ne sais pas avec quelles armes la troisième guerre mondiale sera menée, mais la quatrième guerre mondiale sera menée avec des bâtons et des pierres. » Albert Einstein (1879-1955), physicien théoricien d’origine allemande (dans une interview dans « Liberal Judaism », avril-mai 1949).

 « Tout en défendant leurs propres intérêts vitaux, les puissances nucléaires doivent éviter les confrontations qui amènent un adversaire à choisir entre une retraite humiliante ou une guerre nucléaire. Adopter ce genre de ligne de conduite à l’ère nucléaire ne serait qu’une preuve de la faillite de notre politique — ou souhaiter un suicide collectif pour le monde entier. » John F. Kennedy (1917-1963), 35e président des États-Unis, 1961-1963, discours du lundi 10 juin 1963.

Au cours de cette année fatidique de 2024, l’attention mondiale a été détournée, d’abord par la guerre en cours et en expansion entre l’Ukraine et la Russie, une guerre en grande partie provoquée par les États-Unis et l’OTAN, « pour affaiblir la Russie » dixit le secrétaire à la Défense, le général Lloyd Austin.

Il s’agit, en réalité, d’une guerre par procuration depuis les débuts, inspirée des néoconservateurs américains il y a longtemps, soit depuis 1991, après l’effondrement de l’Union soviétique. c‘est une guerre qui a officiellement débuté en février 2014, dans la foulée du renversement violent, financé par le gouvernement étasunien, du gouvernement pro-russe élu du président Viktor Ianoukovitch.

En deuxième lieu, il y a le conflit en cours entre Israël et les Palestiniens de Gaza, lequel a débuté avec une attaque du Hamas en octobre 2023. Cela a été suivi par le meurtre de plus de 40 000 Palestiniens par le gouvernement israélien de B. Netanyahu. Un tel massacre sur une telle échelle de civils et une telle destruction ont résulté en des milliers d’enfants orphelins. Cela a choqué les historiens du génocide, en plus de faire honte à la conscience mondiale. Malheureusement, il ne semble pas y avoir de fin à ce massacre des temps modernes.

Cette période a également été marquée par la tenue des grandioses Jeux olympiques d’été de Paris. Cette grande célébration de la paix entre les pays a été suivie de la saga politique de l’élection présidentielle américaine, lorsque le président démocrate sortant Joe Biden avait été contraint de retirer sa candidature en faveur de la vice-présidente Kamala Harris.

Cependant, pendant tout ce temps, il s’est produit un développement quelque peu effrayant, derrière les rideaux. En effet, le New York Times a révélé mardi, le 20 août, que le président Joe Biden a secrètement approuvé, en mars dernier, une nouvelle stratégie nucléaire coordonnée. Il s’agit d’un plan pour des confrontations nucléaires simultanées impliquant les États-Unis avec la Russie, la Chine et la Corée du Nord.

Un tel plan n’est guère rassurant, sachant que les États-Unis ont été le premier et le seul pays à avoir largué des bombes atomiques sur des villes, celles d’Hiroshima et de Nagasaki, en août 1945, causant des centaines de milliers de morts.

Qu’une guerre nucléaire mondiale puisse être envisagée et même puisse être vue comme possible, voire probable, à notre époque, est vraiment ahurissant. Comme l’illustre la citation ci-haut du président John F. Kennedy dans son discours de juin 1963, « adopter ce genre de voie à l’ère nucléaire ne serait que la preuve de la faillite de notre politique — ou souhaiter un suicide collectif pour le monde entier ».

Les conséquences désastreuses de pays qui se préparent à des guerres nucléaires

Les programmes de dépenses nucléaires des trois plus grandes puissances nucléaires la Russie, les États-Unis et la Chine menacent de devenir une course aux armements nucléaires à trois, alors que l’architecture mondiale de contrôle des armements s’effondre. En effet, la Russie et la Chine vont accroître leurs capacités nucléaires tandis que les pressions augmentent à Washington, en particulier parmi les partisans du complexe militaro-industriel américain (CMI), pour que les États-Unis agissent de la même manière.

Le manque de confiance réciproque et l’abscence d’une volonté de contrôler et de limiter la production d’armes nucléaires pourraient signifier une nouvelle ère de course aux armes nucléaires, y compris le déploiement d’armes nucléaires offensives de portée intercontinentale.

Il y aurait peu d’obstacles à ce que les principales puissances nucléaires se lancent dans le développement de nouvelles armes nucléaires, alors que les tensions géopolitiques continuent de s’accroître. Cela ne pourrait que mettre en péril la sécurité de tous les pays.

L’Horloge de l’Apocalypse de l’humanité se rapproche de plus en plus de minuit

Selon le ‘Bulletin of the Atomic Scientists’, la métaphore ou le symbole de l’Horloge de l’Apocalypse, créée en 1947, a été réglée à 90 secondes avant minuit en janvier 2023, et a été maintenue à ce niveau élevé en janvier 2024.

En efffet, l’humanité continue d’être confrontée à un haut niveau de danger dans trois domaines principaux, à savoir le risque accrue d’une guerre nucléaire ; s’ajoutent les problèmes associés aux changements climatiques et ceux pouvant découler des applications de l’Intelligence Artificielle.

En juillet 1991, à la fin de la Guerre froide, les États-Unis (Pres. George H. W. Bush) et l’Union soviétique/Russie (Prés. Mikhaïl S. Gorbatchev) signèrent le Traité bilatéral de réduction des armes stratégiques (START I), conçu pour obliger les deux parties à réduire leurs arsenaux d’armes nucléaires offensives stratégiques. À cette époque, l’Horloge de l’Apocalypse des Scientifiques Atomiques fut alors fixée à 17 minutes avant minuit.

(N. B. : START I fut un succès. Il eut pour effet de supprimer environ 80 % de toutes les armes nucléaires stratégiques alors en existence, lorsque sa mise en œuvre finale arriva à terme, à la fin de 2001.)

Cependant, aujourd’hui, alors que le monde est à nouveau plongé dans une Guerre froide II, avec la montée des tensions géopolitiques entre les États-Unis, l’Union européenne et l’OTAN, d’un côté, et la Russie, la Chine, la Corée du Nord et l’Iran, de l’autre, les risques d’un cataclysme nucléaire mondial majeur se sont accrus.

La plupart des autres tentatives pour réduire les armes nucléaires offensives ont échoué

En effet, suite au succès du traité START I, les États-Unis et la Russie conclurent deux autres traités bilatéraux afin de réduire encore davantage les stocks d’armements nucléaires. Ces deux traités ont cependant échoué.

Tout d’abord, bien que le président américain George H. W. Bush et le président russe Boris Eltsine eurent signé, en janvier 1993, un nouveau traité de réduction des armes stratégiques appelé START II pour hausser les objectifs du traité START I, ce nouveau traité n’est jamais entré en vigueur.

Cela s’explique par la décision du gouvernement étasunien du président George W. Bush, en juin 2002, de se retirer du traité Antimissiles Balistiques (ABM), lequel existait entre les États-Unis et l’URSS depuis 1972, et lequel faisait partie des conditions pour que START II soit mis en marche. 

Plusieurs observateurs considèrent ce retrait américain comme le premier pas vers l’abandon d’une recherche de contraintes juridiques efficaces à la prolifération nucléaire.

Deuxièmement, le président Barack Obama a bien tenté de relancer la réduction mutuelle des armes nucléaires offensives pour créer un monde plus stable, lorsqu’il signa un traité qualifié de New Start, en avril 2010, avec le président de la Fédération Russe d’alors, Demi M. Medvedev. Cependant, il régnait un certain scepticisme à l’égard des réductions des armes nucléaires chez un certain nombre de sénateurs républicains américains et dans certains centres de recherche de Washington, tels celui de la Heritage Foundation.

Capture d’écran : Barack Obama et Dimitri Medvedev signent le traité sur la réduction de leur arsenal nucléaire

Ce traité New Start devait durer dix ans, avec une option de renouvellement jusqu’à cinq ans, avec l’accord des deux parties.

Cependant, le président étasunien Donald Trump informa le président russe Vladimir Poutine, en février 2017, qu’il se retirait du traité, parce que celui-ci était, à son avis, trop favorable à la Russie et qu’il s’agissait en fait d’une « mauvaise entente négociée par l’administration Obama ».

Toutes les tentatives entre Trump et Poutine pour rédiger un remplaçant au traité New Start, avant son expiration en 2021, échouèrent. Le gouvernement russe a même accusé le gouvernement républicain de D. Trump de saboter « délibérément et intentionnellement » les accords internationaux de contrôle des armements et a souligné son « approche contreproductive et ouvertement agressive au cours des négociations ».

Néanmoins, en janvier 2021, le gouvernement étasunien du président démocrate Joe Biden, nouvellement élu, accepta une proposition russe de prolonger le traité New Start de réduction des armes nucléaires pour une période de cinq ans, soit jusqu’en 2026.

Il s’agit de la dernière tentative des États-Unis et de la Fédération russe d’accroître leur sécurité nucléaire mutuelle par le biais de négociations bilatérales. 

Rappel historique

Les relations entre les États-Unis et la Russie ont continué à se gâter, surtout après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février 2022. 

Le gouvernement russe a invoqué deux raisons principales pour justifier sa décision : protéger la minorité russophone ukrainienne des exactions du gouvernement de Kiev et empêcher le pays voisin de l’Ukraine d’adhérer à l’OTAN, ce qui aurait signifier le déploiement de missiles nucléaires américains aux frontières de la Russie.

On doit regretter l’éclatement d’une guerre qui a entraîné d’énormes destructions, des souffrances et de nombreux morts, alors qu’elle aurait pu être évitée avec un minimum de bonne foi, de diplomatie et quelques concessions.

Cela n’est pas sans rappeler la crise des missiles de Cuba en 1962, après que l’Union soviétique eut déployé des missiles nucléaires à Cuba, à 150 kms des côtes américaines, en réponse aux déploiements américains de missiles nucléaires en Italie et en Turquie. Un compromis fut finalement trouvé entre le président Kennedy et le président Khrouchtchev : le gouvernement soviétique démantela ses armes offensives à Cuba et le gouvernement américain accepta, en secret, de démanteler les armes offensives qu’il avait déployées en Turquie.

Conclusions

Le monde est de nos jours au bord du chaos et est en danger. Cela a beaucoup à voir avec l’absence d’accords de dissuasion nucléaire entre les principales puissances nucléaires. Si un seul pays doté d’armes nucléaires devait lancer une attaque nucléaire dans un climat de méfiance réciproque, il s’en suivrait une menace existentielle pour des centaines de millions d’habitants de la planète.

Une guerre nucléaire dévastatrice aurait non seulement des conséquences tragiques sur le plan humain, mais aussi sur le plan économique. En plus d’être un énorme gaspillage de ressources, une telle guerre pourrait aussi provoquer un hiver nucléaire avec des retombées négatives sur les cultures et pourrait causer des famines. Une guerre nucléaire serait aussi une source majeure de pollution atmosphérique.

Ce type de guerre atomique pourrait certes profiter à l’industrie nucléaire militaire de certains pays, mais elle serait source de chaos dans l’économie mondiale, provoquerait de  l’inflation dans les pays concernés et créerait une stagflation dans le secteur privé de plusieurs économies nationales.

Si les dirigeants des États dotés d’armes nucléaires continuent de banaliser la menace d’une guerre nucléaire à grande échelle et de fantasmer sur l’idée démente qu’ils peuvent « gagner » une guerre nucléaire, le monde pourrait se diriger tout droit vers une catastrophe existentielle.

C’est pourquoi, il incombe à tous, dirigeants et citoyens, de militer pour l‘abolition des guerres, lesquelles ne font pas progresser l’humanité, mais la font plutôt régresser.

Rodrigue Tremblay

 

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Le Prof. Rodrigue Tremblay est professeur émérite d’économie à l’Université de Montréal et lauréat du Prix Richard-Arès pour le meilleur essai en 2018, La régression tranquille du Québec, 1980-2018, (Fides). Il est titulaire d’un doctorat en finance internationale de l’Université Stanford.

On peut le contacter à l’adresse suivante : [email protected]

Il est l’auteur du livre de géopolitique  Le nouvel empire américain et du livre de moralité Le Code pour une éthique globale, de même que de son dernier livre publié par les Éditions Fides et intitulé La régression tranquille du Québec, 1980-2018.

Site internet de l’auteur : http://rodriguetremblay.blogspot.com



Articles Par : Prof Rodrigue Tremblay

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