Le moral des troupes américaines et britanniques en Afghanistan s’effrite

Ce mois-ci a vu plusieurs reportages traitant du front afghan qui laissaient entrevoir combien la démoralisation gagnait les troupes américaines et britanniques là-bas pour tuer et se faire tuer au service d’une occupation néo-coloniale. Ces articles indiquent que de nombreux soldats pensent que cette guerre n’est pas justifiée et ne mérite pas de mourir pour elle.

Le 8 octobre, le Times de Londres a publié les commentaires d’aumôniers aux armées et de personnels militaires de deux bataillons de la 10e division de montagne qui sont dans le dernier trimestre d’un déploiement d’un an dans la province de Wardak, au sud de Kaboul. Sur 1500 hommes, 19 sont morts au combat, un s’est suicidé et au moins 100 ont subi des blessures graves. Les patrouilles ont sauté au moins 180 fois sur des engins explosifs improvisés [IED – improvised explosive devices] ou des mines. Plus de 100 autres dispositifs explosifs ont été détectés avant qu’ils explosent. Les troupes sont rarement aux prises directement avec la guérilla talibane, elles opèrent parmi une population civile qu’elles soupçonnent fortement de soutenir les insurgés contre l’occupation.

Le capitaine Sam Rico, aumônier dans un bataillon d’artillerie, a déclaré, « Tous ceux avec qui on parle sont découragés. Ils sentent qu’ils risquent leurs vies pour des gains qui sont difficiles à voir. Ils sont fatigués, épuisés, ils doutent et ils veulent juste s’en sortir. »

Pour le sergent Erika Cheney, spécialiste en santé mentale, « Ils sont fatigués, frustrés, traumatisés. Un grand nombre d’entre eux ont peur de partir [en patrouille], mais le font quand même. »

Un soldat de 20 ans, le spécialiste Raquime Mercer, commente, « Nous sommes perdus. C’est comme ça que je le sens. Je ne sais pas vraiment pourquoi on est là. J’ai besoin d’un objectif bien défini si je suis censé risquer d’être blessé ou de mourir ici. La principale question des soldats est : qu’est-ce qu’on peut faire pour arrêter cette guerre ? Qui faudrait-il capturer ? Quel objectif faut-il prendre ? Les soldats veulent des réponses précises, autre chose qu’arrêter les talibans, parce que ça semble quasi-impossible. C’est difficile d’attraper quelqu’un qu’on ne voit pas. »

La frustration, la peur et les pertes parmi les troupes d’occupation peuvent entraîner une haine et un désir de vengeance contre le peuple occupé. C’est ce qui a entraîné d’innombrables atrocités au cours des guerres coloniales.

Le spécialiste Éric Petty a déclaré au Times, « Les soldats sont en colère parce que des collègues perdent leur vie en essayant d’aider une population qui ne les aidera pas. Vous leur donnez toute l’aide humanitaire qu’ils veulent et ils vont quand même vous mentir. Ils vous diront qu’il n’y a pas de talibans dans la région et dès que vous vous mettez en route, à 3 mètres de leur maison, vous vous faites tirer dessus à nouveau. »

Les mêmes sentiments transparaissent dans un reportage du Times du 3 octobre sur les troupes britanniques qui opéraient autour de Sangin dans la province d’Helmand au cours des élections présidentielles en août. L’unité, le 2e bataillon d’infanterie, avait perdu 100 combattants, morts ou gravement blessés, sur 500 depuis le mois d’avril. Les auteurs notent que le taux de pertes est comparable à celui des intenses combats livrés en Europe au cours des dernières années de la Seconde Guerre mondiale.

Les patrouilles se font attaquer à seulement 500 mètres des murs de la base britannique, mais, comme dans la province de Wardak, les troupes d’Helmand sont rarement en contact visuel avec les insurgés talibans qui ont décimé leurs rangs avec des IED, des mines et des tirs embusqués.

Un caporal commente, « Quand on est venu ici la première fois, on se plaignait de ne pas avoir assez d’action. Comme on regrette ces mots maintenant — énormément. » Un autre jeune soldat déclare, « Je n’imagine pas terminer cette affectation sans me faire toucher par un tir. »Le correspondant du Times notait que « personne ne s’est jamais porté volontaire pour une patrouille qu’il n’avait pas à faire et je n’ai rencontré aucun soldat ici qui parle de « gagner » ».

Huit ans après le 11-Septembre, la propagande sur la « guerre contre le terrorisme » s’est évaporée. Les soldats sont au front d’une opération anti-insurrectionnnelle sanglante qui n’a qu’un objectif — soutenir le régime fantoche des États-Unis. La majeure partie des soldats est constituée de conscrits économiques. Dans un contexte où on ne trouve que des emplois offrant des salaires de misère et où le chômage augmente sans cesse, s’engager dans l’armée est une des rares solutions permettant à beaucoup de jeunes d’obtenir un emploi stable et un revenu décent.

Le caractère illégitime de ces guerres est incontestablement un facteur qui influe sur le grand nombre de vétérans d’Afghanistan et d’Irak qui reviennent de mission avec des troubles psychologiques. Les études révèlent qu’entre 20 et 30 pour cent de tous ceux qui ont servi dans ces conflits souffrent de PTSD [Post-Traumatic Stress Disorder – troubles de stress post-traumatiques] à un degré ou un autre. Ces troubles peuvent pousser des vétérans au suicide, les affecter jusqu’à les contraindre à vivre dans la rue, à prendre des drogues, et à commettre des crimes pour lesquels ils se retrouvent en prison.

Il y a actuellement 20.000 ex-soldats britanniques en prison ou en liberté conditionnelle, un nombre ahurissant, et la proportion de vétérans a augmenté de 30 pour cent au cours des cinq dernières années. Un représentant du syndicat des conseillers de probation britannique, Harry Fletcher, a déclaré au Guardian le mois dernier, « Il y a des preuves flagrantes que les soldats n’ont pas un soutien psychologique suffisant lorsqu’ils quittent le service. La prépondérance des troubles de stress post-traumatiques et des dépressions est alarmante. »

Selon des statistiques citées par le journal britannique Mirror, 67 ex-soldats britanniques se sont suicidés depuis 2001 après leur retour d’Afghanistan ou d’Irak et on croit que 31 autres décès pourraient aussi être des suicides.

Au début du mois, Dylan Kemp, 28 ans, commando de marine de l’armée de Sa Majesté, s’est pendu peu après son retour d’un déploiement de 7 mois de combats intenses en Afghanistan. Il avait été arrêté pour conduite automobile agressive et aurait frappé sa compagne. Celle-ci a déclaré au Mirror, « L’Afghanistan l’a poussé trop loin. Il disait dans sa lettre qu’il était sûr que beaucoup d’autres troufions finiraient aussi mal que lui. Il était tellement plein de rage. Ses blessures mentales ne pouvaient pas être soignées. »

Le taux de suicide parmi les militaires américains en service continue également à augmenter. À la fin du mois de septembre, il y a eu 117 suicides dans l’armée et 38 chez les Marines, et 35 autres décès sont encore en cours d’investigation. Les suicides parmi les Marines, qui constituent l’essentiel des 17.000 soldats supplémentaires envoyés en urgence par le gouvernement Obama en Afghanistan cette année, ont augmenté de 20 pour cent cette année. La majorité des Marines et des soldats qui ont mis fin à leur vie ont été déployés dans l’une de ces deux zones de guerre.

Article original , WSWS, paru le 17 octobre 2009



Articles Par : James Cogan

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