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Le mouvement de protestation en Égypte : Les « dictateurs » ne dictent pas, ils obéissent aux ordres
Par Prof Michel Chossudovsky
Mondialisation.ca, 04 février 2011
4 février 2011
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Face à un mouvement de protestation national, le régime de Moubarak pourrait s’effondrer. Quelles sont les perspectives d’avenir pour l’Égypte et le monde arabe?

Les « dictateurs » ne dictent pas, ils obéissent aux ordres. Cela est vrai en Égypte, en Tunisie et en Algérie.

Les dictateurs sont invariablement des pantins politiques. Les dictateurs ne décident pas.

Le président Hosni Moubarak était un fidèle serviteur des intérêts économiques occidentaux, comme l’était Ben Ali.

L’objet du mouvement de protestation est le gouvernement national.

L’objectif consiste à déloger le pantin plutôt que celui qui tire les ficelles.

En Égypte, les slogans sont « À bas Moubarak » « À bas le régime » et l’on ne rapporte aucune affiche anti-américaine… L’influence prédominante et destructrice des États-Unis en Égypte et à travers le Moyen-Orient n’est pas soulignée.

Les puissances étrangères qui opèrent dans les coulisses sont protégées de ce mouvement de protestations.

Il n’y aura pas de changement politique significatif sauf si le mouvement de protestation aborde sincèrement la question de l’interférence étrangère 

L’ambassade des États-Unis au Caire est une entité politique importante, faisant continuellement ombrage au gouvernement national. Celle-ci n’est pas une cible des manifestations.

Un programme dévastateur du Fonds monétaire international (FMI) a été imposé à l’Égypte en 1991, au plus fort de la guerre du Golfe. Il a été négocié en échange de l’annulation de la dette militaire de plusieurs milliards de dollars envers les États-Unis et la participation de l’Égypte à la guerre. La déréglementation du prix des aliments, la privatisation radicale et les mesures d’austérité massives qu’a entraînées ce programme ont mené à l’appauvrissement de la population égyptienne et à la déstabilisation de son économie. Le gouvernement Moubarak a été louangé comme un « élève modèle du FMI ».

Le rôle du gouvernement Ben Ali en Tunisie était d’appliquer la médecine économique fatale du FMI, laquelle a servi à déstabiliser l’économie nationale et à appauvrir la population tunisienne pendant une période de plus de vingt ans. Au cours des 23 dernières années, les politiques économiques et sociales en Tunisie ont été dictées par le consensus de Washington.

Hosni Moubarak et Ben Ali sont demeurés au pouvoir car leurs gouvernements ont obéi aux dictats du FMI et les ont appliqués.

De Pinochet et Videla à Bébé Doc, Ben Ali et Moubarak, les dictateurs ont été installés par Washington. Historiquement, en Amérique latine, les dictateurs ont été installés par une série de coups militaires financés par Washington. Dans le monde d’aujourd’hui, ils le sont par des « élections libres et justes » sous la supervision de la « communauté internationale ».

Notre message au mouvement de protestation :

Les véritables décisions sont prises à Washington DC, au département d’État, au Pentagone, à Langley, le quartier général de la CIA et à H Street NW, le quartier général de la Banque mondiale et du FMI.

 

La relation entre le « dictateur » et les intérêts étrangers doit être évoquée. Délogez les pantins politiques, mais n’oubliez pas de cibler les « vrais dictateurs ».

 

Le mouvement de protestation devrait se concentrer sur le véritable siège de l’autorité politique. Il devrait cibler (pacifiquement et calmement) l’ambassade des États-Unis, la délégation de l’Union européenne, les missions nationales du FMI et de la Banque mondiale.

 

Un changement politique significatif ne peut être assuré que si le programme de politiques économiques néolibérales est rejeté.

Changement de régime

Si le mouvement protestataire n’aborde pas le rôle des puissances étrangères, incluant la pression exercée par les « investisseurs », les créanciers extérieurs et les institutions financières internationales, l’objectif de souveraineté nationale ne sera pas atteint. Dans ce cas, il se produira un processus restreint de « changemement de régime » assurant la continuité politique.

Les « dictateurs » sont logés et délogés. Lorsqu’ils sont discrédités politiquement et ne servent plus les intérêts de leurs bailleurs de fonds étasuniens, ils sont remplacés par de nouveaux dirigeants, souvent recrutés dans les rangs de l’opposition politique.

En Tunisie l’administration Obama s’est déjà positionnée. Elle a l’intention de jouer un rôle clé dans le « programme de démocratisation » (par exemple, la tenue d’élections soi-disant libres). Elle a l’intention d’utiliser la crise politique comme moyen d’affaiblir le rôle de la France et de consolider sa position en Afrique du Nord.

Les États-Unis, qui ont rapidement mesuré l’effervescence des manifestations dans les rues tunisiennes, tentent de faire valoir leur point de vue et de faire pression pour que des réformes démocratiques aient lieu au pays et ailleurs.

L’envoyé le plus haut placé des États-Unis au Moyen-Orient, Jeffrey Feltman, a été le premier représentant étranger à arriver au pays après l’éviction du président Zine El Abidine Ben Ali le 14 janvier et a rapidement réclamé des réformes. Il a dit mardi que seules des élections libres et justes donneraient de la force et de la crédibilité au leadership assiégé de l’État nord-africain.

«Je m’attends certainement à ce que nous utilisions l’exemple tunisien » dans des pourparlers avec d’autres gouvernements arabes, a ajouté le secrétaire adjoint Feltman.

Il a été envoyé dans le pays nord-africain pour offrir l’aide des États-Unis dans la turbulente transition du pouvoir et a rencontré des ministres tunisiens et des personnalités de la société civile.

Feltman se rendra à Paris mercredi pour discuter de la crise avec des dirigeants français, amplifiant l’impression que les États-Unis mènent l’appui international pour une nouvelle Tunisie, au détriment de son ancien pouvoir colonial, la France […]

Les pays occidentaux ont longtemps appuyé le leadership tunisien évincé, le voyant comme un rempart contre les militants islamiques de la région nord-africaine.

En 2006, le secrétaire à la Défense de l’époque Donald Rumsfeld a louangé à Tunis l’évolution du pays.

La secrétaire d’État étasunienne Hillary Clinton est intervenue hâtivement avec un discours à Doha le 13 janvier, où elle sommait les dirigeants arabes de donner davantage de liberté à leurs citoyens, sinon ils risquaient que les extrémistes exploitent la situation.

« Il ne fait aucun doute que les États-Unis tentent de se positionner rapidement du bon côté […] » (AFP: US helping shape outcome of Tunisian uprising. C’est l’auteur qui souligne)

Washington réussira-t-il à installer un nouveau régime fantoche?

Cela dépend grandement de la capacité du mouvement de protestation à aborder le rôle insidieux des États-Unis dans les affaires internes du pays.

Les pouvoirs prédominants de l’empire ne sont pas mentionnés. Ironie amère du sort, le président Obama a donné son appui au mouvement protestataire.

Bien des gens au sein de ce mouvement sont portés à croire que le président Obama se consacre à la démocratie et aux droits humains, et qu’il appuie la détermination de l’opposition à déloger un dictateur qui a été placé, en premier lieu, par les États-Unis.

La cooptation des dirigeants de l’opposition

En prévision de la chute d’un gouvernement fantoche autoritaire, la cooptation des dirigeants des principaux partis de l’opposition et des organisations de la société civile fait partie du plan de Washington, un plan appliqué dans différentes régions du monde.

Le processus de cooptation est implanté et financé par des fondations d’origine étasunienne, dont National Endowment for Democracy (NED) et  Freedom House (FH). FH et le NED ont tous deux des liens avec le Congrès étasunien, le Council on Foreign Relations (CFR) et le milieu des affaires. Ils sont également connus pour leurs liens avec la CIA.

Le NED est impliqué activement en Tunisie, en Égypte et en Algérie. Freedom House appuie pour sa part plusieurs organisations de la société civile en Égypte.

« Le NED a été créé par l’administration Reagan après le dévoilement du rôle de la CIA dans le financement clandestin des activités visant à renverser des gouvernements étrangers, ce qui a mené au discrédit des partis, des mouvements, des revues, des livres, des journaux et des individus qui recevaient du financement de la CIA […] En tant que fondation bipartisane, avec la participation des deux principaux partis, ainsi que celle de l’AFL-CIO et de la Chambre de commerce, le NED a pris le contrôle du financement des renversements à l’étranger, mais ouvertement et sous la rubrique de la « promotion de la démocratie ». (Stephen Gowans, « What’s left », janvier 2011« )

Alors que les États-Unis ont appuyé le gouvernement Moubarak au cours des trente dernières années, les fondations étasuniennes ayant des liens avec le département d’État et le Pentagone ont soutenu activement l’opposition politique, incluant le mouvement de la société civile. Selon FH : « La société civile égyptienne est à la fois vivante et restreinte. Il existe des centaines d’organisations non gouvernementales dévouées à l’essor des droits politiques et des droits de la personne dans le pays et qui fonctionnent dans un milieu hautement réglementé. (Freedom House Press Releases).

Ironie amère du sort, Washington appuie la dictature de Moubarak, incluant ses atrocités, tout en soutenant et en finançant ses détracteurs par les activités de FH et de NED, entre autres.

Sous les auspices de FH, les dissidents égyptiens et les opposants d’Hosni Moubarak ont été reçus en mai 2008 par Condoleezza Rice au département d’État et au Congrès des États-Unis. Ils ont également rencontré le conseiller national pour la sécurité de la Maison-Blanche Stephen Hadley, lequel était « le principal conseiller en politique étrangère de la Maison-Blanche » durant le second mandat de George W. Bush.

Les efforts de Freedom House visant à donner du pouvoir à une nouvelle génération de partisans ont donné des résultats tangibles et le programme New Generation en Égytpe a acquis de l’importance localement et internationalement. Lors d’une visite [en mai 2008], les membres de tous les groupes de la société civile égyptienne ont reçu une attention et une reconnaissance sans précédent, incluant des rencontres à Washington avec la secrétaire d’État, le conseiller national pour la sécurité et des membres éminents du Congrès. Pour reprendre ce que disait Condoleezza Rice, les associés représentent « de l’espoir pour l’avenir de l’Égypte ». (Freedom House, http://www.freedomhouse.org/template.cfm?page=66&program=84, c’est l’auteur qui souligne.)

Double langage politique : bavarder avec des « dictateurs » et socialiser avec des « dissidents »

Condoleezza Rice a décrit la délégation égyptienne en faveur de la démocratie en visite au département d’État comme « de l’espoir pour l’avenir de l’Égypte ».

En mai 2009, Hillary Clinton a rencontré une délégation de dissidents égyptiens, parmi lesquels plusieurs avaient rencontré Condoleezza Rice un an auparavant. Ces rencontres de haut niveau se sont tenues une semaine avant la visite d’Obama en Égypte :

La secrétaire d’État Hillary Clinton a encensé le travail d’un groupe d’activistes égyptiens de la société civile qu’elle a rencontré aujourd’hui et a déclaré qu’il était dans l’intérêt de l’Égypte de cheminer vers la démocratie et de manifester davantage de respect pour les droits de la personne.

À Washington, les seize activistes ont rencontré Mme Clinton et le secrétaire d’État adjoint par intérim responsable des affaires au Proche-Orient Jeffrey Feltman, au terme d’un stage de deux mois organisée par le programme New Generation de FH.

Les stagiaires ont exprimé des préoccupations à propos de leur perception que les États-Unis se distancient de la société civile égyptienne et ont appelé le président Obama à rencontrer de jeunes activistes de la société civile indépendants lors de sa visite au Caire la semaine prochaine. Ils ont également vivement conseillé à l’administration Obama de continuer à fournir un soutien politique et financier à la société civile égyptienne et d’aider à ouvrir la voie aux organisations non gouvernementales dans l’espace très limité par la loi d’urgence égyptienne en vigueur depuis longtemps.

Ils ont par ailleurs déclaré à Mme Clinton qu’un engouement pour les droits de la personne était déjà en train de prendre naissance en Égypte et que l’appui des États-Unis constituait en ce moment un besoin urgent. Les activistes ont insisté sur le fait que la société civile représente en Égypte une « troisième voie » modérée et pacifique, une alternative aux éléments autoritaires au sein du gouvernement et à ceux qui soutiennent un gouvernement théocratique. (Freedom House, mai 2009)

Au cours de leur programme, les stagiaires ont passé une semaine à Washington. Ils ont été formés pour défendre des intérêts et ont pu observer la façon dont la démocratie étasunienne fonctionne. Après leur formation, ils ont été associés à des organisations de la société civile à travers le pays, où ils ont partagé leurs expériences avec leurs homologues étasuniens. Les activistes concluront leur programme […] par des rencontres avec des représentants du gouvernement des États-Unis, des membres du Congrès, des médias et des cercles de réflexion. (Freedom House, mai 2009, c’est l’auteur qui souligne)

Ces groupes d’opposition de la société civile, lesquels jouent actuellement un rôle important dans le mouvement de protestation, sont soutenus et financés par les États-Unis. Ils servent continuellement les intérêts étasuniens. 

L’invitation de dissidents égyptiens au département d’État et au Congrès étasunien est également censée inculquer une impression d’allégeance aux valeurs démocratiques étasuniennes et d’engagement envers elles. Les États-Unis sont présentés comme un modèle de liberté et de justice, et Obama est considéré comme un « exemple ».

 

Dissidents égyptiens, stagiaires de Freedom House à Washington DC (2008)

US Secretary of State Hillary Clinton speaks with Egyptian activists promoting freedom and democracy, visiting through the Freedom House organization, prior to meetings at the State Department in Washington, DC, May 28, 2009.

La secrétaire d’État étasunienne Hillary Clinton parle avec des « activistes égyptiens promouvant la liberté et la démocratie » avant des réunions avec le département d’État à Washington, DC, le 28 mai 2009.

Comparez la photo de la délégation de 2008, reçue par Condoleezza Rice, à celle de la délégation de 2009, rencontrant par Hillary Clinton en mai de la même année.

Hillary Clinton et Hosni Moubarak à Charm el-Cheikh, en septembre 2010

Condoleezza Rice discute avec Hosni Moubarak?  « De l’espoir pour l’avenir de l’Égypte. »

Condoleezza Rice (quatrième à gauche) s’adresse aux membres de  Freedom House.

Ceux qui tirent les ficelles appuient le mouvement de protestation contre leurs propres pantins

Ceux qui tirent les ficelles appuient la dissidence contre leurs propres pantins?

Cela s’appelle « exploitation politique » ou « dissidence fabriquée ». Appuyer les dictateurs ainsi que leurs opposants comme moyen de contrôler l’opposition politique.

Ces actions de FH et du NED pour le compte des administrations Bush et Obama garantissent que l’opposition dans la société civile, financée par les États-Unis, ne dirigera pas ses énergies contre celui qui tire les ficelles du régime de Moubarak, à savoir, le gouvernement étasunien.

Ces organisations civiles financées par les États-Unis agissent à titre de « cheval de Troie », lequel s’intègre au mouvement protestataire. Elles protègent les intérêts des tireurs de ficelles et constituent une garantie que les manifestations populaires n’aborderont pas la question de l’interférence étrangère dans les affaires des États souverains.

Les blogueurs de Facebook et Twitter soutenus et financés par Washington

En ce qui concerne le mouvement de protestation en Égypte, plusieurs groupes de la société civile financés par des fondations d’origine étasunienne ont mené les manifestations sur Twitter et Facebook :

Les activistes du mouvement égyptien Kifaya (Assez), une coalition d’opposants du gouvernement, et le Mouvement jeunesse du 6 avril ont organisé des manifestations sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter. Les reportages occidentaux ont dit que Twitter semblait bloqué en Égypte en fin de journée mardi. (Voir Voice of America, Egypt Rocked by Deadly Anti-Government Protests)

Kifaya (Assez)

Le mouvement Kifaya, qui a organisé une des premières manifestations contre le régime Moubarak à la fin 2004, est soutenu par l’organisation d’origine étasunienne International Center for Non-Violent Conflict. Kifaya est un mouvement à grande échelle ayant également pris position sur la Palestine et l’interventionnisme des États-Unis dans la région.

FH a été pour sa part impliqué dans la promotion et la formation de blogs sur Facebook et Twitter au Moyen-Orient et en Afrique du Nord :

Les stagiaires de Freedom House ont acquis des compétences dans la mobilisation de la société civile, en leadership et en planification stratégique, et profitent des opportunités de réseautage par leur interaction avec des donateurs situés à Washington, des organisations internationales et les médias. De retour en Égypte, les stagiaires ont reçu de petites subventions pour implanter des initiatives innovatrices comme la revendication de réformes politiques par Facebook et la messagerie texte. (http://www.freedomhouse.org/template.cfm?page=66&program=84, c’est l’auteur qui souligne)

Du 27 février au 13 mars [2010], Freedom House a reçu 11 blogueurs du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord [affiliés à différentes organisations de la société civile] pour une Visite pédagogique des nouveaux médias de pointe à Washington D.C. Cette visite pédagogique a offert aux blogueurs une formation en sécurité numérique, en production de vidéos numériques, en conception de message et en cartographie numérique. Lors de leur passage dans le district de Columbia, les stagiaires ont aussi participé à un breffage du Sénat et ont rencontré des représentants de haut rang d’USAID, du département d’État, du Congrès et des médias internationaux comme Al-Jazeera et le Washington Post. (http://www.freedomhouse.org/template.cfm?page=115&program=84&item=87, c’est l’auteur qui souligne)

L’on peut facilement redouter l’importance qu’attache l’administration étasunienne à ces « programmes de formation » de blogueurs, combinés à des rencontres de haut niveau au Sénat, au Congrès et au département d’État des États-Unis, etc.

Le rôle des médias sociaux Facebook et Twitter comme moyen d’expression de la dissidence doit être soigneusement évalué : les blogueurs de la société civile sont appuyés par FH, le NED et le département d’État étasunien.

Citant un message diffusé sur Internet, BBC News World (diffusé au Moyen-Orient) a rapporté que « les États-Unis envoient de l’argent aux groupes en faveur de la démocratie ». (BBC News World, 29 janvier 2010). Le Mouvement jeunesse du 6 avril est soutenu clandestinement par Washington. Selon un reportage du Daily Telegraph citant un document secret de l’ambassade étasunienne (29 janvier 2011) :

Les manifestations en Égypte sont menées par le Mouvement jeunesse du 6 avril, un groupe Facebook ayant attiré principalement de jeunes gens éduqués opposés au régime de Moubarak. Le groupe comprend environ 70 000 membres et utilise les sites de réseautage pour orchestrer leurs manifestations et informer sur leurs activités.

Les documents publiés par WikiLeaks révèlent que des représentants étasuniens au Caire ont été régulièrement en contact avec l’activiste tout au long de 2008 et 2009, le considérant comme l’une de leurs sources d’information les plus fiables sur les violations des droits de la personne » (C’est l’auteur qui souligne)

Les Frères musulmans

En Égypte, les Frères musulmans constituent le segment le plus important de l’opposition au président Moubarak et, selon les reportages, ils dominent le mouvement de protestation.

Alors que la Constitution interdit les partis politiques religieux, les membres des Frères musulmans élus au Parlement égyptien comme « indépendants » forment le plus grand bloc parlementaire.

Cependant, les Frères musulmans ne représentent pas une menace directe pour les intérêts économiques et stratégiques de Washington dans la région. Les agences de renseignement occidentales ont une longue histoire de collaboration avec les Frères musulmans. L’appui de la Grande-Bretagne aux Frères musulmans, instrumentalisés par les services secrets britanniques, remonte à 1940. Selon l’ancien représentant du renseignement William Baer, à partir des années 1950, « [l]a CIA [a acheminé] du soutien aux Frères musulmans en raison de leur admirable capacité à renverser Nasser ». (1954-1970: CIA and the Muslim Brotherhood Ally to Oppose Egyptian President Nasser) Ces liens clandestins avec la CIA ont été maintenus dans l’ère post-Nasser.

Conclusions

La déposition d’Hosni Moubarak figure depuis plusieurs années sur la planche à dessin de la politique étrangère étasunienne.

Le changement de régime sert à assurer la continuité, tout en donnant l’illusion qu’un changement politique significatif a eu lieu.

Le programme de Washington pour l’Égypte a été de « détourner le mouvement de protestation » et de remplacer le président Hosni Moubarak par un nouveau chef d’État, un pantin obéissant. L’objectif de Washington est de soutenir les intérêts des puissances étrangères et de maintenir le programme économique néolibéral ayant servi à appauvrir la population égyptienne.

Du point de vue de Washington, le changement de régime ne nécessite plus l’installation d’un régime militaire autoritaire comme à l’âge d’or de l’impérialisme étasunien. Ce changement peut être implanté en cooptant des partis politiques, incluant la gauche, en finançant des groupes de la société civile, en infiltrant des mouvements protestataires et en manipulant les élections nationales.

En faisant référence au mouvement de protestation en Égypte, le président Obama a déclaré dans une vidéo diffusée sur You Tube le 28 janvier : « Le gouvernement ne devrait pas recourir à la violence. » La question plus fondamentale est : quelle est la source de cette violence? L’Égypte est le plus important bénéficiaire de l’aide militaire des États-Unis après Israël et l’Armée égyptienne est considérée comme le fondement du pouvoir du régime Moubarak :

« Les forces militaires et policières du pays sont armées jusqu’aux dents grâce à plus d’un milliard de dollars d’aide militaire de Washington annuellement […] Lorsque les États-Unis décrivent officiellement l’Égypte comme « un allié important », ils font référence par inadvertance au rôle de Moubarak comme garnison pour les opérations militaires et les tactiques de guerre sale des États-Unis au Moyen-Orient et au-delà. Des groupes de défense des droits de la personne détiennent des preuves évidentes que d’innombrables « suspects  » livrés par les forces étasuniennes dans les divers territoires où ils poursuivent leurs activités (criminelles) sont secrètement largués en Égypte pour des « interrogatoires en profondeur ». Le pays sert de gigantesque Guantanamo du Moyen-Orient, occulté commodément de l’intérêt public étasunien et exempté des subtilités légales concernant les droits de la personne » (Finian Cunningham, Egypt: US-Backed Repression is Insight for American Public, Global Research, 28 janvier 2010).

Les États-Unis ne sont pas un « exemple » de démocratisation pour le Moyen-Orient. La présence militaire étasunienne imposée à l’Égypte et au monde arabe depuis plus de 20 ans, combinée à des réformes de « libre-marché » sont la cause profonde de la violence étatique.

Les États-Unis ont l’intention d’utiliser le mouvement de protestation pour installer un nouveau régime.

Le mouvement populaire devrait rediriger ses énergies en identifiant la relation entre les États-Unis et « le dictateur » et en délogeant le pantin politique des États-Unis, sans oublier de cibler les « vrais dictateurs ».

Le mouvement populaire devrait :

Dévier le processus de changement de régime.

Démanteler les réformes néolibérales.

Fermer les bases militaires étasuniennes dans le monde arabe.

Instaurer un gouvernement véritablement souverain.

Article original en anglais : The Protest Movement in Egypt: « Dictators » do not Dictate, They Obey Orders, publié le 29 janvier 2011.

Traduit par Julie Lévesque pour Mondialisation.ca.

Michel Chossudovsky est directeur du Centre de recherche sur la mondialisation et professeur émérite de sciences économiques à l’Université d’Ottawa. Il est l’auteur de Guerre et mondialisation, La vérité derrière le 11 septembre et de la Mondialisation de la pauvreté et nouvel ordre mondial (best-seller international publié en 12 langues).    


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