Le Nord et l’OMS tentent de réhabiliter le «tout au privé»
MÉDICAMENTS – La grogne des pays pauvres a bloqué l’enterrement en douce de l’héritage du groupe Dreifuss.
La puissance publique doit-elle pallier le désintérêt des pharmas pour les maladies de pauvres? Le Comité exécutif de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la semaine dernière à Genève, a donné lieu à un nouvel affrontement entre pays du Sud et du Nord, qui a failli se transformer en rébellion ouverte. A l’origine du conflit, le rapport d’un groupe de travail intergouvernemental. Se fondant sur le travail de la Commission sur les droits de propriété intellectuelle, l’innovation et la santé publique (CIPIH – dite Commission Dreifuss), ce groupe devait trouver un moyen d’encourager le développement de médicaments et de vaccins répondant aux besoins spécifiques des pays pauvres et d’améliorer l’accès aux médicaments, tout en maintenant la protection conférée par le système des brevets. Bref, la quadrature du cercle.
En novembre 2008, un groupe d’experts avait été chargé d’étudier «des propositions de sources de financement nouvelles et innovantes». Son rapport est attendu pour le Comité exécutif de cette semaine. La grogne a commencé lorsqu’on a annoncé que le texte n’était pas prêt. En lieu et place, le Comité en a reçu le sommaire en version anglaise. Mais le vrai lever de boucliers s’est fait quand le président du Comité a proposé tout de même de voter le rapport sur cette base. Or, au dire de Médecins sans frontières (MSF), ce document «semble approuver le rôle de la propriété intellectuelle comme incitation à la recherche». Ce qui irait, poursuit l’ONG, «à l’encontre du rapport CIPIH, qui a conclu incontestablement que la propriété intellectuelle est un échec s’agissant de l’incitsation à la recherche-développement (R.-D.) pour les maladies dont souffrent des millions de personnes dans les pays en voie de développement et agit plutôt comme barrière à l’accès aux médicaments qui pourraient sauver des vies». Autre point primordial, selon MSF: la nécessité de dissocier la R.-D. du prix des médicaments. Ce serait donc un retour au rôle de l’Etat agissant dans l’intérêt de la collectivité, idée que le sommaire écarte en faveur d’une R.-D. dictée par les besoins de rémunération du secteur commercial. Durant la séance de mardi, le Japon, l’Union européenne et les Etats-Unis ont appuyé la proposition du président, afin que l’Assemblée mondiale de la santé de mai prochain puisse en adopter les recommandations comme politique de santé internationale. La contre-attaque est venue du Brésil, d’Inde, de Thaïlande et de Bolivie, exigeant une consultation impérative de tous les pays membres avant que le rapport passe devant l’Assemblée. Le délégué thaïlandais n’a pas mâché ses mots: «Le groupe de travail aurait dû bénéficier d’une meilleure gestion, et nous ne faisons aucunement confiance à son travail.» Pis, il dénonce le manque de transparence et s’étonne que des sociétés pharmaceutiques aient eu accès à la première mouture du rapport tandis que les Etats-membres de l’OMS ne l’ont toujours pas vu mais sont appelés à l’approuver. Ce que le président du groupe de travail n’a pas nié.
La Bolivie a rappelé que, selon sa constitution, l’accès aux soins ne doit pas être limité par des considérations du marché ou des brevets. Et de répéter l’appel à une consultation. Le Chili, le Paraguay et le Bangladesh lui ont emboîté le pas. La docteure Margaret Chan, directrice générale de l’OMS, essaie de calmer le jeu en promettant une enquête en profondeur pour trouver la source de la fuite vers le secteur commercial. Mais elle ne dit mot sur une éventuelle consultation, qui risquerait fort d’aboutir à un rejet total de conclusions qu’elle appuie. Après un débat houleux, il a été finalement décidé de reprendre le rapport en consultation juste avant l’ouverture de l’Assemblée en mai en présence des représentants tous les Etats-membres. Affaire à suivre.