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Le nouveau gouvernement Sarkozy hôte d’une conférence sur le Darfour
Par Alex Lantier
Mondialisation.ca, 05 juillet 2007
WSWS 5 juillet 2007
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Les représentants des Etats-Unis, de la France, de l’Union européenne (UE), de la Ligue arabe, de la Russie et de la Chine se sont réunis le 25 juin à Paris pour discuter de possibles opérations de pacification au Darfour, une province du Soudan ravagée par la guerre. La presse a largement présenté cette conférence comme une façon pour le nouveau président français, Nicolas Sarkozy, et son ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, de démontrer qu’ils avaient une attitude plus accommodante envers Bush que le prédécesseur de Sarkozy, Jacques Chirac.

Entre autres, il fut proposé à la conférence de déployer une force de maintien de la paix conjointe de l’ONU et de l’Union africaine (UA) comptant 20 000 soldats au Darfour et de faire usage des troupes françaises dans le Tchad voisin pour ouvrir des « corridors humanitaires » au Darfour. Sarkozy a dit que la France donnerait 10 millions d’euros à la force de l’UA comptant 7000 soldats présentement au Darfour. Les représentants de l’UE ont promis 42 millions d’euros en aide humanitaire. La France pourrait aussi augmenter le nombre de ses soldats qu’elle déploie au Tchad, prétendument pour acheminer plus d’aide humanitaire aux réfugiés du Darfour se trouvant dans ce pays.

La conférence n’avait pratiquement qu’un caractère symbolique. Comme le quotidien français Le Monde l’a remarqué avant la conférence, « les délégations devaient disposer seulement de trois heures de discussions, et aucun communiqué final n’est même prévu. Des engagements financiers sur l’aide humanitaire et sur la contribution à une future force de paix sont espérés ». Toutefois, à part de petits dons de la France et de l’UE, il n’y a pas eu d’autres engagements. Les pays de l’UA, d’où proviendraient la plus grande partie des troupes d’une force de maintien de la paix, n’ont même pas été invités à la conférence !

Même si les mesures proposées devaient être entièrement mises en œuvre, toutefois, elles demeuraient inadéquates pour résoudre les conséquences tragiques du conflit au Darfour. Au contraire, l’intervention de forces étrangères dans la région ferait partie d’une tentative plus large de l’Occident pour exploiter la tragédie soudanaise pour réaliser ses ambitions. L’oppression et la misère au Soudan ne s’amélioraient nullement.

Les dénonciations des milices janjawid armées par Khartoum au Darfour publiées régulièrement dans la presse américaine et européenne cachent la situation complexe de la violence et de la militarisation gagnant toute cette région. Les atrocités commises par les milices janjawid sont loin d’être l’unique facteur du carnage au Darfour.

Les milices au Darfour s’opposant à Khartoum — qui ont été tout d’abord menées par l’Armée de libération du Soudan (ALS), la branche armée du Mouvement de libération du Soudan(A/MLS), dirigée par Minni Minaoui et le Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) de Khalil Ibrahim — ont commencé à se battre entre elles, divisées sur la question du respect de l’accord de paix d’Abuja de mai 2006.

Les combats ont continué presque sans interruption depuis avril 2003, lorsqu’une force conjointe de l’A/MLS et du MJE ont pris d’assaut l’aéroport de la capitale au nord du Darfour Nord, el-Fasher. Khartoum a répondu en armant des tribus locales, la plupart des groupes nomades arabes, et en les organisant en milices janjawid pour attaquer les secteurs où on l’on croyait que l’A/MLS et le MJE avaient gagné l’appui de la population. L’A/MLS et le MJE ont prétendument commencé à recruter des forces dans les camps de réfugiés soudanais au Tchad. Les voleurs de grand chemin et les gangs tribaux ont aussi fait beaucoup de morts. Selon les données de l’ONU, les combattants de l’A/MLS et les combats entre tribus sont responsables de 20 à 36 pour cent respectivement du nombre total des personnes déplacées depuis le début de 2007.

Les combats se sont propagés aux pays voisins, le Tchad et la République centrafricaine (RCA). Ces deux pays sont extrêmement pauvres et endettés, et dépendent donc du Fond monétaire international (FMI). Les pressions du FMI visant à ce que les gouvernements remboursent leurs prêts ont entraîné, dans les deux pays, des mutineries dans des sections de l’armée qui n’avaient pas été payées par le gouvernement. De plus, des troupes et des avions de la France sont cantonnés dans les deux nations.

La situation dans la RCA est devenue chaotique, alors que le gouvernement central de François Bozizé ne semble pas contrôler beaucoup plus que la capitale de Bangui. Amnistie internationale a déclaré récemment que « Les régions du nord [de la RCA] sont devenues le théâtre d’une mêlée générale — un terrain de chasse pour les diverses forces d’opposition armées de la région, les troupes gouvernementales, et même les bandits armés. » La situation au Tchad est aussi grandement instable; la France est intervenue en avril 2006 pour renverser un coup d’État soutenu par Khartoum. 

Le conflit au Darfour est aussi attisé par une lutte de plus en plus désespérée pour les terres. L’augmentation des températures et la diminution des précipitations ont réduit la productivité des terres, ce qui a un impact sur la vie des fermiers et des bergers qui forment la majeure partie de la population de la région. Selon Jeune Afrique, Khartoum encouragerait les recrues des Janjawid en leur donnant le droit de conserver toute terre qu’ils pourraient s’approprier. La désertification (dégradation des terres en zones arides) menace aussi le Darfour, alors que le Sahara se déplace de plus en plus vers le sud à cause des changements climatiques. 

En vérité, la conférence de Paris de lundi de la semaine dernière n’avait rien à voir avec un effort sérieux pour résoudre la crise au Darfour. Aucun des problèmes sociaux à la base de cette tragédie — la crise de l’agriculture, la destruction des finances publiques sous la supervision du FMI, l’absence d’infrastructures industrielles et sanitaires, et la situation de guerre civile permanente — ne peut être résolu en déployant quelques milliers de soldats de plus dans les zones touchées, qui s’étendent sur plusieurs centaines de milliers de kilomètres carrés. Et ce n’était de toute façon pas l’intention des participants à la conférence de Paris.

D’une part, Sarkozy tente de montrer que les ressources africaines de l’impérialisme français font de ce dernier un précieux associé de Washington. Comme le nota le quotidien français Le Monde, « après le Liban, le nucléaire iranien et la lutte antiterroriste, il est désormais question d’unir les efforts pour mettre fin à un drame que les Etats-Unis ont qualifié de « génocide », et la France de « catastrophe humanitaire » ».   

Le Monde fit remarquer sur un ton satisfait : « L’implication de la France sur le Darfour est jugée utile à Washington, car Paris dispose de leviers dans la région (Tchad, Centrafrique) et de contacts que l’administration américaine n’a pas (Erythrée). » Il n’a toutefois pas expliqué comment les « leviers » de la France allaient changer la situation. Cependant, le Tchad (qui soutient le MJE), l’Erythrée (qui soutient l’A/MLS) et la République centrafricaine hébergent toutes les principales bases et partisans locaux des forces anti-Khartoum du Darfour. Implicite dans le commentaire du journal Le Monde est la notion que la France peut organiser les groupes d’opposition du Darfour en un tout cohérent.  

De précieuses ressources sont en jeu au Soudan, notamment ses importantes réserves de pétrole qui génèrent présentement deux milliards $ en revenus, et les investissements liés à ces ressources. En ce moment, la majorité du pétrole soudanais est achetée par la Chine, dont environ 8 pour cent de l’apport total de pétrole provient de la nation de l’Afrique de l’Est et qui y a investi autour de six milliards $. D’importants journaux américains, et peut-être plus particulièrement le New York Times et son chroniqueur Nicholas Kristof, ont exigé à maintes reprises que la Chine réduise sa présence au Soudan pour la durée de la crise au Darfour.

C’est le 9 mai, lorsque Tom Lantos, représentant démocrate au congrès, envoya une lettre au président chinois Hu Jintao, que cette demande est entrée dans le dossier politique officiel. Dans la lettre, il accueille la décision de la Chine de mettre fin aux incitatifs accordés à ses compagnies pour investir au Soudan et attaque la Chine pour sa politique de vente d’armes et de prêts à Khartoum. Après avoir brandi la menace que des activistes américains pourraient bien réussir à baptiser les jeux Olympiques de Beijing d’« Olympiques génocides », il conclut « à moins que la Chine fasse sa part afin de s’assurer que le gouvernement soudanais accepte la voie vers la paix la meilleure et la plus raisonnable, l’histoire va juger votre gouvernement pour avoir soutenu un génocide. » 

L’insistance de Washington à présenter le groupe janjawid  soutenu par Khartoum comme étant engagé dans un « génocide » vise à forcer une intervention militaire de l’ONU, qui est obligatoire en vertu de la Convention 1984 de l’ONU sur les génocides, une fois qu’un acte de génocide est universellement reconnu. 

Cependant, le volontarisme de la France à servir les intérêts de l’impérialisme américain au Soudan, ne va pas jusqu’à un appui sans ambiguïté à une action militaire au Soudan. Comme le notait le Figaro, le gouvernement français a de manière significative étiqueté le Darfour de « catastrophe humanitaire » et non de génocide. La décision de la télévision France 24 d’accorder une longue entrevue à Rony Brauman, un universitaire français et sympathisant du groupe rebelle au Darfour, qui critiquait les plans d’intervention militaire au Soudan, suggère qu’il y a des divisions et de l’anxiété au sein de l’establishment français des Affaires étrangères.

Le rapprochement entre l’impérialisme  français et américain ne va vraisemblablement pas durer.  En effet, leur histoire commune en Afrique est marquée par des oppositions directes, notamment durant la crise du génocide au Rwanda en 1994 et dans la guerre civile au Congo-Zaïre.

Le rôle du ministre des Affaires étrangères français, Bernard Kouchner, est éloquent. Ayant tout d’abord été membre du Parti communiste français dans les années 1960, il s’est tourné vers la droite après le mouvement étudiant et la grève générale de 1968. Frustré par la bureaucratie de la Croix rouge internationale pour laquelle il a été médecin au Biafra durant la guerre civile nigérienne de 1967-1970, il fonda Médecins sans frontières (MSF) une organisation humanitaire internationale.

En tant que dirigeant de MSF, il bénéficia d’une couverture médiatique positive considérable de la presse française et internationale. Il revint à la politique française en tant que membre du Parti socialiste, servant différentes administrations dans les années 1980. Il s’adapta rapidement à l’explosion du militarisme américain, développant le concept « d’intervention humanitaire » et même de « frappe préventive humanitaire ».

Maintenant, comme premier geste majeur en tant que ministre des Affaires étrangères, l’ancien gauchiste et philanthrope bien connu préside une réunion dont l’objectif fondamental, si l’on met de côté les platitudes hypocrites, est de faciliter une nouvelle « ruée vers l’Afrique » de type colonial.

Article original en anglais paru le 30 juin 2007.

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