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Le pétrole ne fait pas le bonheur
Par Andrew North
Mondialisation.ca, 15 octobre 2009
Courrier international 15 octobre 2009
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La population est peu satisfaite des retombées liées à l’implantation d’entreprises étrangères. Les habitants d’Al-Mazzagh, au sud de Bagdad, sont les premiers à en témoigner.

Un officier de police irakien patrouille sur un champ pétrolifère, Zubair, février 2009

© AFP. Un officier de police irakien patrouille sur un champ pétrolifère, Zubair, février 2009

C’est la première compagnie pétrolière étrangère à conclure un accord de production avec l’Etat irakien depuis 2003 [chute du régime de Saddam Hussein]. Ironie du sort, elle est originaire d’un pays qui fait de plus en plus figure de grand rival des Etats-Unis : la Chine. Un an après avoir signé un contrat de 3 milliards de dollars [2 milliards d’euros] pour l’exploitation pendant vingt-trois ans du petit gisement d’Al-Ahdab, dans la province de Wasit, au sud de Bagdad, la China National Petroleum Corporation (CNPC) a déjà trouvé du pétrole. Mais, à Al-Mazzagh, le village voisin, la grogne gagne les habitants. Ils se plaignent d’avoir été oubliés.

L’accord avec les Chinois montre que l’Irak est prêt à accueillir des groupes pétroliers étrangers. BP, Shell et de nombreux autres géants occidentaux se bousculent pour accéder à ce que le ministre du Pétrole, Hussein Sharistani, appelle la “dernière frontière” pour les grandes découvertes d’or noir. Avec un budget presque entièrement tributaire des revenus pétroliers, le gouvernement irakien s’efforce d’accroître la production, qui est à peine revenue au niveau d’avant 2003. Aussi s’est-il tourné vers les entreprises étrangères, lesquelles sont décidées à saisir une chance qui ne s’était pas présentée depuis des dizaines d’années. Les réserves de l’Irak figurent au troisième rang dans le monde et comprennent de nombreux gisements encore inexploités. Et, comme beaucoup de compagnies étrangères sont habituées à travailler dans des régions difficiles, la situation toujours délicate sur le plan sécuritaire ne sera pas de nature à les décourager.

Les autorités régionales du Kurdistan irakien ont signé quelques accords séparés avec des pétroliers étrangers. Mais le gouvernement ­central de Bagdad a jusqu’ici refusé de les reconnaître, et menace d’interdire aux compagnies signataires de participer aux appels d’offres pour d’autres contrats. Toutefois, la plus grosse difficulté viendrait des Irakiens vivant dans les zones productrices, comme les Chinois s’en sont aperçus à leurs dépens. Leurs opérations de forage sur le champ d’Ahdab se trouvent juste à côté du village d’Al-Mazzagh. Abou Abed, un habitant du village, voit se dresser juste en face de sa porte les murs antidéflagration et les miradors en béton qui protègent l’une des plates-formes de forage chinoises. “Ils m’ont promis de m’indemniser, explique-t-il. Mais je n’ai toujours rien reçu.” L’arrivée des pétroliers avait également fait espérer la création de nombreux emplois. “On croyait que tout le monde trouverait du travail”, se souvient Zahi. Jusqu’à présent, la CNPC n’a engagé que quelques vigiles. Elle assure ne pas pouvoir faire plus pour les gens du coin. “Nous sommes désolés, mais ils ne possèdent pas les compétences nécessaires et ne parlent pas anglais”, justifie un cadre de la CNPC.

Même si, au village, certains continuent à dire que les Chinois sont les bienvenus, le climat s’est détérioré. Des actes de sabotage ont été signalés. Par exemple, des lignes électriques desservant les installations de forage ont été coupées. Le gouvernement irakien a renforcé la surveillance du complexe, et des hélicoptères d’une base américaine des environs survolent parfois le site. Une fois que la production aura démarré pour de bon, le projet sera appelé à se développer. Zahi met en garde contre des ennuis possibles si son village n’en tire pas alors quelques avantages tangibles. “Les gens qui n’ont pas de boulot risquent de se mettre à piller.”

Si le ministre du Pétrole exhorte les habitants à la patience, il prévient qu’il faut tenir compte de leurs intérêts. “Nous demandons aux compagnies pétrolières de construire les routes, les ponts et les autres infrastructures prévues par les contrats signés avec l’Etat, de façon que la population locale ait l’impression qu’elles sont là pour développer la région et pas seulement pour extraire le pétrole et l’emporter ailleurs.” Une nouvelle ruée vers l’or noir se prépare peut-être en Irak. Mais la production va représenter la partie la plus facile de la tâche qui attend les Chinois et les nombreux groupes étrangers qui rêvent de s’y implanter. Pour le moment, une seule route goudronnée mène aux maisons d’Al-Mazzagh. Rares sont les villageois à avoir un emploi stable. L’électricité est pratiquement absente et les logements n’ont pas l’eau courante. “La vie n’a pas changé depuis le départ de Saddam Hussein”, rappelle un homme.

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