Le Pape démissionne au milieu d’une crise de plus en plus profonde de l’Église catholique
La démission lundi 11 février de Joseph Ratzinger – le Pape Benoît XVI – de son poste à la tête de l’église catholique a provoqué des déclarations de surprise et d’inquiétude dans les cercles dirigeants du monde entier.
Ces sentiments exprimés par le Président américain Barack Obama, le Premier ministre britannique David Cameron, la Chancelière allemande Angela Merkel, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et bien d’autres n’étaient pas fondamentalement motivés par une quelconque préoccupation pour le sort personnel de Ratzinger, âgé de 85 ans.
Ce qui inquiète en réalité les gouvernements et les élites financières c’est que sa démission est une indication supplémentaire de la crise profonde que traverse l’Église catholique romaine, l’un des bastions les plus importants de la réaction sociale et politique sur la planète.
La démission d’un Pape en exercice est sans précédent à l’époque moderne. La dernière personne à avoir volontairement abdiqué à ce poste fut le Pape Clément V, qui avait quitté son poste après cinq mois en 1294, se déclarant lui-même incompétent pour ses fonctions. A l’exception de ceux, peu nombreux, qui ont été chassés de ce poste, tous les autres papes sont restés à la tête de l’église jusqu’à leur mort.
Ratzinger a déclaré le jour de sa démission que sa santé déclinante avait créé une « incapacité à remplir correctement le ministère qui m’a été confié. »
Le lendemain pourtant, le porte-parole du Vatican a clarifié les choses en déclarant que « la décision du Pape Benoît XVI de démissionner n'[était] pas liée à une mauvaise santé mais à la fragilité qui vient inévitablement avec l’âge. » Il a ajouté, « son état de santé général était normal pour un homme approchant des 86 ans. »
Le frère du Pape, George Ratzinger, a également déclaré à des journalistes allemands que son frère va « relativement bien. » Il a indiqué des inquiétudes d’un autre ordre que la santé.
« Au sein de l’Église, il s’est passé beaucoup de choses, qui ont engendré des dissensions, par exemple la relation avec la Fraternité St-Pie X ou les irrégularités au Vatican, quand le majordome du Pape a divulgué des documents secrets, » a-t-il dit.
La référence à la Fraternité St-Pie X concerne un ordre catholique ultra-droitier fondé par l’archevêque français Marcel François Marie-Josèph Lefêbvre en opposition véhémente à Vatican II, le conseil œcuménique réuni par la hiérarchie de l’Église au début des années 1960 pour tenter de réaliser quelques adaptations aux transformations politiques, sociales et culturelles de la période d’après-guerre.
Lefèvre et la Fraternité St-Pie X étaient associés aux formes les plus extrêmes de la réaction politique, défendant les régimes fascistes de la France de Vichy, de l’Espagne de Franco et du Portugal de Salazar, ainsi que les dictatures militaires de Jorge Videla en Argentine et d’Augusto Pinochet au Chili. En France, elle soutenait le nationaliste d’extrême-droite Jean-Marie Le Pen et s’opposait fortement à l’immigration en provenance des pays à majorité musulmane.
Ratzinger, qui avait participé à Vatican II et l’avait initialement soutenu, en est lui aussi devenu un opposant déterminé, particulièrement face à ceux qui citaient les décisions prises à l’époque de promouvoir la « théologie de la libération » en Amérique latine et ailleurs. Il a œuvré à la réintégration de la confrérie St-Pie X dans l’Eglise, annulant l’excommunication de quatre de ses évêques encore en vie en 2009.
Puis, au beau milieu de ce rapprochement, le chef de la confrérie, l’évêque suisse Bernard Fellay, a fait une déclaration publique décrivant les Juifs comme des « Ennemis de l’Eglise. »
Ce qui est peut-être un point d’inquiétude encore plus sérieux tient aux questions soulevées par le frère de Ratzinger sur ce qui est maintenant appelé le scandale Vatileaks, concernant des documents internes du Vatican, des lettres et des communications diplomatiques transmises à des journalistes italiens par le majordome du Pape.
Ces documents faisaient état de corruption financière dans les contrats du Vatican et de divisions âpres concernant les mesures prises pour se plier à une enquête sur des prêts accordés par l’Institut pour les œuvres de religion, plus communément appelé la Banque du Vatican.
Dans ces documents, il y avait une lettre prévenant d’un complot pour assassiner Ratzinger. Le nom de Tarscisio Bertone, ministre de l’intérieur du saint-siège et deuxième homme le plus important du Vatican, était mentionné dans cette lettre. Une partie des médias italiens s’est appuyée sur celle-ci comme preuve d’âpres luttes de pouvoirs entre l’aile italienne de l’Église d’une part et les ailes allemande et polonaise d’autre part, ces dernières ayant dirigé la papauté durant les 35 dernières années.
Lors de son procès, le majordome, Paolo Gabriele, a affirmé qu’il avait divulgué ces documents pour lutter contre « le mal et la corruption. » Condamné par un tribunal italien en octobre 2012 à 18 mois de prison pour vol, il a été extradé au Vatican et pardonné par le Pape après deux mois et demi.
Les scandales entourant la banque du Vatican et les finances de l’Église rappellent de près le règne extrêmement bref de Jean-Paul I, mort subitement 33 jours après avoir été choisi comme Pape. Sa mort mystérieuse a été rattachée à une enquête sur les relations entre la banque du Vatican et la Banco Ambrosiano, dont elle était le principal actionnaire. Cette banque, impliquée dans des opérations de financement illégales et liée à la fois à la mafia et à l’organisation secrète et fasciste de la Loge P2, avait subi une faillite de plusieurs milliards de dollars en 1982.
L’autre crise majeure qui menace Ratzinger consiste en la vague toujours plus importante d’accusations d’abus sexuels avancées par des gens molestés et violés par des prêtres aux États-Unis et en Europe. Les révélations tenant à la fois aux abus nombreux contre des enfants et à la dissimulation systématique de ces crimes par la hiérarchie de l’Église ont contribué à distancer de plus en plus les Catholiques de l’Église. En même temps, elles ont alimenté la crise financière du Vatican, des centaines de millions de dollars allant aux transactions financières avec les victimes, notamment de la part de l’Église américaine.
Ratzinger n’a pas seulement supervisé la façon dont l’Eglise a traité ces scandales d’abus sexuel, mais il avait été chargé de gérer le problème par son prédécesseur, Karol Wojtyla, le « Pape polonais. » À l’époque, Ratzinger, qui était cardinal, dirigeait la Congrégation pour la doctrine de la foi, l’institution qui avait succédé à l’Inquisition.
À ce poste, ses attaques féroces contre les « théologiens de la libération » et contre tous ceux qui au sein de l’Église remettaient en question le dogme sur des questions comme la contraception, l’avortement, le divorce, l’homosexualité, l’infaillibilité du Pape ou le célibat des prêtres lui avaient valu les surnoms de « grand inquisiteur » et, en allemand, de « panzerkardinal. »
C’était un opposant acharné non seulement du marxisme, mais de toutes les formes de matérialisme philosophique et du mouvement des Lumières. Il propageait des conceptions arriérées et réactionnaires, particulièrement en Europe, qu’il considérait comme le cœur culturel que le catholicisme était en train de perdre. En plein milieu d’une crise économique dévastatrice, il prêchait la renonciation au « matérialisme » et le « sacrifice. »
Lors de l’une de ses dernières tournées internationales, il a visité le Mexique et Cuba, faisant pression avec succès sur leurs gouvernements pour qu’ils démantèlent les barrières imposées à l’Église catholique par les révolutions ayant eu lieu dans ces pays – l’Eglise y étant historiquement le champion de l’oppression et de la réaction. À Cuba, où le Vatican a servi de cheval de Troie pour la pénétration du capital européen et notamment espagnol, Ratzinger a prêché l’efficacité des « réformes libérales du marché. »
Dans la discussion sur l’identité du successeur de Ratzinger, qui sera choisi par le Collège des cardinaux constitué en grande partie de gens sélectionnés par lui, il a été suggéré que le prochain pape pourrait être Africain.
Que cela arrive ou pas, cette suggestion est en elle-même hautement politique et a un précédent révélateur. En 1978, l’Église avait choisi Wojtyla pour devenir le premier pape polonais au moment où commençait une crise profonde qui devait aboutir à la dissolution de l’Union soviétique et des bureaucraties staliniennes en Europe de l’Est. Sous la papauté de Wojtyla, l’Église a joué un rôle actif dans ce processus. En particulier, elle a travaillé pour s’assurer que la puissante rébellion des travailleurs polonais, qui se développait sous la bannière du mouvement Solidarnosc, reste sous l’influence de l’Église catholique et ne se développe pas dans une direction socialiste indépendante.
La suggestion qu’un Africain pourrait être choisi pour succéder à Ratzinger est intimement liée au tournant des impérialismes américain et français, et de leurs alliés de l’OTAN, vers une nouvelle ruée vers l’Afrique, visant à se servir de la force militaire pour imposer un contrôle néo-colonial sur les marchés et les ressources du continent et à prendre le pas sur leur rivale, la Chine.
Bill Van Auken
Article original, WSWS, paru le 13 février 2013