Le parlement canadien vote pour une participation à la nouvelle guerre au Moyen-Orient

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La Chambre des communes du Canada a adopté une motion pour appuyer la décision du gouvernement conservateur de mettre le Canada sur la ligne de front dans la nouvelle guerre des États-Unis au Moyen-Orient.

Même avant le vote de mardi, du personnel militaire canadien avait été envoyé au Moyen-Orient pour préparer le déploiement de neuf avions de l’Aviation royale canadienne: soit six chasseurs CF-18, deux avions de surveillance Aurora et un avion ravitailleur.

Les CF-18 seront déployés jusqu’à une durée de six mois pour bombarder des cibles en Irak et possiblement en Syrie. Quelque 600 membres des Forces armées canadiennes seront déployés pour piloter et assurer l’entretien des neuf appareils qui seront probablement stationnés au Koweït ou aux Émirats arabes unis.

Le gouvernement a aussi annoncé que le déploiement de 69 soldats des forces spéciales pour «aider et former» les milices peshmerga kurdes, présenté au départ comme une mission de 30 jours, allait être prolongé jusqu’en mars 2015.

Le gouvernement a insisté sur le fait qu’il n’autorise qu’une «mission de combat» d’une durée de six mois. Mais les conservateurs ont aussi affirmé que cette mission pourrait être prolongée.

Le débat parlementaire de deux jours qui a précédé le vote de mardi de 157-134 en faveur de la motion proguerre n’était qu’un mélange de grandiloquence patriotique, de postures humanitaires et de mensonges et discours alarmistes pour justifier la «guerre contre le terrorisme». Et tant les conservateurs du premier ministre Stephen Harper que les partis de l’opposition ont adopté cette attitude.

Le NPD, allié des syndicats, les libéraux, le Bloc québécois, et la chef du Parti vert Elizabeth May se sont tous présentés hypocritement et cyniquement comme des opposants de «la guerre de Harper».

Hypocritement, parce que, comme l’ont démontré leurs interventions dans le débat, les partis de l’opposition appuient entièrement les visées impérialistes de la guerre: défendre le régime proaméricain en Irak; renverser le régime baasiste de la Syrie, un proche allié de la Russie et de l’Iran; et renforcer la domination militaire et stratégique des États-Unis sur la plus importante région exportatrice de pétrole au monde.

Cyniquement, parce que les partis de l’opposition étaient bien conscients qu’ils pouvaient lancer un appel aux sentiments antiguerre largement répandus dans la population sans que ceux-ci viennent nuire à la «crédibilité» du Canada auprès de Washington. En effet, comme les conservateurs disposent d’une confortable majorité parlementaire, le résultat du débat et du vote à la Chambre des communes était déterminé d’avance.

Les conservateurs ont argumenté en faveur de la guerre avec un discours sensationnaliste, invoquant les décapitations et autres atrocités perpétrées par le groupe État islamique (EI) et affirmant que si le Canada ne vainquait pas l’EI au Moyen-Orient, il devrait l’affronter et le vaincre sur son territoire même.

De manière ouvertement cynique, le ministre des Affaires étrangères John Baird, le principal porte-parole du gouvernement lors du débat, a annoncé que le Canada mettrait sur pied un fonds de 10 millions de dollars pour venir en aide aux victimes de violences sexuelles faites par l’EI et poursuivre les auteurs de ces crimes.

Inutile de préciser que les porte-parole du gouvernement n’ont rien dit sur la destruction qui a été causée par l’invasion illégale de l’Irak en 2003 ni sur la campagne subséquente de Washington pour manipuler et attiser les tensions sectaires afin de «diviser pour régner».

Et rien n’a été dit sur le financement et l’armement de l’EI et d’autres groupes terroristes islamiques par les États-Unis, d’autres puissances occidentales et les alliés du Canada au Moyen-Orient tels que la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar. Ces groupes ont en effet servi de forces par procuration dans les guerres de changement de régime fomentées par les États-Unis, d’abord en Libye et maintenant en Syrie.

En faisant l’annonce de la nouvelle «mission de combat» des Forces armées canadiennes au Moyen-Orient vendredi dernier, Harper a été quelque peu plus honnête sur ses véritables intérêts impérialistes. Le Canada doit être aux côtés des États-Unis, a-t-il dit, s’il veut «conserver sa voix dans le monde; et il le faut, car tant de nos défis sont d’ordre mondial. Ceux qui jouent le rôle de passager clandestin ne seront pas pris au sérieux.»

Autrement dit, selon le premier ministre du Canada, l’élite canadienne doit, pour veiller à ses intérêts mondiaux, y compris obtenir sa part dans la nouvelle division impérialiste du Moyen-Orient, marcher aux côtés des États-Unis, le pays qui a été son principal partenaire militaire, stratégique et économique durant la majeure partie d’un siècle.

Les porte-parole de l’opposition ont bien fait mention de la guerre en Irak dans le débat de cette semaine. Mais ils l’ont fait en affirmant que cette guerre avait mal servi les intérêts impérialistes, et non pas qu’il s’agissait d’un crime dans lequel le Canada était complice, ni pour expliquer que l’actuelle guerre impérialiste des États-Unis et du Canada au Moyen-Orient est la continuation de cette même campagne visant assurer l’hégémonie incontestée des États-Unis dans la région.

Le chef du NPD Thomas Mulcair a présenté un amendement à la motion de guerre du gouvernement qui démontre que les désaccords des sociaux-démocrates avec le gouvernement sont au plus d’ordre tactique. Ces désaccords expriment en fait l’inquiétude qu’une autre intervention directe et de longue durée au Moyen-Orient puisse avoir un impact négatif sur les intérêts impérialistes et alimenter l’opposition sociale au pays.

Le NPD a proposé que, plutôt que d’entreprendre une «mission de combat», le Canada appuie la campagne militariste des États-Unis contre l’EI en envoyant des armes dans la région, dans le but de consolider les «forces locales compétentes» – c’est-à-dire, le gouvernement irakien, les milices kurdes, la Turquie, l’Arabie saoudite et les autres monarchies absolutistes du Golfe – pour qu’elles puissent pacifier la région au profit de l’impérialisme.

La motion du NPD appelait aussi à une participation plus importante du Canada dans la région et à un appui plus grand pour la nouvelle guerre des États-Unis au Moyen-Orient par l’entremise d’une fameuse campagne d’«aide humanitaire». Elle se termine en glorifiant «le courage des hommes et femmes des Forces armées canadiennes qui veillent à nous protéger tous».

Mulcair et d’autres porte-parole du NPD ont crié au scandale lorsque le gouvernement Harper a dit qu’il serait prêt à participer à une campagne de bombardement en Syrie si elle obtenait l’appui explicite du gouvernement syrien. Reprenant la rhétorique qui avait été utilisée par les gouvernements occidentaux, y compris celle du Canada, pour justifier leur appui à l’insurrection en Syrie, à la tête de laquelle trônaient al-Qaïda et l’EI, Mulcair a traité le président de la Syrie, Bashar al-Assad, de «fou génocidaire».

Le NPD, faut-il le rappeler, a appuyé à maintes reprises la participation du Canada dans les guerres impérialistes des États-Unis, remontant aussi loin qu’à la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie en 1999. Cet été, le parti avait appuyé sans réserve l’invasion de Gaza par Israël.

Quant aux libéraux, ils n’ont cessé d’indiquer qu’ils seraient prêts à appuyer une «mission de combat» du Canada au Moyen-Orient. Mais la semaine dernière, le chef libéral Justin Trudeau a annoncé que son parti n’allait pas soutenir le déploiement proposé de neuf appareils de l’Aviation royale canadienne, soutenant que le gouvernement n’avait pas correctement justifié cette mission.

Dans le débat de lundi, le porte-parole libéral en matière de défense Marc Garneau a dit que les libéraux «sont prêts» à ce que le Canada «joue un rôle militaire, mais non combattant», soit apparemment un rôle d’entraînement, de conseil, de surveillance et de transport. La journée suivante, Garneau est allé plus loin en disant que les libéraux «vont bien sûr appuyer l’éventuelle décision du gouvernement, car nous savons que nous envoyons nos hommes et nos femmes au combat» et qu’une fois qu’ils «sont là-bas, nous devons les appuyer».

Les deux membres du Parti vert étaient divisés sur la question d’appuyer ouvertement l’éventuel rôle de combat du Canada au Moyen-Orient. Tandis que la chef du parti Elizabeth May a appuyé la motion du NPD, son collègue, le député de Thunder Bay Bruce Hyer, a voté pour que le Canada aille en guerre pour la quatrième fois en 15 ans.

Comme les principaux quotidiens du pays souhaitent fortement que le Canada soit sur la ligne de front dans la nouvelle guerre au Moyen-Orient (y compris le Globe and Mail, le National PostMontreal Gazette et Ottawa Citizen), il y a de plus en plus de dissidents dans les rangs du NPD, et encore plus dans les rangs libéraux, qui critiquent leur posture antiguerre.

Mardi, Gary Doer, l’ancien premier ministre néo-démocrate du Monitoba et actuel ambassadeur du Canada aux États-Unis, a donné un appui retentissant à la décision du gouvernement d’adhérer à la coalition de guerre d’Obama, ajoutant qu’en tant que premier ministre néo-démocrate il avait fièrement soutenu la mission du Canada dans la guerre de contre-insurrection en Afghanistan.

L’ancien ministre libéral des Affaires étrangères Lloyd Axworthy a publiquement critiqué l’attitude du parti en disant qu’il s’agissait d’une rupture avec «les traditions, les principes et l’histoire» du Parti libéral. L’ancien ministre de la Justice Irwin Cotler, qui s’est abstenu lors du vote de mardi, a affirmé qu’il avait agi ainsi non par parce qu’il s’oppose à un «rôle de combat» du Canada en Irak, mais parce qu’il croit que le Canada aurait dû aller en Syrie en 2011 pour renverser le régime Assad et qu’il ne dispose pas d’une stratégie «cohérente» pour le Moyen-Orient aujourd’hui.

Keith Jones

Article paru d’abord en anglais le 9 octobre 2014



Articles Par : Keith Jones

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