Le parlement d’Islande vote en faveur d’une demande d’adhésion à l’Union européenne

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Le 16 juillet, le parlement d’Islande (Althingi) a voté par 33 voix contre 28 en faveur d’une demande d’adhésion à l’Union européenne (UE). Le vote eut lieu après que des discussions prolongées eurent été tenues ces dernières semaines au parlement, causant des scissions au sein des principaux partis sur cette question. A la fin, les députés des cinq principaux partis votèrent en faveur d’une demande d’adhésion. Le Parti de l’Indépendance resta l’adversaire le plus acharné de l’adhésion.

Le Mouvement Gauche-Verts qui avait fait campagne contre l’adhésion à l’UE lors des récentes élections apporta son soutien critique dans le but de garantir l’adoption de la proposition. Huit membres du Mouvement Gauche-Verts, y compris le dirigeant du parti, Steingrimur J. Sigfússon, avaient donné leur soutien à la demande d’adhésion tandis que seulement cinq avaient voté contre.

Le gouvernement devrait à présent déposer officiellement sa demande de candidature d’adhésion à l’UE à l’occasion de la réunion à venir des ministres des Affaires étrangères à Bruxelles le 27 juillet. La Suède, qui assume la présidence rotative de l’UE jusqu’à la fin de 2009, a indiqué qu’elle traitera la demande d’adhésion de l’Islande comme une priorité. Les négociations pourraient démarrer dès 2010 avec la tenue d’ici deux ans d’un référendum sur un accord final.

Bruxelles a réagi avec enthousiasme au vote. Wilfried Martens, le président du Parti populaire européen (EPP), le principal groupement de centre-droit au parlement européen, a déclaré, « L’Islande est un important pays européen ayant une longue tradition démocratique et qui a tissé de solides liens non seulement avec les Etats-membres nordiques de l’UE mais aussi avec l’UE en général. Je crois fermement que l’Islande a sa place dans la famille de l’Union européenne. »

L’adhésion est toutefois problématique. Les avis du public quant à l’adhésion sont partagés presque à égalité, avec un score réalisé lors du dernier vote de 39 pour cent de la population en faveur de l’adhésion à l’UE contre 38 pour cent.

L’opposition est motivée par plusieurs facteurs. De nombreux Islandais sont tout à fait conscients que l’entrée dans l’UE nécessitera des coupes supplémentaires dans les dépenses publiques pour réduire la dette gouvernementale. Le début de cette stratégie fut révélé dans un récent « pacte de stabilité » élaboré entre le gouvernement, les syndicats et les associations patronales et qui propose une réduction des dépenses de l’ordre de 70 milliards de Couronnes (Kronur) (390 millions d’euros) sur une période de trois ans.

Une autre raison significative pour l’opposition est l’industrie de la pêche. La pêche représente 39 pour cent des exportations de l’Islande. La principale préoccupation est que l’adhésion à l’UE obligerait l’Islande à accepter la Politique commune de la Pêche (CFP) et à céder le contrôle des droits de pêche dans les eaux territoriales islandaises à Bruxelles. L’accès aux bancs de poissons dans les eaux islandaises serait ouvert aux flottes de pêche des autres pays européens.

Une autre question suscitant un sentiment anti UE est l’accord signé avec les autorités britanniques et néerlandaises qui semble être une condition préalable à l’adhésion de l’Islande au bloc communautaire. L’accord concerne le remboursement des épargnants qui ont perdu leur épargne lors de l’effondrement des principales banques islandaises en octobre dernier. IceSave, qui est une banque par internet, filiale de Landsbanki, avait attiré plus 2 milliards de livres Sterling (2,3 milliards d’euros) en dépôt d’argent venant uniquement d’épargnants britanniques. Selon l’accord conclu le mois dernier, l’Etat islandais assume la pleine responsabilité pour le remboursement des sommes perdues.

L’accord a entraîné la réémergence de manifestations à Reykjavik. Sur la base d’un remboursement par habitant, ceci signifie que l’Islande devra payer plus que ce que le traité de Versailles a imposé à l’Allemagne après la Première Guerre mondiale.

L’accord a été soumis au parlement et le vote devrait avoir lieu bientôt. Une décision finale a été repoussée, les députés risquant d’en rejeter les conditions par crainte d’une réaction de la population. Si l’accord était rejeté, le soutien de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas en faveur de la demande d’adhésion de l’Islande à l’UE serait très probablement retiré.

L’opposition à l’UE est canalisée dans le nationalisme, notamment par le Parti de l’Indépendance.

Le dirigeant du parti, Bjarni Benediktsson, a insisté qu’il n’y avait « pas de raisons crédibles » pour que l’Islande abandonne le contrôle de ses ressources naturelles. Il affirme que l’Islande sera dans une meilleure position en conduisant ses propres affaires et qu’un pays de la taille de l’Islande n’exercera que peu d’influence à Bruxelles.

En réalité, toutefois, la Couronne continue de s’affaiblir sur les marchés internationaux, bien que plus lentement qu’il y a un an. La monnaie a perdu plus des deux tiers de sa valeur depuis le début de 2008 en entraînant une flambée des prix des denrées importées pour les gens ordinaires et le commerce de proximité. L’économie islandaise dépend fortement des exportations, ce qui a conduit à une augmentation massive du nombre de faillites à la fois au niveau personnel que celui des entreprises. Au moment de l’effondrement bancaire en octobre dernier, une évaluation avait estimé qu’un tiers des Islandais étaient techniquement en faillite. (Voir : « Les protestations contre la crise économique font chuter le gouvernement islandais. »

Le chômage a augmenté dramatiquement au cours de ces derniers mois en passant à 9 pour cent par rapport à un taux de moins de un pour cent au début de l’année dernière. Les effets réels du chômage ne sont devenus apparents que récemment étant donné que les employeurs sont obligés de respecter un préavis de licenciement de 90 jours en Islande. L’inflation se situe encore à un niveau élevé supérieur à 12 pour cent, obligeant la banque centrale à maintenir à un niveau élevé ses taux d’intérêt.

Avec l’accroissement du chômage, le gouvernement est en train de préparer des coupes profondes dans les dépenses publiques en retirant la couverture sociale dont beaucoup de personnes dépendent. Sous les contraintes financières du Fonds monétaire international (FMI), l’Islande est obligé d’équilibrer son budget d’ici 2013, même si l’évaluation de sa dette publique dépasse 200 pour cent du PIB suite à la nationalisation des banques.

Alors que les gens ordinaires sont confrontés à un chômage grandissant et à des réductions rapides des dépenses gouvernementales, les banques islandaises doivent être entièrement recapitalisées. Lundi, le gouvernement a publié un plan qui prévoit de débloquer 270 milliards de Couronnes (1,5 milliards d’euros) pour la restructuration des trois principales banques, la New Kaupthing, la New Landsbanki et l’Islandsbanki. Dans le cas de la New Kaupthing et de l’Islandsbanki, les anciens créanciers pourront acquérir des parts majoritaires dans les banques en dépit du rôle que ces institutions ont joué l’année dernière dans l’effondrement économique. Pour ce qui est de la New Landsbanki, la solution a été aggravée par les revendications des épargnants néerlandais et britanniques qui avaient déposé leur argent chez IceSave.

Afin de financer le sauvetage massif de l’élite financière, Reykjavik fut obligé de s’adresser à la Russie pour l’obtention d’un prêt supplémentaire estimé à 64 milliards de Couronnes (351 millions d’euros) pour renflouer ses réserves. L’octroi de prêts fut également approuvé par les pays scandinaves et s’élevant à un montant total de 2,5 milliards d’euros ainsi que par la Grande-Bretagne et les Pays-Bas dont le montant dépasse 5 milliards d’euros. Tout comme les versements restants s’élevant à un prêt d’un milliard et demi d’euros, tous ces prêts restent tributaires de l’approbation par le parlement de l’accord IceSave.

Dans ces conditions, les affirmations selon lesquelles l’Islande est capable de gérer la crise économique tout en améliorant indépendamment ses conséquences sociales sont fausses. Une telle « indépendance » ne serait de toute façon qu’une simple formalité vu que le gouvernement de Reykjavik devra se soumettre aux dictats du capital financier international dirigé par le FMI.

Dans le même temps, aucune confiance ne peut être accordée aux affirmations de ceux qui promeuvent l’UE comme solution pour l’avenir économique de l’Islande. L’UE représente les intérêts des plus puissantes entreprises en Europe. Elle est responsable d’imposer de par le continent la privatisation des services publics, la dérégulation et autres mesures anti ouvrières dans l’intérêt de l’élite dirigeante du continent.

L’UE n’est aucunement en mesure d’offrir une perspective de croissance à ses membres actuels, et encore moins aux nouveaux. L’Irlande et la Lettonie seront confrontées cette année à des contradictions économiques pires que l’Islande malgré le fait d’être membre du bloc communautaire. Le PIB de l’Irlande est censé rétrécir de plus de 10 pour cent tandis que celui de la Lettonie enregistra une formidable chute de 18 pour cent.

La population laborieuse d’Islande doit mettre en avant sa propre perspective basée sur la lutte pour l’unification de la classe ouvrière de par l’Europe et pour la défense de ses intérêts communs contre les banques et les grands groupes. Cette perspective doit repousser les revendications selon lesquelles la population laborieuse doit payer pour les pratiques spéculatives des banquiers qui ont causé l’effondrement financier, et lutter pour la réorganisation socialiste de la société.

Article original, WSWS, paru le 25 juillet 2009.



Articles Par : Jordan Shilton

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