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Le Pentagone dévoile sa stratégie militaire contre la Russie et la Chine
Par Bill Van Auken
Mondialisation.ca, 23 janvier 2018
wsws.org 20 janvier 2018
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Le secrétaire à la défense du gouvernement Trump, l’ancien général du Corps des Marines James Mattis, a dévoilé vendredi une nouvelle stratégie de défense nationale qui signale les préparatifs de l’impérialisme américain pour un affrontement militaire directe avec la Russie et la Chine.

Parlant à l’Université Johns Hopkins dans le Maryland, Mattis a précisé que la stratégie, le premier document de ce type publié par le Pentagone en une dizaine d’années, représentait un changement historique par rapport à la justification ostensible du militarisme mondial américain depuis près de deux décennies : la guerre contre le terrorisme.

« C’est la concurrence entre les grandes puissances – et non le terrorisme – qui est maintenant le principal objectif de la sécurité nationale américaine », a déclaré M. Mattis dans son discours, qui accompagnait la publication d’un document déclassifié de 11 pages décrivant la Stratégie de défense nationale en termes généraux. Une version confidentielle plus longue a été soumise au Congrès américain, qui inclut les propositions détaillées du Pentagone pour une augmentation massive des dépenses militaires.

Une grande partie du document faisait écho aux termes utilisés dans le document de Stratégie de sécurité nationale dévoilé le mois dernier dans un discours fascisant prononcé par le président Donald Trump. Mattis a insisté sur le fait que les États-Unis feraient face à « la menace croissante des puissances révisionnistes aussi différentes que la Chine et la Russie, des nations qui cherchent à créer un monde cohérent avec leurs modèles autoritaires ».

La stratégie de défense poursuit en accusant la Chine de rechercher « l’hégémonie dans la région indo-pacifique à court terme et le remplacement des États-Unis pour atteindre la prééminence mondiale dans l’avenir ».

La Russie, selon ce même document, tente d’obtenir le droit de veto sur les nations à sa périphérie en termes de décisions gouvernementales, économiques et diplomatiques, de briser l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et de changer les structures économiques et sécuritaires européennes et du Moyen-Orient. »

« La Chine est un concurrent stratégique qui utilise une politique économique prédatrice pour intimider ses voisins tout en militarisant des aspects de la mer de Chine méridionale », indique le communiqué. « La Russie a violé les frontières des pays voisins et exerce un droit de veto sur les décisions économiques, diplomatiques et sécuritaires de ses voisins ».

Dans ce qui semblait être une menace dirigée à la fois contre la Russie et la Chine, Mattis a prévenu : « Si vous nous défiez, ce sera votre pire et plus long jour ».

Moscou et Beijing ont publié des déclarations condamnant la stratégie de défense américaine. Un porte-parole chinois a dénoncé le document comme un retour à une « mentalité de guerre froide ». Le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov a déclaré lors d’une conférence de presse : « Il est regrettable qu’au lieu d’avoir un dialogue normal, au lieu d’utiliser comme base la loi internationale, les États-Unis s’efforcent en effet de prouver leur autorité à travers de telles stratégies et concepts d’affrontement ». Un porte-parole du gouvernement à Moscou a qualifié le document d’« impérialiste ».

Comme la Stratégie de sécurité nationale publiée le mois dernier, la stratégie de défense identifie également la Corée du Nord et l’Iran comme des « régimes voyous », les accusant de déstabiliser des régions par leur « tentative d’obtenir des armes nucléaires ou leur parrainage du terrorisme ». Elle accuse Tehéran de « concurrencer ses voisins, en imposant un arc d’influence et d’instabilité tout en luttant pour l’hégémonie régionale. »

Le document appelle à une préparation à la guerre à travers ce qu’il décrit comme « trois régions clés » : l’Indo-Pacifique, l’Europe et le Moyen-Orient. Le document fait également de brèves références à l’Amérique latine et à l’Afrique, affirmant la nécessité pour l’impérialisme américain de lutter pour l’hégémonie sur ces deux continents. Il est clair que ces continents sont des arènes pour la lutte globale « entre les grandes puissances » qui constitue le cœur de la stratégie, affirmant qu’un objectif clé en Afrique est de « limiter l’influence néfaste des puissances non-africaines ».

Ce qui ressort clairement du document du Pentagone est une vision de l’impérialisme américain assiégé de toutes parts et dans le danger mortel de perdre la domination mondiale. Cela reflète la pensée de la cabale des généraux retraités et actifs qui dominent la politique étrangère du gouvernement Trump selon laquelle les 16 dernières années de guerres interminables au Moyen-Orient et en Asie centrale n’ont pas réussi à avancer les intérêts stratégiques américains, créant une série de débâcles, tout en épuisant l’armée américaine.

« Aujourd’hui, nous sortons d’une période d’atrophie stratégique, conscients du fait que notre avantage militaire compétitif s’est érodé », indique le document. « Nous sommes face à un désordre mondial accru, caractérisé par le déclin de l’ordre international fondé sur des règles de longue date, créant un environnement de sécurité plus complexe et plus volatil que tout ce que nous avons connu dans la mémoire récente. La concurrence stratégique entre les États, et non le terrorisme, est désormais la principale préoccupation pour la sécurité nationale des États-Unis. »

Le but du Pentagone, selon la stratégie de défense, est de faire en sorte que les États-Unis restent « la puissance militaire prééminente dans le monde » capable de « faire en sorte que l’équilibre des forces reste en notre faveur », de « mettre en place un ordre international qui est le plus favorable à notre sécurité et notre prospérité » et de « préserver l’accès aux marchés ».

L’idée maîtresse du document est une demande pour un vaste renforcement de la machine de guerre américaine, qui dépense déjà plus que les huit pays suivants, y compris presque le triple des dépenses militaires de la Chine et environ huit fois le montant dépensé par la Russie.

Ne pas mettre en œuvre les énormes dépenses militaires que le Pentagone exige – la Maison Blanche de Trump a demandé une augmentation de 54 milliards de dollars du budget militaire, alors que les dirigeants du Congrès ont suggéré une hausse encore plus grande – aurait comme conséquence « l’érosion de l’influence mondiale américaine, l’érosion de la cohésion entre alliés et partenaires, et l’accès réduit aux marchés qui contribueront à la baisse de notre prospérité et de notre niveau de vie », prévient le résumé publié de la stratégie de défense.

Alors que des milliards de dollars ont été détournés de l’économie américaine pour payer les 16 dernières années de guerre, Mattis et la stratégie de défense présentent l’armée américaine comme une institution qui a été pratiquement privée de ressources, incapable de répondre « aux exigences de préparation, d’approvisionnement, et de modernisation. »

L’objectif primordial en termes de modernisation est le renforcement de la « triade nucléaire » américaine – la gamme de missiles balistiques intercontinentaux de Washington, de missiles balistiques lancés par sous-marins et de bombardiers stratégiques, capables de détruire toute vie sur la planète plusieurs fois.

Selon le document, le Pentagone cherchera à améliorer tous les aspects de son appareil de guerre nucléaire, « y compris le commandement, le contrôle et les communications nucléaires et les infrastructures de soutien. Il a ajouté que « la modernisation de la force nucléaire comprend des options fondées sur la menace de l’utilisation d’attaques nucléaires ou non nucléaires stratégiques pour contrer les stratégies coercitives des concurrents. » En d’autres termes, l’armée américaine est prête à lancer une guerre nucléaire en réponse à une attaque conventionnelle ou une cyberattaque.

Fait révélateur, le document du Pentagone utilise les mots « létal » et « létalité » 15 fois pour décrire les objectifs de Mattis et de ses collègues généraux en ce qui concerne leur projet de renforcement militaire. Clairement, ce qui est en train d’être préparé est un niveau de tuerie de masse bien au-delà des bains de sang perpétrés en Irak, en Afghanistan, en Libye, en Syrie, au Yémen et ailleurs.

Dans le discours de Mattis, il y avait un fort élément de ressentiment envers le gouvernement civil et son contrôle constitutionnel de l’armée. Il a déclaré que les troupes américaines étaient obligées de « porter avec stoïcisme une attitude de « succès à tout prix », alors qu’elles travaillaient sans relâche pour accomplir la mission avec des ressources inadéquates et mal réparties simplement parce que le Congrès ne pouvait pas maintenir un ordre régulier. »

Mattis a averti que les plans de guerre décrits dans le document exigeront « un investissement soutenu du peuple américain », notant que les « générations passées » avaient été forcées de faire des « sacrifices plus durs ».

Ces nouveaux « sacrifices » prendront la forme de coupes sauvages dans les services sociaux essentiels, notamment l’éviscération de la sécurité sociale, de Medicare et de Medicaid, avec le transfert de ressources à l’armée, à l’industrie de l’armement et à l’oligarchie financière.

La Stratégie de défense nationale publiée vendredi constitue un grave avertissement pour les travailleurs aux États-Unis et du le monde entier. Poussés par la crise de leur système, la classe dirigeante capitaliste américaine et son armée se préparent à une guerre mondiale avec des armes nucléaires.

Bill Van Auken

 

Article paru en anglais, WSWS, le 20 janvier 2018

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