Print

Le peuple palestinien trahi
Par Saree Makdisi
Mondialisation.ca, 01 février 2011
Los Angeles Times 27 janvier 2011
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/le-peuple-palestinien-trahi/23031

Les documents publiés par Al Jazeera montrent à quel points les dirigeants palestiniens sont lâches et combien ils étaient disposés à vendre les droits de leur peuple. Pourtant, tout ce qu’ils avaient à offrir n’a pas suffi à Israël.

 

Gaza, le 27 janvier 2011 – Des partisans du mouvement Hamas brûlent un portrait de l’ex-président palestinien, Mahmoud Abbas.

Une fuite massive de documents diffusés par Al Jazeera et The Guardian offre une preuve irréfutable que des années de négociations entre Israéliens et Palestiniens ont été une totale imposture.

Les documents indiquent clairement que le moment est venu pour les Palestiniens et tous ceux qui s’intéressent à la cause de la justice, d’abandonner la plaisanterie de la diplomatie officielle et de poursuivre dans d’autres voies, plus créatives et non-violentes, pour la réalisation d’une paix réelle et juste.

La divulgation de ces documents, en supposant qu’ils soient authentiques – et Al-Jazeera et The Guardian affirment les avoir authentifiés – sont des notes prises dans les coulisses d’une décennie de négociations entre les Palestiniens et Israël.

Numéro après numéro, ces documents montrent les négociateurs palestiniens désireux de céder sur le fond, offrant d’abandonner une grande partie de Jérusalem, d’accepter des colonies illégales d’Israël en Cisjordanie, de collaborer avec les forces d’occupation israéliennes dans la répression de la dissidence dans les territoires occupés – allant jusqu’au meurtre de frères palestiniens – et même de renoncer au droit au retour pour la très grande majorité des Palestiniens chassés de leurs foyers par Israël en 1948.

Les documents offrent un démenti formel à l’affirmation d’Israël selon quoi il aspire à la paix mais qu’il lui manque un « partenaire » palestinien. Et ils renforcent le sentiment qu’Israël n’a suivi ces négociations que pour gagner du temps afin d’exproprier plus de terres palestiniennes, de démolir plus de maisons palestiniennes, d’expulser plus de familles palestiniennes et de construire plus de colonies à l’usage exclusif des colons juifs en territoire occupé militairement, consolidant ainsi de nouvelles réalités sur le terrain qui feraient d’un Etat palestinien une impossibilité géophysique.

Quiconque en doute n’a qu’à parcourir les documents divulgués, qui montrent Israël repoussant une concession géante palestinienne l’une après l’autre. Et ce n’était pas Israël sous Benjamin Netanyahu, mais sous le soi-disant plus libéral Ehud Olmert et sa ministre des Affaires étrangères, Tzipi Livni, qui affirmaient être engagés dans le processus de paix.

Dans une abjection sans vergogne, les négociateurs palestiniens se sont prosternés et ont pratiquement abandonné chaque objectif majeur pour lesquels leur peuple a lutté et s’est sacrifiés pendant 60 ans, seulement pour les Israéliens impériaux disent encore et encore : non, non, et non.

De toute évidence, tout ce que les Palestiniens ont à offrir ne suffit pas pour Israël.

La révélation majeure du dossier, en effet, est l’image qu’ils fournissent du point jusqu’où les négociateurs palestiniens étaient prêts à aller pour s’attirer les bonnes grâces d’Israël.

Des hommes comme Saeb Erekat, Mahmoud Abbas et Ahmed Qoreï – les principaux négociateurs palestiniens durant toutes ces années – appartiennent à un genre que l’on trouve dans tous les conflits coloniaux de l’époque moderne. Face à la puissance écrasante brutale avec laquelle les Etats coloniaux ont toujours cherché à briser la volonté des peuples autochtones, ils adoptent la lâche faiblesse que la situation semble dicter. Convaincus que le colonialisme ne peut être vaincu, ils cherchent à se tailler un petit rôle de direction à partir duquel ils pourraient être utiles [à la puissance coloniale], même si c’est au détriment de leur propre peuple.

Ces hommes, nous devons nous en souvenir, n’ont pas été élus pour négocier un accord avec Israël. Ils n’ont aucune légitimité, zéro crédibilité et ne peuvent en rien prétendre représenter le réel point de vue des Palestiniens.

Et pourtant, ils étaient apparemment disposés à négocier le retrait du droit qui se trouve au cœur même de la lutte palestinienne, un droit qu’il ne leur appartient pas d’abandonner – le droit au retour des Palestiniens dans les foyers d’où ils ont été chassés au moment de la création d’Israël en 1948 – en acceptant l’insistance d’Israël que seul un petit échantillon de quelques milliers de réfugiés devraient être autorisés à rentrer, et que les millions d’autres devaient tout simplement disparaître (ou – comme nous apprenons maintenant que les États-Unis l’ont suggéré – accepter d’être expédiés au loin […] en Amérique du Sud).

Les documents montrent également les négociateurs palestiniens prêts à trahir les Palestiniens vivant en Israël, en acceptant l’auto-définition d’Israël en tant qu’Etat juif, en sachant que cela condamnerait la minorité non juive palestinienne d’Israël – qualifiée « d’Arabes israéliens » qui constituent 20% de l’Etat – non seulement au racisme institutionnalisé auquel ils font déjà face, mais à la perspective d’une purification ethnique (les documents révèlent que Livni a soulevé à maintes reprises l’idée que les terres habitées par de larges secteurs de la population palestinienne d’Israël devraient être « transférées » à un futur Etat palestinien).

Tout cela a été offert dans la poursuite d’un « Etat » qui existerait en pièces détachés, sans véritable souveraineté, sans aucun contrôle sur ses propres frontières, l’eau ou l’espace aérien – mais un « Etat » où le rôle [des négociateurs] serait de le commander.

Et tout cela a été dédaigneusement rejeté par le gouvernement israélien qui soit-disant recherche la paix, avec la complicité des États-Unis, devant lesquels les Palestiniens sont allés se plaindre, comme s’ils étaient un intermédiaire honnête alors même qu’il est devenu plus clair que jamais que c’est tout le contraire.

Ce que ces documents prouvent, c’est que les négociations diplomatiques entre d’abjects Palestiniens et de réticents Israéliens bénéficiant de l’appui illimité et inconditionnel des Etats-Unis, n’amèneront jamais la paix. Aucun accord signé par ces couards ne sera jamais accepté par le peuple palestinien.

Heureusement, la plupart des Palestiniens ne sont pas aussi brisés et sans espoir que ces soi-disant dirigeants. Chaque jour, des millions de Palestiniens, hommes, femmes et enfants du peuple résistent aux diktats de la puissance israélienne, si ce n’est en refusant de renoncer et de s’en aller – en allant à l’école, dans leurs champs, en s’occupant de leurs oliveraies.

Refusant les dictats de la force brute et la realpolitik à laquelle leur soi-disant dirigeants ont cédé, les Palestiniens ont déjà mis au point une nouvelle stratégie qui, en changeant les règles du jeu telles qu’imposées par Israël, transforment toutes les forces israéliennes en une forme de faiblesse. Face à des chars, ils se tournent vers des formes symboliques de protestations qui ne peuvent pas être empêchées ; confrontés à la brutalité, ils exigent la justice ; face à l’Apartheid, ils revendiquent l’égalité.

Les Palestiniens ont tiré les leçons de Soweto (1), et ils ont lancé une campagne à la fois locale et globale de manifestations, d’appels au boycott et aux sanctions qui offre le seul espoir d’amener les Israéliens – comme leurs prédécesseurs Afrikaners – à la raison.

(1) 16 juin 1976 : les troupes du régime d’Apartheid sud-africain ont massacré ce jour-là plusieurs centaines d’écoliers et d’étudiants qui manifestaient contre l’imposition d’un enseignement exclusivement en langue afrikaans, la langue de la minorité blanche du pays.

 

– Al Jazeera – Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.latimes.com/news/opinion…

Traduction de l’anglais : Claude Zurbach, Info-Palestine.net

Saree Makdisi est professeur de littérature anglaise et comparée à l’UCLA. Il est l’auteur de, entre autres livres, Palestine Inside Out : An Everyday Occupation.

Avis de non-responsabilité: Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.