Le point sur la Syrie – « Zones de désescalade russes » et bataille pour le sud
La Russie est extrêmement active dans la recherche d’une solution diplomatique au conflit syrien. Le mois dernier, des discussions ont eu lieu en Russie avec les ministres syrien et iranien des Affaires étrangères. De nouveaux plans ont été discutés et convenus.
Il y a quelques jours, le ministre russe des Affaires étrangères a discuté avec le secrétaire d’État américain. Puis, dans la foulée, il y a eu la visite de Merkel à Poutine. Le même jour, Poutine a téléphoné à Trump. On entre dans une nouvelle phase du traité de paix d’Astana, sous le parrainage de la Russie, entre l’opposition syrienne et une délégation gouvernementale syrienne. (Cette fois, les États-Unis ont envoyé un haut fonctionnaire du Département d’État pour cette nouvelle réunion). Aujourd’hui, Poutine a rencontré le président turc Erdogan.
La Russie propose une proposition pour l’installation de « zones de désescalade » :
Selon les documents obtenus par Sputnik, la Russie a proposé de mettre en place quatre zones de sécurité, dans la province d’Idlib, au nord de la ville de Homs, à l’est de Ghouta et dans le sud du pays.
Le brouillon propose :
– Des zones de désescalade visant à « mettre un terme immédiat à la violence » et « fournir les conditions pour un retour volontaire et sécurisé des réfugiés ».
– Des zones de sécurité ou zones tampons créés autour des zones de désescalade avec des points de contrôle et des centres de surveillance pris en charge à la fois par les troupes du gouvernement syrien et les « rebelles ».
– Des unités militaires de « pays observateurs » non spécifiés pourraient être déployées dans ces zones de sécurité
– La Turquie, l’Iran et la Russie sont nommés garants de l’accord et créeront un groupe de travail conjoint immédiatement après que la « désescalade » soit agrée par les partis prenant part au conflit.
Le point crucial de la proposition est bien-sûr al-Qaïda qui règne sur Idlib et possède aussi un pouvoir important dans d’autres régions. La Russie propose les zones de désescalade comme moyen de poursuivre les négociations et le règlement du conflit uniquement à la condition qu’al-Qaïda soit éliminée de ces zones. Lors de la conférence de presse avec Erdogan, Poutine a insisté sur ce point :
« À propos des terroristes, malgré la création de ces zones, la guerre contre le terrorisme va continuer contre des organisations telles qu’État islamique, Jabhat al-Nusra, et toutes celles figurant sur la liste des organisations terroristes approuvée par les Nations Unies »,a déclaré Poutine.
Mais à l’heure actuelle, les « rebelles » sont en grande partie associés à Jabhat al-Nusra alias al-Qaïda. Ce groupe extrémiste terroriste est l’épine dorsale de leur armée. Les États-Unis considèrent al-Qaïda, au moins temporairement, comme un groupe proxy bien utile. Ils n’accepteront certainement pas de renoncer à cela.
Ce projet de proposition est une nouvelle tentative pour que la Turquie et les États-Unis admettent enfin qu’il existe un problème Al-Qaïda, qu’une organisation terroriste désignée par l’ONU est au cœur de ces régions et qu’aucune paix ne peut être obtenue à moins qu’al-Qaïda et les éléments qui y sont associés soient éliminés. Je doute fort que la Turquie et les divers sponsors d’al-Qaïda en Syrie acceptent ce plan. Le gouvernement russe le sait sûrement, mais il trouve son avantage en soulevant ouvertement le problème chaque fois que cela est possible.
Pendant ce temps, les opérations militaires se poursuivent dans toute la Syrie. La Turquie a bombardé les zones syro-kurdes au nord-est et au nord-ouest. Elle a proposé aux États-Unis d’éviter de s’appuyer sur les Kurdes dans la lutte contre EI et offre des troupes turques en remplacement. Mais les États-Unis ne sont pas d’accord avec ce plan. Ils ont envoyé un régiment de Ranger Regiment 75 à la frontière syro-turque, dans l’est du Kurdistan pour faire arrêter les bombardements turcs. De même, la Russie a envoyé un régiment à la frontière turque, dans la région ouest autour d’Afrin. C’est un message clair (et coordonné ?) adressé à Erdogan de la part des deux grandes puissances impliquées dans le conflit.
La Russie a déployé un système de contrôle aérien en Syrie. Celui-ci peut détecter les approches ennemies avec une portée de plus de 600 kilomètres et envoyer directement des avions contre de telles cibles.
À l’est, les troupes kurdes sous le contrôle de « conseillers » américains ont repris la ville de Tabqa à État islamique. Le barrage de Tabqa, sur l’Euphrate, juste au nord de la ville, est toujours détenu par EI, mais sera la prochaine cible sur le chemin de Raqqa. Jusqu’à maintenant, il n’y a pas de troupes américaines supplémentaires en action dans cette bataille. Il existe des rumeurs de groupes étasuniens se concentrant dans l’est de la Jordanie, prêts à traverser le désert syrien pour rejoindre Raqqa. Cela séparerait la Syrie en deux et établirait une enclave orientale pro étasunienne. Je suppose que ce mouvement a été retenu pour des raisons politiques, mais pourrait se déclencher d’un moment à l’autre.
EI est également sous pression dans la région autour de Palmyre, où l’armée syrienne récupère les champs de pétrole et repousse EI plus à l’est.
EI s’est vengé de sa défaite près de Raqqa en envoyant cinq kamikazes à Rajm al-Salibi, près de Shaddadi, dans la province de Hassakeh, du côté de la frontière syro-irakienne, situé en profondeur dans les zones kurdes. Les kamikazes ont explosé à côté de la caserne des forces de sécurité kurdes gardant un camp de personnes déplacées. Une trentaine de personnes ont été tuées. Une autre attaque suicide a eu lieu dans les zones « rebelles » situées près de la frontière occidentale avec la Turquie. Le bureau local « rebelle » des services civils, à Azaz, a explosé et au moins cinq personnes ont été tuées.
Près de Damas, les combats entre rebelles se poursuivent dans l’enclave « rebelle » de la Ghouta Est (carte). L’« armée islamique », dirigée par Mohammad Alloush, essaie de prendre le monopole de la force dans le secteur, sans doute pour négocier plus tard un accord avec le gouvernement syrien. Jaish al-Islam a attaqué un groupe important de membres d’Al-Qaïda dans la région. Plus de 120 combattants des différents groupes « rebelles » ont été tués jusqu’à présent. La région est entourée par l’armée syrienne qui s’amuse à les regarder s’entre-tuer.
Les États-Unis, la Jordanie et Israël ont l’intention d’installer une « zone de non-survol »au sud, ce qui signifie occuper la partie sud-ouest de la Syrie. Pour ce faire, ils devront capturer la ville de Daraa qui est le principal centre administratif de la région.
La ville de Daraa se trouve à la pointe sud de la région tenue par le gouvernement. Elle est régulièrement attaquée par les forces « rebelles » soutenues par les États-Unis mais l’armée syrienne arrive à tenir la place. Cette situation est dangereuse pour la ville de Damas. Israël pourrait alors traverser ces zones « rebelles » jusqu’aux portes de Damas sans aucun problème. Pour éliminer ce danger, le Hezbollah a lancé une grande opération, venant du nord, le long de la frontière syro-israélienne, vers la région de Quneitra. Dans le même temps, des forces se déplacent de Damas pour expulser les « rebelles » de la région. Cela pourrait facilement devenir une bataille majeure impliquant des « rebelles », des forces israéliennes et jordaniennes d’un côté contre le Hezbollah et l’armée syrienne de l’autre.
La Russie préférerait nettement trouver une solution politique au lieu de poursuivre l’escalade dans cette guerre. Même si cela signifie abandonner le contrôle sur certaines parties de la Syrie. Pour le moment, les États-Unis semblent prêts à écouter et pourraient même accepter un accord. Mais il y a encore beaucoup d’empêcheurs de tourner en rond sur le terrain, (financés par leurs sponsors) qui feront de leur mieux pour perturber toutes les tentatives de cessez-le-feu ou de désescalade.
Pat Lang insiste depuis longtemps pour qu’une grande attaque de l’armée syrienne contre la gouvernance et la ville d’Idlib soit lancée afin d’éliminer Al-Qaïda de la région. Mais les gouvernements syrien et russe savent qu’une telle bataille, avec les forces trop faibles qu’ils ont, sera contenue dans le temps tant que les « rebelles » et al-Qaïda seront réapprovisionnés par la frontière turque. Leur but dans les négociations en cours est de pousser les États-Unis et la Turquie à un accord qui empêcherait de fournir ces terroristes. Ce n’est que lorsque cela se produira qu’Idlib et toute la Syrie seront libérées.
Moon of Alabama
Article original en anglais :
Syria Summary – A New Russian Proposal And A Battle For The South, Moon of Alabama, 3 mai 2017
Traduit par Wayan, relu par M pour le Saker Francophone