Ce 4 avril le pont aérien migratoire entre l’Asie et l’Europe entre en activité, d’abord à une échelle expérimentale et rassurante.
Communication oblige, les premiers avions ont débarqué les heureux élus à Hanovre, en Allemagne. Discrétion oblige, la presse n’a pas mentionné les aéroports concernés en France, aux Pays-Bas et en Finlande, certainement des aéroports internationaux desservant la Turquie. Communication oblige, les premiers amenés sont des familles avec enfants. Discrétion oblige, les jeunes hommes seuls, qui constituent l’essentiel des flux manoeuvrés par la Turquie, ne commenceront à être amenés qu’après que les journalistes aient fait leur moisson de photos familiales émouvantes et quitté les aéroports.
L’opinion européenne passive a appris la mise en place de ce pont aérien avant-hier 2 avril, bien qu’une nouvelle voie d’entrée « dans l’Union Européenne d’une manière ordonnée » (mémo 15-5777 de la Commission Européenne du 5 octobre commenté par Stratediplo le 15), aux modalités pratiques imprécisées, ait été annoncée dès la signature de l’accord turco-uniopéen du 18 mars, accord dont l’idée avait été évoquée publiquement par la Commission Européenne le 7 mars. Seuls les lecteurs de la Huitième Plaie savaient depuis le 20 janvier qu’un pont aérien serait prochainement mis en place.
On pensait que le prétexte initial en serait un incident humanitaire dans la neige hivernale, cependant les étapes ont pu être brûlées grâce à l’accord léonin proposé par la Turquie après l’annonce, par dix pays de transit, du rétablissement du contrôle de leurs frontières terrestres fin février. C’est dans le cadre de cet accord que l’Union Européenne a officialisé la reconduction de sa subvention de trois milliards d’euros à la Turquie (annoncée par Stratediplo le 29 novembre), la reprise du processus d’admission de la Turquie parmi une Union Européenne réduite aux membres que la Turquie accepte de reconnaître (et n’occupe pas militairement come Chypre), et l’accélération de la levée de l’obligation de visa pour les porteurs de passeport turc.
En échange la Turquie prétendait accepter le retour des clandestins débarqués en Grèce par les Turcs et désormais bloqués en Grèce, ce qui n’est en réalité que l’application du droit international puisque tout intrus clandestin doit être refoulé vers le pays en provenance duquel il vient de s’introduire illégalement, qu’aucun pays ne peut accorder à un étranger un permis de transit (écrit ou tacite) vers un pays tiers qui n’a pas accordé d’autorisation d’entrée, et que tout pays est tenu de contrôler ses frontières et reste responsable des actions (incursions par exemple) menées à partir de son territoire vers les pays tiers. En pratique la Turquie a effectivement accepté aujourd’hui, pour la presse, le raccompagnement de 131 étrangers qui avaient fait intrusion illégalement en Grèce à partir de la Turquie, à la quasi-surprise d’ailleurs du maire et de la capitainerie du port de retour Dikili qui n’ont reçu aucune instruction du gouvernement turc. Les hors-la-loi ramenés étant essentiellement des Pakistanais et des Bengalis dont les pays refusent le retour, la Turquie tentera de les faire accepter par l’Union Européenne, comme tels ou comme prétendus Syriens.
Le chiffre annoncé pour cette première phase du pont aérien est, selon l’accord du 18 mars, de 72000… « dans un premier temps » (selon l’expression désormais habituelle), et sera distribué selon la clef de répartition adoptée définitivement en septembre, en l’occurrence 20% pour la France qui a durement négocié pour obtenir plus que les misérables 14,17% que la Commission Européenne lui avait proposés en mai. Evidemment ces effectifs s’ajoutent à ceux des réinstallations durables et des relocalisations temporaires décidés l’année dernière, à titre essentiellement symbolique puisque portant sur moins d’un dixième du total des volontaires qui ont répondu à l’appel à l’intrusion illégale massive lancé par Angela Merkel et François Hollande le 25 août. Ce chiffre de 72000 sera donc, comme les précédents, rapidement dépassé. En vérité l’objectif d’un demi-million de Syriens certifiés à transférer directement de Turquie par voie aérienne, évoqué par Stratediplo dès octobre (bien avant la révélation d’un « accord secret » par Viktor Orbán), avait certainement déjà été augmenté en novembre et il n’est pas illogique de déduire qu’il ait été porté à un million et demi. Autant dire que ces vols concernant la fin de l’avant-garde (les primo-arrivants) ne font que commencer .
Mais l’opération a surtout pour objet de familiariser les opinions européennes à la phase aérienne de cette « migration de remplacement« , pour reprendre le titre du rapport de l’ONU du 21 mars 2000, par les images de ces familles souriantes qui commencent à descendre en ordre des avions qu’on leur a envoyés, tellement moins inquiétantes que les hordes de jeunes hommes qui enfonçaient de force les barrières frontalières en hurlant Allah Akhbar, l’année dernière.
Car la phase suivante, sans préjudice des accords annoncés ou secrets avec la Turquie, et dès qu’on aura terminé la régularisation des deux millions d’intrus entrés par effraction dans l’espace Schengen l’année dernière, ce sera l’affrètement des vols plus lointains pour la mise en oeuvre de leur regroupement familial, estimé au bas mot à douze millions (six ayants-droit par ex-hors-la-loi). Il ne s’agit là que des douze millions d’ayants-droit au titre des deux millions d’intrus de 2015, pas encore des ayants-droits au titre des transférés aériens directs de 2016.
En faisant le point des événements de 2015 et de leurs conséquences, on annonçait dans la Huitième Plaie le plus gros pont aérien qu’ait connu la courte histoire de l’aviation. Il a été inauguré ce 4 avril.