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Le président russe Medvedev signe des accords de partenariat stratégique économique en France
Par Kumaran Ira
Mondialisation.ca, 16 mars 2010
WSWS 16 mars 2010
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Du 1er au 3 mars, le président russe Dmitry Medvedev, accompagné d’hommes d’affaires, a effectué une visite commerciale et diplomatique en France. Durant sa visite, la France et la Russie ont conclu des accords commerciaux dans les domaines de l’énergie et de la production manufacturière en entamant des négociations sur la vente de navires de guerre français à la Russie. La France a recherché l’appui de la Russie pour des sanctions plus fortes contre l’Iran en raison de son programme nucléaire.

Le 1er mars, Medvedev a été reçu à l’Elysée par le président français, Nicolas Sarkozy. Lors d’une conférence de presse conjointe avec Medvedev, Sarkozy a dit : « Nous ne sommes plus dans la Guerre froide. Je veux dire ma conviction que la Russie n’est pas l’adversaire, que la Russie est le partenaire. »

Quant à Medvedev, il a dit : « Effectivement, nous avons des relations stratégiques. La France est un partenaire de longue date de notre pays. » Au sujet des investissements français en Russie, il a dit, « La République française est maintenant devant les Etats-Unis. Cela signifie que nous sommes sur une bonne voie. »

Selon des agences de presse russes, les investissements français en Russie ont devancé pour la première fois les investissements américains avec un total de 10,4 milliards de dollars. Les investissements français ont été réalisés principalement dans les secteurs énergétique, du commerce de détail, de l’automobile, des transports, du bâtiment, des assurances et bancaire.

Sarkozy, qui a adopté une attitude belliqueuse à l’encontre de l’Iran, a recherché le soutien de la Russie pour l’adoption de sanctions plus dures contre l’Iran au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. La Russie et la Chine rechignent pour le moment à appuyer toute mesure punitive de l’ONU contre l’Iran.

Sur l’Iran, Medvedev a dit : « La Russie est prête avec ses partenaires d’adapter des sanctions. Ces sanctions doivent être bien pesées et elles doivent être des sanctions intelligentes. Elles ne doivent pas être tournées contre la population civile, ces sanctions devraient être un dernier recours quand le dialogue n’est plus possible. »

Sarkozy a annoncé que la France avait entamé des négociations exclusives pour la vente de quatre navires de guerre amphibie de classe Mistral pouvant embarquer jusqu’à 16 hélicoptères, des dizaines de tanks et 450 soldats. Ceci a provoqué des critiques de la part de la Géorgie ainsi que de trois pays baltes membres de l’OTAN – la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie. La Géorgie a critiqué la France en disant que « la vente permettrait à Moscou d’envahir en quelques heures n’importe quelle ancienne république soviétique ou pays d’Europe de l’Est. »

Faisant allusion à la guerre russo-géorgienne de 2008 au sujet de l’Ossétie du Sud, l’amiral russe, Vladimir Vyssotsky à déclaré au Nezavissimaïa Gazeta : « Avec un navire de classe Mistral l’armée russe aurait accompli l’ensemble de sa mission en 40 minutes au lieu de 26 heures lors de la guerre d’Ossétie du Sud. »

Egalement le 1er mars, l’entreprise française GDF-Suez a signé un accord commercial concernant le projet de gazoduc Nord Stream avec le géant gazier russe Gazprom, le plus gros exportateur de gaz naturel du monde. L’accord permettra à GDF-Suez de prendre une participation de 9 pour cent dans le projet de gazoduc Nord Stream qui est construit pour relier la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique. Aux dires des entreprises, l’accord signifie que Gazprom livrera à la France 1,5 milliards de mètres cubes supplémentaires de gaz par an, à partir de 2015. Les entreprises françaises de transport et les constructeurs automobiles ont également signé des accords. La société française d’ingénierie Alstom a signé un contrat pour le rachat de 25 pour cent du capital du constructeur ferroviaire russe Transmashholding. Le 1er mars, le constructeur automobile Renault a inauguré à Moscou avec un investissement de 150 millions d’euros sa filiale russe Avtoframos plus performante; la capacité de production est censée doubler pour passer à 160.000 véhicules par an d’ici 2011.

Plusieurs organes de presse français ont signalé que la visite de Medvedev représentait un changement de la politique étrangère française. Ils ont remarqué que Sarkozy – qui avait critiqué au moment des élections présidentielles les violations des droits de l’homme commises par la Russie et son rôle en Tchétchénie – est revenu vers une approche plus traditionnelle de la Russie.

Comme le montre clairement les négociations sur l’Iran, ce virement a lieu dans le contexte de la politique étrangère en général pro-américaine de Sarkozy. Le quotidien Le Monde a remarqué que l’alignement de la France avec la Russie visait à obtenir l’accord de cette dernière pour des sanctions contre l’Iran en espérant que ceci convaincrait la Chine de ne pas bloquer la résolution de l’ONU contre l’Iran.

Le 2 mars, Le Monde écrivait : « L’axe Paris-Moscou de 2010 n’est pas celui de 2003, qui visait à contrer les Etats-Unis. Il s’agit, du point de vue français, d’accompagner, voire de pousser plus loin le récent durcissement de l’administration Obama face à l’Iran. Paris conçoit son rôle comme un ‘aiguilleur’ des Occidentaux sur ce dossier de prolifération et fait le calcul qu’un ralliement russe permettrait de convaincre les Chinois de ne rien bloquer à l’ONU : »

Les négociations sur le Mistral ont eu, toutefois, un caractère d’avertissement en direction des Etats-Unis. Le gouvernement français qui avait négocié l’accord mettant fin à la guerre russo-géorgienne de 2008, s’oppose à une confrontation militaire avec la Russie. Ceci se passe au moment où Washington discute d’une éventuelle réouverture des bases de missiles américaines dans des pays de l’Est tels la Roumanie et la Bulgarie.

Durant la période précédant la visite de Medvedev, la presse américaine avait critiqué les projets français de vente de navires de classe Mistral à la Russie. Le 3 février, le Washington Post écrivait: « Six sénateurs républicains, dont John McCain (Arizona), avaient adressé en décembre une lettre à l’ambassadeur français à Washington, Pierre Vimont, pour se plaindre de ce que la vente était inappropriée parce qu’elle pourrait suggérer que la France approuve le comportement de la Russie et que lettre qualifiait de plus en plus belliqueux et hors la loi. »

Dans un éditorial publié le 15 février, le Washington Post écrivait que la Russie « a rapidement manqué à ses promesses et occupe à ce jour, en violation flagrante de l’accord de cessez-le-feu, une partie du territoire géorgien. » Il ajoute, « nous trouvons étonnant que la réponse de M. Sarkozy à cette violation russe soit de fournir un navire de guerre à la marine russe. »

Durant la visite de Medvedev, Sarkozy a défendu la vente du Mistral. Il a dit : « mais j’aimerais que l’on m’indique comment on peut dire aux dirigeants russes : ‘On a besoin de vous pour faire la paix, on a besoin de vous pour résoudre un certain nombre de crises dans le monde, notamment la crise iranienne qui est une crise très importante, mais on ne vous fait pas confiance, on ne travaille pas avec vous sur le Mistral, sur le BPC [bâtiment de projection et de commandement, ndt] Quelle est la cohérence d’un tel choix ? Peut-on dire le matin au président Medvedev : ‘je vous fais confiance, votez avec nous au Conseil de sécurité, élaborons ensemble la même résolution’ puis l’après-midi lui dire : ‘non non, excusez-nous, comme on ne vous fait pas confiance, on ne travaille pas ensemble et le BPC, on ne vous le livre pas.’ »

Le revirement de la politique française reflète aussi l’éclatement de la crise de l’endettement en Europe méridionale, basée sur le refus des marchés financiers de prêter de l’argent au gouvernement grec. L’Espagne et la Portugal, et éventuellement l’Italie, sont également visés par les marchés et sont en train de préparer des mesures d’austérité contre les acquis sociaux. Ces événements portent un sérieux coup à la politique étrangère de Sarkozy en Europe qui avait été centrée sur des discussions concernant une éventuelle Union méditerranéenne.

Une grande partie des commentaires de presse se consacrent à la montée de tensions avec l’Allemagne. Le 15 février, le New York Times avait souligné « le fort sentiment existant au sein de l’élite française de porter traditionnellement son attention vers la Méditerranée tout en laissant l’Allemagne porter son intérêt à l’Europe de l’Est, risque de devenir un sérieux problème politique et économique. »

Le journal droitier Le Figaro a commenté : « La France comme la Russie ont de bonnes raisons de penser qu’elles peuvent avoir besoin l’une de l’autre dans un monde transformé par la crise financière. » Et d’ajouter : « Notre pays entend profiter des possibilités offertes par le marché russe et ne peut se permettre de laisser le champ libre à l’Allemagne qui, depuis déjà des années, a fait le choix que nous faisons aujourd’hui. »

Pour poursuivre en disant : « Septième investisseur en Russie et neuvième exportateur, la France doit absolument faire mieux. »

Quelles que soient les implications finales, les accords franco-russes soulignent les tensions grandissantes et les incertitudes de la politique mondiale – comme le révèlent les tentatives des responsables français de commenter l’histoire de l’amitié franco-russe.

Après son atterrissage à Paris, Medvedev a franchi le Pont Alexandre III, nommé d’après le tsar qui avait signé en 1982 l’alliance franco-russe. En grande partie dirigée contre l’Allemagne, cette alliance avait encouragé la France à intensifier ses investissements en Russie et avait joué un rôle crucial dans le déclenchement de la Première guerre mondiale. Les Bolcheviques avaient répudié les dettes à l’égard de la France après la Révolution d’Octobre en Russie, la France ayant contribué à organiser une intervention militaire internationale des puissances impérialistes contre le jeune régime soviétique. En 1927, le gouvernement français de Raymond Poincaré suspendait les négociations sur les dettes qui demeurent à ce jour une question politique en France.

En commentant la visite de Medvedev, le journal La Croix a remarqué qu’une association de créanciers français des emprunts russes continue « de demander des comptes à la Russie pour ces créances datant d’avant la révolution bolchevique. » Ces créanciers estiment que « le montant de la dette serait aujourd’hui de 75 milliards d’euros. C’est bien plus que les 300 millions d’euros touchés par la France en 1996. »

Des milieux gouvernementaux français ont signalé que la question ne serait pas soulevée lors des négociations avec Medvedev. Toutefois, le gouvernement français maintient que des créanciers privés ont encore le droit d’exiger un remboursement de la Russie.

Article original, WSWS, paru le 10 mars 2010.

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