Le président Abdelouahab Fersaoui a-t-il un rêve de foudre et de sang pour l’Algérie ?
Alors que le destin du pays reste lié à la crise sanitaire mondiale et à ses lourdes conséquences socio-économiques, des acteurs du champ politique trépignent d’impatience pour reprendre la marche vers un violent changement de régime.
Au nom du hirak, désormais infiltré par les islamistes,Abdelouahab Fersaoui, président du Rassemblement action jeunesse (RAJ), ne manque pas en cette période de grande fragilité, de démembrement sociétal et de récession économique et industrielle, d’exécuter sa funeste partition. Il vient, à cet effet de pondre un factum remarqué sur sa page Facebook, appelant à relancer et fortifier le hirak. Soit ! Mais l’imprécateur ne dit pas à quel titre et d’où il parle. De fait, il se pose, à l’instar de beaucoup de comparses échevelés, les Bouchachi, Assoul, Tabbou, Boureg’â, comme un tuteur du mouvement né le 22 février 2019 et il devrait assumer les tristes conséquences de sa prose ampoulée.
Récemment élargi de la maison d’arrêt d’El Harrach, le président du RAJ, organisation qui a bénéficié, en un autre temps, de subsides et de formations d’organismes américains d’exportation de la démocratie dans les pays du Moyen Orient, entend mobiliser le hirak pour un objectif des plus scabreux : continuer le combat contre le pouvoir qui tente, martèle-t-il, de « se recycler et assurer son maintien ». Dans les faits, c’est une position séditieuse : l’élection présidentielle du 12 décembre 2019, qui s’est déroulée sans heurt ni manquement aux principes fondamentaux de l’organisation du vote sur l’ensemble du territoire national, s’impose par ses résultats à tout Algérien. Peu importe que cette élection fût boycottée par la majorité du corps électoral, il est connu que dans de traditionnelles démocraties occidentales, des consultations électorales d’intérêt national ont pu être validées avec moins de 20 % des électeurs inscrits. C’est bien – convient-il de l’observer ? – contre un président et un pouvoir légitimes que Fersaoui s’emploie à ranimer le hirak.
Il est avéré qu’à l’origine des marches du 22 février 2019, quasiment tombées du ciel et rencontrant une ferveur populaire, il y avait une nette opposition à un cinquième mandat du président in abstentia Abdelaziz Bouteflika et une levée de bouclier contre un système prédateur, dont les comptes et les mécomptés carnavalesques sont soldées, aujourd’hui, devant la justice. Abdelouahab Fersaoui (et, certainement, beaucoup d’Algériens avec lui, et pas seulement dans le pays kabyle), peut nourrir l’indéracinable conviction que rien n’a changé. Et qu’il faille, retourner sur le front des luttes pour faire tomber le pouvoir du président Tebboune. C’est clair. Sauf que rien n’affirme que M. Tebboune et sa présidence figurent un ersatz d’un bouteflikisme dégénéré et qu’il est (trop) tôt pour en juger.
Je ne sais pas quel est le statut du RAJ, s’il appartient au champ politique ou associatif. Pour autant, rien ne devrait interdire à Abdelouahab Fersaoui et à ses autres membres – ainsi Hakim Addad et son fieffé alter ego, « missionnaire » de Dakar – de faire de la politique, critiquer à l’envi le président de la République et son gouvernement et les faire – effectivement – chuter dans les urnes et s’emparer du pouvoir. Le jeu politique, tel qu’il est perçu dans toutes les nations du monde, ne peut excéder un cadre d’activité légal, sans conseils et financements d’organismes étrangers. Les caciques du RAJ n’y ont-ils pas dérogé ?
Cet enjeu d’alternance politique, pourquoi Fersaoui et le gouvernement occulte du hirak, qui prétend disposer de l’appui de l’extrême majorité du peuple algérien ne s’y sont-ils pas prêtés – et ne s’y prêteraient-ils pas ? Ce n’est pourtant pas le cas. L’ambition du président du RAJ est de rassembler, à nouveau, les marcheurs du 22 février 2019 pour casser le pouvoir actuel et dans ses marges l’État algérien, écrire une page lumineuse et romanesque de l’histoire du pays. Cependant, il reconnaît à demi-mot que les forces vives du hirak originel se sont égaillées et c’est pour cela qu’il aspire à réunir toutes les chapelles du mouvement, en y intégrant en bonne place les islamistes de Zitout (Londres) et de Dhina (Genève), rehaussés du col par le sociologue français Lahouari Addi (Lyon), une phalange de l’étranger curieusement revigorée.
Il y a une raison à la criante désaffection actuelle envers le hirak : il est, à présent, assuré, depuis le magistral livre-enquête de l’universitaire Ahmed Bensaada (« Qui sont ces ténors autoproclamés du hirak algérien ? », Alger, Apic Éditions, 2020), qu’un questionnement intense se développe dans la société mettant en cause les évolutions du hirak au-delà de la ligne de crête du printemps 2019, entrevue par le philosophe Mohamed Bouhamidi. Ce néo-hirak dépenaillé (dix marcheurs, un récent vendredi, dans les rues du Bardo exsudant un air de déroute !) est maintenu à flot, vaille que vaille, par trois titres de presse privée d’Alger, surjouant l’ampleur du phénomène, qui ont depuis longtemps bafoué les règles éthiques de leur métier. Cependant, plusieurs acteurs de la politique, des médias, de l’Université et de la société dans sa diversité, dénoncent maintenant la mainmise de Rachad, secte islamiste créée à l’étranger par des survivants du FIS dissous et de ses démembrements armés.
Abdelouahab Fersaoui est bien conscient de cette chape ombreuse jetée sur un hirak premier, autrefois glorieux, qui n’a plus aucune existence réelle dix-sept mois après son lancement hors de l’agitation de quelques chefs, comme l’énonce Bensaada, « autoproclamés » (Une question s’impose : En quoi le président du RAJ est-il fondé à interpeller les Algériens et à les remettre en marche ?). Mais l’intention est de faire feu de tout bois et les vieux sarments islamistes sont réputés les plus cruellement inflammables. Le président du RAJ a une formule qui vaut son pesant de bois de gibet : « Le retour des anciens paradigmes des années 90 et des débats idéologiques dans le contexte actuel est inquiétant ». Certes. Que faire lorsque le hirak nouveau est nu et que la nuisance de ces « paradigmes », remis en selle par lui et ses acolytes, n’est ni rassurante ni oubliée ? La réponse est cinglante : le débat sur les méfaits islamistes n’est pas proprement exclu, mais renvoyé aux calendes grecques. Ce qui permet au président Fersaoui en mettant bout à bout ces « paradigmes » de construire un vertueux syntagme : « cela ne peut se faire que dans le cadre d’un État de droit, démocratique et garantissant les libertés » – dont devrait strictement accoucher le néo-hirak. Un « État de droit » justement, sous l’ornière de l’islamisme. Indéchiffrable nuance asymptotique, lorsqu’il est demandé à l’incendiaire d’éteindre les feux qu’il a allumés et aux criminels de juger leurs crimes. Abdelouahab Fersaoui estampille cette improbable vérité. En attendant l’avènement de cet État providentiel, la lutte continuerait avec des islamistes plus hargneux que jamais et leurs donneurs d’ordre à l’étranger.
Si le RAJ est un parti politique habilité, enregistré sur les tablettes de l’État et activant sous son contrôle, Abdelouahab Fersaoui qui agence un renversement du pouvoir par la rue n’est plus dans la légalité. Alors que le hirak n’est qu’un mouvement très circonstancié, qui a épuisé son cycle de vie, le président du RAJ souhaite le reconstituer, lui donner une consistance statutaire et « l’inscrire dans la durée ». En dehors de toute homologation institutionnelle et pour un dessein factieux : changer de régime sous le pavois islamiste.
Ce pouvoir abhorré par le président du RAJ et ses délégataires, malgré un tableau politique encore peu rassérénant sept mois après son installation (ainsi l’aventureuse et brève nomination d’un Français au gouvernement), est légal et légitime. Abdelouahab Fersaoui et ses amis « ténors autoproclamés » le savent, qui ne sont que le marchepied de l’islamisme en quête de revanche contre l’Algérie et les Algériens. Mourad Dhina vient de le rappeler depuis Genève dans un post en ligne : la guerre n’est pas finie, contre le régime, contre l’armée dont il vient de justifier l’assassinat de jeunes appelés du Service national dont Hocine Bensaada (1973-1994), frère de l’écrivain Ahmed Bensaada, et d’entacher l’itinéraire de ses généraux – « janviéristes », décédés ou vivants – héros de la résurgence de la nation algérienne.
Ce n’est pas d’Abdelouahab Fersaoui (et de son fan-club de France 5 qui a marché pour une radicale mutation des mœurs, notamment la libération du sexe, des terrasses à bière d’Alger et d’Oran et du « heavy metal ») que le gouvernement algérien devrait le plus s’inquiéter. Le président du RAJ, qui a porté à son horizon un idéal d’éternel jeunisme, est promis, malgré son enthousiasme entier pour un changement révolutionnaire, aux bûchers que sauront lui ériger ses maléfiques alliés de l’heure, tâcheron de cette nébuleuse d’agents islamistes, qui de Londres à Paris, Lyon et Genève, alliée aux Américains, adossée à l’argent sombre des monarchies arabes, n’attend que l’occasion pour donner le coup d’épaule qui ébranlera l’État algérien et la République algérienne démocratique et populaire pour ouvrir la voie à une « libyanisation » du pays.