Le prétendu accord secret germano-turc pourrait porter sur 1,5 millions de migrants

Il y a quelques jours la presse dissidente française s’est émue de la « révélation » aux députés hongrois le 10 février, par le premier ministre Viktor Orbán, d’un prétendu accord secret germano-turc prévoyant le transfert de Turquie, pour répartition au sein de l’Union Européenne, de 400000 à 500000 Syriens supplémentaires.
Ce n’est pas un scoop puisque le même Viktor Orbán avait déjà déclaré le 2 décembre qu’il attendait l’annonce de cet accord sous quelques jours, tout en sachant que comme l’avait montré l’évocation de cette question encore le 11 novembre au sommet de La Valette (et déjà au houleux Conseil Européen du 15 octobre), elle serait très mal acceptée.

Ce n’est pas non plus une nouveauté. Par son mémo 15-5777, soumis par le président Jean-Claude Juncker au président Recep Tayyip Erdoğan le 5 octobre et diffusé le 6, la Commission Européenne avait résumé le Plan d’Action élaboré par une commission mixte turco-européenne après le Conseil Européen informel du 23 septembre (et peut-être imaginé dès le dîner du 17 mai), et sauf erreur pas divulgué à ce jour hormis les dispositions qui en ont été incluses dans l’accord du 29 novembre. Ce mémo, remis aux chefs d’Etat comme succinct ordre du jour du Conseil Européen des 15 et 16 octobre (qui serait écourté le 15 au soir suite aux dissensions), mentionne des « programmes et schémas de réinstallation de l’Union Européenne permettant aux réfugiés en Turquie d’entrer dans l’Union Européenne d’une manière ordonnée« .

Ce n’est en effet pas un accord germano-turc, même si, envoyée en Turquie le 18 octobre pour négocier au nom de l’Union Européenne, la chancelière allemande Angela Merkel a bien pu laisser entendre au président Erdoğan qu’il s’agissait encore d’une initiative allemande, comme l’appel du 24 août à l’intrusion illégale massive, que le président français François Hollande était allé soutenir précisément à Berlin (plutôt qu’à Bruxelles). L’accord dont on parle en ce moment n’a malheureusement rien d’allemand, c’est une clause d’un accord turco-uniopéen et la destination des colons (il ne s’agit légalement pas de réfugiés) que la Turquie doit mettre à disposition n’est pas l’Allemagne mais l’ensemble de l’Union Européenne, selon la clef de répartition négociée en mai, ces fameux quotas qui n’attribuaient initialement que 14,17% d’intrus illégaux à la France qui a donc insisté pour en obtenir finalement 20%.

Cet accord n’est pas non plus un véritable secret. Lauriane Lizé-Galabbé l’avait dénoncé publiquement dès le 8 octobre, donc trois jours après que les présidents européens Jean-Claude Juncker (Commission), Donald Tusk (Conseil) et Martin Schultz (Parlement) aient en personne signifié au président ottoman Recep Tayyip Erdoğan leur acceptation. Stratediplo, qui ne commente que des informations de source ouverte, l’a mentionné le 16 octobre (sommet de dupes), et a indiqué le 29 novembre, après la signature officielle de l’accord qui ne mentionnait pas de chiffres, qu’on ignorait « de combien a été relevée la promesse d’installation dans l’Union européenne du demi-million de colons à envoyer par la Turquie » (victoire turque ou capitulation uniopéenne ?).

Car le chiffre dévoilé par le premier ministre Orbán est vraisemblablement périmé. Les détails de cette proposition dataient d’avant l’intervention russe en Syrie et incluaient la remise à la Turquie d’une frange territoriale du nord de la Syrie, comme promis déjà par les Etats-Unis le 27 juillet, or suite à l’intervention russe l’Union Européenne ne pouvait plus donner cette bande de territoire syrien et la Turquie a donc exigé plus en compensation. Alors que jusqu’à la fin septembre l’Union Européenne ne prévoyait d’offrir à la Turquie qu’un milliard d’euros, la proposition orale des trois présidents européens le 5 octobre s’élevait déjà à trois milliards (pour compenser l’impossibilité d’offrir un morceau de Syrie) même si le président Juncker a laissé croire jusqu’au Conseil Européen du 15 qu’il n’avait proposé qu’un milliard, et d’ailleurs le 18 sa négociatrice Merkel a été obligée, à Ankara, d’accepter le principe d’un renouvellement annuel de ces trois milliards (l’accord signé le 29 novembre mentionnera un montant initial de trois milliards « sujet à réexamen »).

Après la réception frileuse réservée à cette idée au Conseil Européen du 15 octobre, de la part notamment du carré de Višegrad, les réfractaires comme Viktor Orbán n’ont certainement pas été tenus au courant de la poursuite des négociations avec la Sublime Porte, et aucun chiffre n’a été mentionné dans l’accord signé le 29 novembre. Mais il est donc très vraisemblable que le demi-million de « réfugiés de Syrie » que l’Union Européenne comptait proposer le 5 octobre d’aller chercher en Turquie n’ait pas suffi non plus à compenser l’impossibilité de donner à la Turquie une portion de Syrie. Puisque le milliard d’euros proposé s’est transformé en trois milliards (annuels), il ne serait pas surprenant que le demi-million de réfugiés se soit transformé en un million et demi, soit à peu près le nombre de vrais Syriens présents en Turquie (qui d’ailleurs cesseront d’être réfugiés dès qu’ils passeront dans un pays tiers). La certification de syrianité revient bien sûr à la Turquie, les pays européens ayant rompu tout contact diplomatique avec la Syrie étant incapables de distinguer un vrai passeport émis en Syrie d’un faux imprimé en Turquie.

Cette affaire n’est malheureusement que l’une des multiples forfaitures exposées dans la Huitième Plaie dans l’espoir de prévenir l’imminent changement d’échelle de l’envahissement de l’Europe par l’Asie.

Stratediplo


Articles Par : Stratediplo

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