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Le prince héritier saoudien accuse l’Iran d’«acte de guerre»
Par Jordan Shilton
Mondialisation.ca, 10 novembre 2017
wsws.org 8 novembre 2017
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Dès qu’il s’est débarrassé de ses principaux rivaux pour le trône saoudien, le prince héritier Mohammed ben Salman a intensifié de façon spectaculaire les tensions au Moyen-Orient, accusant l’Iran d’un «acte de guerre». Cela montre clairement que la consolidation du pouvoir entre les mains de la faction anti-iranienne la plus radicale de la famille royale saoudienne menace de déclencher un conflit régional catastrophique à travers le Moyen-Orient ravagé par la guerre.

L’allégation de Ben Salman a été faite suite au tir d’un missile depuis le Yémen sur l’Arabie Saoudite, qui a été intercepté et détruit par l’armée de l’air saoudienne. Riyad mène une guerre sanglante depuis 2015 contre les rebelles houthis au Yémen.

Ben Salman a exploité l’incident pour menacer de façon provocatrice un conflit militaire avec Téhéran. «L’implication de l’Iran dans la fourniture de missiles aux Houthis est une agression militaire directe du régime iranien, a-t-il déclaré mardi, et pourrait être considérée comme un acte de guerre contre le Royaume.»

Attisant les flammes du conflit entre les deux concurrents régionaux et renforçant la main de Ben Salman dans sa politique anti-iranienne, le président américain Donald Trump a dénoncé l’Iran lundi, l’accusant, sans aucune preuve, d’être derrière le lancement de missile. Le chef des Gardiens de la Révolution iraniens a répondu à l’allégation incendiaire de Trump en niant que l’Iran fût impliqué.

Le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif a réagi avec colère par Twitter, critiquant Riyad pour «des guerres d’agression, de l’intimidation à travers la région, des comportements déstabilisateurs et des provocations risquées». Pourtant, a-t-il ajouté, l’Arabie saoudite «accuse l’Iran d’être responsable des conséquences».

Les menaces de guerre de Ben Salman ont suivi l’arrestation spectaculaire de 11 princes et de 38 ministres et anciens ministres le week-end dernier. La répression, menée par Ben Salman en collaboration avec son père, le roi Salman vieillissant et malade, a mis en évidence la crise de plus en plus grave à laquelle le régime de Riyad est confronté et la situation extrêmement instable au Moyen-Orient.

Ben Salman, âgé de 32 ans, a été nommé prince héritier en juin par son père après l’arrestation de l’ancien prince héritier Mohammed ben Naif. Ben Salman a été nommé samedi par le roi Salman à la tête d’un organisme anticorruption, et quelques heures plus tard, il a lancé la dernière vague de détentions sous le prétexte intéressé de s’attaquer à la corruption.

L’objectif transparent était de renforcer la branche Salman de la famille royale et d’assurer une succession harmonieuse à Ben Salman lorsque le roi de 81 ans abdiquera ou mourra. Parmi les personnalités les plus en vue ont été arrêtés le prince Miteb ben Abdoullah, le fils de l’ancien roi Abdoullah et chef de la garde nationale, et le prince Alwaleed ben Talal, un milliardaire qui a des investissements substantiels dans de nombreuses entreprises européennes et américaines.

La détermination déclarée du prince héritier à confronter l’influence iranienne croissante dans toute la région exacerbe les conflits déjà tendus qui ont été enflammés au cours de plus d’un quart de siècle de guerres ininterrompues menées par l’impérialisme américain. La première guerre du Golfe de 1991, l’invasion de l’Irak en 2003, le bombardement de la Libye en 2011 et la guerre en cours en Syrie et en Irak ont coûté la vie à des millions de personnes, ont forcé des millions d’autres à quitter leur logis et ont bouleversé l’équilibre des forces régionales.

Tout porte à croire que l’Arabie saoudite et les États-Unis prennent des mesures coordonnées pour défier l’Iran avec plus de force. Toute l’élite dirigeante américaine est profondément troublée par l’influence grandissante de l’Iran au Moyen-Orient et le fait que Washington, malgré les dépenses considérables de sang et d’argent, s’est révélé incapable de prendre le contrôle de la plus importante région exportatrice de pétrole du monde. Au lieu de cela, les États-Unis perdent du terrain devant la Russie et de plus en plus la Chine, qui devient un acteur économique majeur.

Le même jour où Ben Salman ordonnait l’arrestation de ses rivaux, le premier ministre libanais Saad Hariri a annoncé sa démission surprise alors qu’il se trouvait dans la capitale saoudienne. Hariri, un dirigeant sunnite qui a gouverné en coopération avec le Hezbollah chiite aligné avec l’Iran, semble avoir été contraint par Riyad à créer les conditions d’une confrontation plus directe avec le Hezbollah. Dans le pays voisin, en Israël, qui se prépare à la guerre contre le Hezbollah, le gouvernement de Benyamin Netanyahou a encouragé les Saoudiens dans leur approche intransigeante envers l’Iran. Tel-Aviv a également intensifié ses frappes aériennes dans le conflit syrien, dans le but de contenir l’influence iranienne et d’arrêter les livraisons d’armes au Hezbollah.

La purge du prince Salman a été explicitement approuvée par Trump, qui a déclaré lors de son voyage en Asie que c’était une bonne chose pour le prince héritier de prendre des mesures contre la corruption et qu’il avait une «grande confiance» en lui.

Trump a jeté les bases du développement d’une alliance sunnite anti-iranienne au Moyen-Orient lors d’un voyage à Riyad en mai. Au cours d’un discours provocateur, il a qualifié Téhéran de principal sponsor du terrorisme de la région. Le mois dernier, Trump a refusé d’attester que l’Iran avait respecté l’accord nucléaire de 2015 négocié sous l’administration Obama, préparant le terrain pour une nouvelle recrudescence des tensions avec Téhéran et un conflit militaire direct impliquant les États-Unis.

Comme on pouvait s’y attendre, les médias américains ont généralement réagi positivement à la répression de Ben Salman contre ses adversaires en Arabie saoudite. Les seules expressions d’inquiétude sont venues de ceux qui craignaient que la répression agressive de Ben Salman puisse discréditer et affaiblir la monarchie saoudienne. Bruce Riedel, un membre de la CIA depuis 30 ans et directeur du Brookings Intelligence Project, a déclaré à Al-Jazeera: «Il y aura beaucoup de mécontentement dans les coulisses parmi la famille, et le Royaume se dirige vers l’instabilité.»

Riyad, qui est l’un des piliers de Washington au Moyen-Orient depuis 1945, est de plus en plus préoccupé par l’affaiblissement de sa position géopolitique. Le fait que Washington n’a pas lancé une intervention directe pour renverser le régime Assad, sa décision de conclure l’accord nucléaire de 2015 avec l’Iran et son refus d’accorder son soutien sans réserve au blocus économique et diplomatique du Qatar en début d’année ont intensifié la crise de l’establishment dirigeant saoudien.

L’élite dirigeante saoudienne réagit à ceux qui s’opposent à ses ambitions d’asseoir son hégémonie sur la région en agissant de plus en plus imprudemment et agressivement. La guerre sanglante au Yémen menée par Riyad depuis 2015 contre les rebelles houthis a tué des dizaines de milliers de civils et provoqué une catastrophe humanitaire. Les Saoudiens n’ont pas réussi à réaliser leurs ambitions stratégiques et sont de plus en plus isolés, n’ayant obtenu qu’un soutien limité des pays du Golfe dans le conflit.

Le blocus contre le Qatar, motivé par la frustration des Saoudiens face aux liens croissants de Doha avec Téhéran, notamment dans le secteur de l’énergie, n’a pas donné les résultats escomptés: seuls les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte ont rejoint l’offensive saoudienne. Le Koweït et Oman sont restés neutres, paralysant dans les faits le Conseil de coopération du Golfe dirigé par l’Arabie saoudite.

Le renforcement d’Assad à Damas, avec l’aide de la Russie et de l’Iran, a permis à Téhéran de planifier l’établissement d’un couloir terrestre qui passerait à travers la Syrie pour atteindre le Liban et la côte méditerranéenne, ce qui augmenterait considérablement l’influence iranienne sur toute la région aux dépens de Riyad, Tel-Aviv et Washington.

La crise économique et sociale intérieure de l’Arabie Saoudite est encore un autre facteur contribuant à la situation explosive. La famille royale se trouve au sommet d’une poudrière sociale: sa vaste richesse et celle de l’élite des affaires contrastent radicalement avec la pauvreté éprouvée par de larges sections de la population du royaume. Ces tensions sociales se sont aggravées en raison de la forte baisse des prix du pétrole depuis 2014, qui a ébranlé l’économie saoudienne, contrainte à l’adoption de mesures d’austérité, et a augmenté l’insatisfaction face aux fabuleux niveaux de richesse dont jouissent les dirigeants du pays. À cela s’ajoute la très jeune population de l’Arabie saoudite: les deux tiers ont moins de 30 ans.

Il est évident pourquoi la Maison des Saoud est profondément préoccupée par le maintien de son régime dictatorial brutal. Depuis les révolutions égyptienne et tunisienne de 2011, la plus grande crainte dans les cercles dirigeants saoudiens est l’émergence d’un mouvement populaire en opposition à l’organisation existante, qu’elle tente d’empêcher par une répression impitoyable.

L’inégalité sociale endémique et le discrédit accru de l’élite dirigeante ne feront qu’encourager les dirigeants saoudiens à agir avec une agression encore plus grande dans toute la région. Le double objectif de Riyad est de détourner les tensions sociales vers les ennemis extérieurs et de renforcer le régime monarchique instable.

Jordan Shilton

Article paru en anglais, WSWS, le 8 novembre 2017

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