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LE «PRINTEMPS ÉRABLE» : Les arrestations préventives sont illégales et illégitimes
Par Marie-Ève Sylvestre
Mondialisation.ca, 13 juin 2012
Le Devoir.com 13 juin 2012
Url de l'article:
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La police de Montréal a procédé à 34 arrestations dites «préventives» lors de la fin de semaine du Grand Prix de Formule 1.
Photo : La Presse canadienne (photo) Peter Mccabe

La police de Montréal a procédé à 34 arrestations dites «préventives» lors de la fin de semaine du Grand Prix de Formule 1.

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a procédé à 34 arrestations « préventives » cette fin de semaine en marge du Grand Prix de Montréal, en plus de multiplier les contrôles d’identité et les fouilles dans le métro et sur le site du Grand Prix.

Ce faisant, le SPVM suggère que des arrestations peuvent être effectuées en vertu de l’article 31 du Code criminel sans que celles-ci aboutissent au dépôt d’accusations. Non seulement sommes-nous d’avis que le Code criminel ne permet pas les arrestations préventives, mais nous sommes aussi très inquiètes de constater que les policiers ne cessent de multiplier le recours à de telles mesures au Canada ces dernières années, et ce, comme s’il agissait de la chose la plus normale du monde dans une société démocratique.

Assistons-nous à la montée d’un État préventif ?
 

L’article 31 du Code criminel

Conformément à l’article 31, un « agent de la paix qui est témoin d’une violation de la paix, comme toute personne qui lui prête légalement main-forte, est fondé à arrêter un individu qu’il trouve en train de commettre la violation de la paix ou qu’il croit, pour des motifs raisonnables, être sur le point d’y prendre part ou de la renouveler ».

Selon l’arrêt de principe Brown c. Durham Regional Police Force de la Cour d’appel de l’Ontario, l’article 31 du Code criminel ne permet pas une arrestation pour une violation de la paix appréhendée. Un acte criminel doit avoir été commis ou encore être sur le point d’être commis.

De plus, même s’il existe en vertu de la common law une forme de pouvoir d’arrestation préventive pour assurer la sécurité du public, celui-ci est extrêmement limité : la violation appréhendée doit être imminente, fondée et le risque qu’elle se matérialise doit être réel et substantiel. Ce pouvoir doit en outre être exercé dans le respect des droits fondamentaux des personnes, comme le droit à la liberté d’expression, à la liberté d’association et de réunion pacifique. Pour paraphraser les tribunaux, nous avons besoin de nous sentir en sécurité, mais nous devons, avant tout, être libres.

Les tribunaux ont eu l’occasion de se prononcer récemment sur les arrestations préventives dans le cadre des arrestations de masse survenues lors de la tenue du sommet du G20 à Toronto. Par exemple, dans l’arrêt Puddy, la Cour provinciale de l’Ontario a indiqué que procéder à des arrestations préventives dans le cadre de manifestations revient tout simplement à pénaliser la dissidence. La Cour ajoute qu’il peut s’agir d’une forme de détournement du message politique des personnes qui ont le droit de manifester pacifiquement en discréditant ce message et le délégitimant par des arrestations de masse.

Chargé d’enquêter sur les événements du G20, le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police de l’Ontario a aussi précisé que des arrestations préventives ne peuvent être effectuées en vertu de la common law que dans des conditions précises : elles doivent reposer sur des fondements objectifs qui permettent de croire qu’une violation de la paix sera commise, c’est-à-dire, que l’on a des motifs raisonnables de croire qu’il existe un « risque réel de préjudice imminent ».

Ainsi, bien qu’il s’agisse toujours d’une question de fait, les policiers ne peuvent donc pas arrêter préventivement des gens simplement parce qu’ils circulent sur le site du Grand Prix, portent un carré rouge ou expriment leur dissidence, et ce, sans qu’un acte criminel ait été commis ou sans que les policiers aient des motifs raisonnables de croire qu’une violation de la paix est imminente.

Des critiques internationales

Depuis plus de dix ans, le Canada fait l’objet de vives critiques concernant son recours à des arrestations de masse et, plus récemment, à des arrestations préventives dans le cadre de manifestations pacifiques. En 2006, le Comité des droits de l’homme de l’ONU s’est dit préoccupé « par les renseignements selon lesquels la police, en particulier dans la Ville de Montréal, aurait procédé à des arrestations massives de manifestants ». La Commission interaméricaine des droits de l’homme de l’Organisation des États américains ajoute, en se référant au Comité des droits de l’ONU, que « [les États] devrai[en]t veiller à ce que le droit de chacun de participer pacifiquement à des manifestations de protestation sociale soit respecté et à ce que seuls ceux qui ont commis des infractions pénales au cours des manifestations soient arrêtés ».

Récemment, le Barreau du Québec a aussi remis en question la légalité des arrestations préventives dans une lettre envoyée au premier ministre Stephen Harper demandant la tenue d’une enquête publique indépendante sur les événements du G-20.

Les arrestations préventives, alors qu’aucun acte criminel n’a été commis ou alors qu’une violation de la paix n’est pas imminente, sont illégales et arbitraires. Elles sont susceptibles de porter directement atteinte aux droits fondamentaux protégés par nos Chartes des droits et libertés, notamment lorsqu’elles sont combinées à des pratiques de profilage politique, de pénaliser la dissidence politique et de dissuader les manifestations pacifiques.

On ne peut punir ni arrêter des gens pour des infractions qu’ils n’ont pas encore commises ni ne sont sur le point de commettre. La démocratie exige que nous prenions des risques et que le pouvoir des policiers soit strictement contrôlé.


Marie-Ève Sylvestre
– Professeure, Section de droit civil, Université d’Ottawa 

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