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Le profit avec la mort
Par Joe Kishore
Mondialisation.ca, 14 septembre 2009
WSWS 14 septembre 2009
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/le-profit-avec-la-mort/15205

Un article publié dans le New York Times de dimanche dernier décrit comment les banques d’investissement préparent des moyens leur permettant de spéculer sur la vie et la mort de personnes ayant souscrit une assurance-vie.

« Les banquiers projettent d’acheter des polices ‘life settlement’, des polices d’assurance-vie que des personnes malades et âgées vendent pour obtenir de l’argent comptant – 400.000 dollars pour une police d’un million, selon l’espérance de vie de la personne assurée », écrit la correspondante du Times, Jenny Anderson. « Puis elles projettent, pour parler dans le jargon de Wall Street, de ‘sécuriser’ ces polices, en les réunissant par centaines ou par milliers dans des obligations » qu’on vend ensuite aux investisseurs.

Les investisseurs continueront de payer les primes des assurances en question et toucheront la somme versée quand la personne meurt. « Plus le possesseur de la police meurt tôt, plus le bénéfice sera élevé». Dans l’exemple donné par l’article, si l’assurance-vie est à hauteur de un million de dollars, est vendue 400.000 dollars et si l’investisseur paye 100.000 dollars en primes avant que l’individu ne meure, le profit obtenu se montera à un demi-million de dollars.

Bien sûr, une forte hausse de l’espérance de vie pour une partie de la population serait un gros risque pour l’investisseur. « Une obligation faite d’assurances-vie comporterait de façon idéale les polices de gens qui ont toute une suite de maladies – leucémie, cancer du poumon, maladie du cœur, cancer du sein, diabète, maladie d’Alzheimer » pour se prémunir contre le danger d’une cure pour l’une de ces maladies, remarque le Times.

L’achat et la vente de l’assurance-vie d’une autre personne existe déjà (en 2007 le magazine Business Week avait publié un article sous le titre « Obligations de la mort ») mais la « sécurisation » de ces polices dans le but de rendre l’investissement aisé en est encore à ses débuts. Cependant, écrit le Times, cette possibilité a éveillé un vif intérêt. « Nos téléphones ont sonné sans arrêt » dit un agent de notation cité dans l’article. « Nous espérons qu’il y aura une ruée après les premières offres », dit le représentant d’une banque d’investissement. Crédit Suisse et Goldman Sachs sont parmi les banques qui s’intéressent à la nouvelle opération financière.

Le Times note aussi que le marché pourrait atteindre les 500 milliards de dollars, « ce qui aiderait Wall Street à compenser la perte de revenu issu de l’effondrement du marché des hypothèques immobilières privées aux Etats-Unis ….»

Il y a plusieurs raisons de croire qu’un nouveau marché de la sécurisation des assurances-vie – un esprit sarcastique taxa les sécurités qui en sortiraient d’« obligations de la mort collatéralisées » — pourrait être très rentable.

Tout d’abord, des millions de gens étant dans une situation financière désespérée, il y aura inévitablement un large pool de travailleurs pauvres ou âgés qui seront incapables de payer les primes de leur assurance. Ils peuvent aussi avoir besoin d’argent liquide pour financer les paiements de leurs hypothèques, des frais médicaux ou autres nécessités pour eux ou leur famille. La crise allant s’aggravant, les gens seront de plus en plus disposés à se séparer à bas prix de leurs polices d’assurance.

Ensuite, les investisseurs feront pour l’essentiel le pari que les gens mourront plus rapidement que les compagnies d’assurance qui ont fait les polices ne l’ont escompté à l’origine – c’est-à-dire qu’ils parieront sur le fait que la courbe de l’espérance de vie de la population pointera vers le bas.

L’espérance de vie aux Etats-Unis a déjà commencé à stagner ces dernières années, en particulier dans les zones rurales. Alors que l’espérance de vie a légèrement augmenté en 2007, la dernière année pour laquelle on dispose de statistiques, cela se passait avant l’arrivée de la crise économique.

L’impact le plus important de la crise économique sera une très forte baisse du niveau de vie de la population américaine. Salaires et allocations sont baissées en permanence. La capacité qu’avait une partie de la classe ouvrière de maintenir un niveau de vie plus élevé en faisant des dettes, accompagné de prix immobiliers élevés s’est évanouie; d’autres formes de crédit disparaissent également. Tout cela conduit inexorablement à ce que les travailleurs mourront en moyenne plus vite.

Finalement, les investisseurs s’attendent à des coupes importantes dans les dépenses de santé qui seront le résultat des initiatives de « réformes » d’Obama. Après avoir distribué des milliers de milliards de dollars aux banques, la classe dirigeante américaine envisage de couper les dépenses sociales, en particulier celles de Medicare et Medicaid [programmes gouvernementaux d’assurance-santé n.d.t].

Comme l’a déclaré Obama au mois de juin: « Le coût de notre système de santé est une menace pour notre économie. C’est une charge qui va s’accroissant et qui pèse sur nos familles et nos entreprises. C’est une bombe à retardement pour le budget fédéral. Et il ne peut être soutenu par les Etats-Unis. » Derrière toutes les phrases à propos de « système de santé efficace » et d’« examens médicaux inutiles », les investisseurs savent bien que le principal moyen de couper les dépenses est de faire des coupes dans les services sociaux. Les diverses propositions faites au Congrès se sont concentrées en particulier sur une limitation de l’accroissement des dépenses médicales. Les programmes de santé gouvernementaux, dont Medicare, ont été une des principales causes de l’accroissement de l’espérance de vie au cours du vingtième siècle.

L’intérêt pour les « obligations de la mort » mis à part leur aspect incomparablement morbide est qu’il est symptomatique d’un phénomène plus général : le parasitisme de la classe dirigeante. On a du mal à imaginer un exemple plus parlante de la description faite par Marx du caractère social d’une classe dirigeante qui s’enrichit « non par la production, mais en accaparant la richesse déjà existante d’autrui ».

L’actuelle crise économique mondiale est étroitement liée à l’accession au pouvoir d’une aristocratie financière qui a accumulé son immense fortune dans des opérations de plus en plus séparées de la production de valeur réelle. La croissance de la bulle spéculative des sécurités s’appuyant sur les subprimes immobilières était elle-même fondée sur une tentative de pomper de la richesse chez ceux qui pouvaient le moins se le permettre.

La course au développement de sécurités basées sur les assurances vie n’est que le dernier en date mais certainement pas le dernier racket de ce genre.

La politique gouvernementale de cette dernière année – tant sous Bush que sous Obama – n’a pas seulement échoué à limiter la domination de l’aristocratie financière, elle l’a en fait renforcée. Les plus grandes banques ont accru leur position de monopole dans la finance américaine et les principaux directeurs et opérateurs boursiers escomptent des primes records cette année.

Le fait que le secteur financier soit revenu à la vie alors même que les conditions de vie de la classe ouvrière se détériorent et alors même que des millions de personnes sont expulsés de leur logement et de leur travail, que les écoles sont fermées et que les services sociaux sont démantelés, n’est pas un accident ; il y a un rapport direct entre ces deux processus.

Il n’est que naturel qu’ils aient créé une sécurité pour donner forme à cette relation parasitique.

Article original, WSWS, publié le 10 septembre 2009.

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