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Le programme mondial de Bill Gates et comment nous pouvons résister à sa guerre contre la vie
Par Dr. Vandana Shiva
Mondialisation.ca, 10 octobre 2020
Chelsea Green Publishing
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/le-programme-mondial-de-bill-gates-et-comment-nous-pouvons-resister-a-sa-guerre-contre-la-vie/5649999

En mars 2015, Bill Gates a montré l’image d’un virus de la grippe lors d’une conférence TED et dit au public que c’était à quoi ressemblerait la plus grande catastrophe de notre temps. La vraie menace pour la vie, a-t-il dit, ce ne sont pas «les missiles, mais les microbes». Lorsque la « pandémie » de coronavirus a balayé la terre comme un tsunami cinq ans plus tard, il a réutilisé le langage de la guerre, qualifiant la « pandémie » de «guerre mondiale».

«La « pandémie » de coronavirus dresse l’humanité toute entière contre le virus», a-t-il déclaré.

En réalité, la « pandémie » n’est pas une guerre. La « pandémie » est une conséquence de la guerre. Une guerre contre la vie. Le génie mécanique consacré au pillage des ressources a créé l’illusion d’un homme distinct de la nature et de la nature comme une matière première morte et inerte à exploiter. Mais, en fait, nous faisons partie du biome. Et nous faisons partie du virome. Nous sommes le biome et le virome. Lorsque nous faisons la guerre à la biodiversité de nos forêts, de nos fermes et de nos tripes, nous nous faisons la guerre.

L’urgence sanitaire du coronavirus est inséparable de l’urgence sanitaire que constitue l’extinction, de l’urgence sanitaire que constitue la destruction de la biodiversité et de l’urgence sanitaire que constitue la crise climatique. Toutes ces urgences sont liées à une vision du monde mécaniste, militariste et anthropocentrique qui considère les humains comme séparés – et supérieurs aux – autres êtres. Des êtres que nous pouvons posséder, manipuler et contrôler. Toutes ces urgences sont enracinées dans un modèle économique basé sur l’illusion d’une croissance illimitée et sur une cupidité illimitée, qui violent les frontières planétaires et détruisent l’intégrité des écosystèmes et des espèces individuelles.

De nouvelles maladies surviennent parce qu’une agriculture mondialisée, industrialisée et ineffective envahit les habitats, détruit les écosystèmes et manipule les animaux, les plantes et d’autres organismes sans respecter leur intégrité ni leur santé. Tous, à travers le monde, nous nous unissons pour faire face à la propagation d’une maladie comme le coronavirus, que nous avons causée en envahissant les habitats d’autres espèces, manipulé des plantes et des animaux à des fins commerciales et cupides, et pratiqué la monoculture. Alors que nous rasons les forêts, que nous transformons les fermes en monocultures industrielles dont la production est toxique et nulle du point de vue nutritionnel, que notre alimentation se dégrade par la transformation industrielle avec des produits chimiques synthétiques et manipulés génétiquement, alors que nous nous accrochons à l’illusion que la terre et la vie sont des matières premières destinées à être exploitées à des fins lucratives, nous sommes en effet tous unis. Mais au lieu de nous rassembler dans le but de préserver notre santé en protégeant la biodiversité, l’intégrité et l’auto-organisation de tous les êtres vivants, y compris les humains, nous sommes réunis pour faire face à une maladie.

Selon l’Organisation internationale du travail, «1,6 milliard sur un total mondial de 2 milliards de travailleurs de l’économie informelle (représentant les plus vulnérables sur le marché du travail), et une main-d’œuvre mondiale de 3,3 milliards, font face à des difficultés considérables pour gagner leur vie, à cause des mesures de confinement et/ou parce qu’ils travaillent dans les secteurs les plus durement touchés.» Selon le Programme alimentaire mondial, un quart de milliard de personnes supplémentaires seront confrontées à la faim et 300 000 pourraient mourir chaque jour. Ce sont bien là aussi des pandémies qui tuent des gens. On ne peut sauver des vies en tuant des gens.

La santé concerne la vie et les systèmes vivants. Or, il n’y a pas de «vie» dans le modèle de santé que Bill Gates et ses semblables promeuvent et imposent au monde entier. Avec ses alliés de par le monde, il définit d’en haut les problèmes liés à la santé, ainsi que les moyens pour les résoudre.  Il paye pour formuler les problèmes, puis il utilise son influence et son argent pour imposer ses solutions. Et dans le processus, il s’enrichit. Son «financement» aboutit à un effacement de la démocratie et de la biodiversité, de la nature et de la culture. Sa «philanthropie» n’est pas seulement du philanthro-capitalisme. C’est du philanthro-impérialisme.

La pandémie de coronavirus et le confinement ont démontré plus clairement encore comment nous sommes réduits à des objets qu’il faut contrôler, notre corps et notre esprit devenus en quelque sorte de nouvelles colonies à envahir. Les empires créent des colonies, les colonies rassemblent les biens communs des communautés autochtones et les transforment en sources de matières premières à extraire à des fins lucratives. Cette logique linéaire et extractive est incapable de percevoir les relations intimes qui permettent la vie dans la nature. Elle est aveugle à la diversité, aux cycles de renouvellement, aux valeurs de don et de partage, ainsi qu’au pouvoir et au potentiel de l’auto-organisation et de l’entraide. Elle est aveugle au gâchis qu’elle crée et à la violence qu’elle déchaîne. Le confinement prolongé du coronavirus a été une expérience de laboratoire pour un avenir sans humanité.

Le 26 mars 2020, au plus fort de la pandémie de coronavirus et au milieu du confinement, Microsoft a obtenu un brevet de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Le brevet WO 060606 déclare que «l’activité du corps humain associée à une tâche fournie à un utilisateur peut être utilisée dans un processus de minage de crypto-monnaie…»

L’«activité corporelle» que Microsoft souhaite «miner» comprend les radiations émises par le corps humain, les activités cérébrales, la circulation des fluides corporels, la circulation sanguine, l’activité des organes, les mouvements corporels tels que les mouvements oculaires, les mouvements faciaux et les mouvements musculaires, ainsi que toutes autres activités qui peuvent être détectées et représentées par des images, des ondes, des signaux, des textes, des nombres, des degrés ou toute autre information ou donnée.

Le brevet est une revendication de propriété intellectuelle sur notre corps et notre esprit. Dans le colonialisme, les colonisateurs s’attribuent le droit de prendre les terres et les ressources des peuples autochtones, d’éliminer leur culture et leur souveraineté et, dans les cas extrêmes, de les exterminer. Le brevet WO 060606 est une déclaration de Microsoft selon laquelle notre corps et notre esprit sont ses nouvelles colonies. Nous sommes des mines de «matières premières» – les données extraites de notre corps. Plutôt que des êtres souverains, spirituels, conscients et intelligents prenant des décisions, faisant des choix avec sagesse et possédant des valeurs éthiques concernant les impacts de nos actions sur le monde naturel et social dont nous faisons partie et auquel nous sommes inextricablement liés, nous sommes des «utilisateurs». Dans l’empire numérique, un «utilisateur» est un consommateur qui n’a pas le choix.

Mais la vision de Gates ne se borne pas là. En fait, elle est plus sinistre encore – il s’agit de coloniser le cerveau, le corps et l’esprit de nos enfants avant même qu’ils n’aient eu l’occasion de comprendre à quoi ressemblent la liberté et la souveraineté, en commençant par les plus vulnérables.

En mai 2020, le gouverneur Andrew Cuomo de New York a annoncé un partenariat avec la Fondation Gates pour «réinventer l’éducation». Cuomo a qualifié Gates de visionnaire et a fait valoir que la « pandémie » a créé «un moment dans l’histoire où nous pouvons réellement intégrer et faire progresser ces idées (de Gates)… pourquoi tous ces bâtiments, toutes ces bâtiments scolaires, avec la technologie dont vous disposez?»

En fait, Gates tente de démanteler le système d’éducation publique des États-Unis depuis deux décennies. Pour lui, les étudiants sont des mines de données. Les critères qu’il retient sont la fréquentation régulière, l’inscription à l’université et les notes aux épreuves de mathématiques et de lecture, car ils peuvent être facilement quantifiés et exploités. Dans cette réinvention de l’éducation, les enfants seront suivis grâce à des systèmes de surveillance afin de vérifier s’ils sont attentifs, tandis qu’ils seront forcés de suivre les cours à distance, seuls à la maison. Dans cette dystopie, les enfants ne retournent jamais à l’école, n’ont pas la possibilité de jouer, n’ont pas d’amis. C’est un monde sans sociabilité, sans relations, sans amour et sans amitié.

Lorsque je regarde vers l’avenir dans un monde de Gates et des barons de la technologie, je vois une humanité divisée, avec un grand nombre de personnes «à jeter» qui n’ont pas leur place dans le nouvel Empire. Ceux qui seront inclus dans le nouvel Empire ne seront guère plus que des esclaves numériques.

Or, nous pouvons résister. Nous pouvons préparer un autre avenir, améliorer nos démocraties, récupérer nos biens communs, régénérer la terre en tant qu’élément vivant de la Terre, être riches de notre diversité et de notre liberté, dans notre unité et notre interdépendance. C’est un avenir plus sain. Nous devons nous battre pour cela. Nous devons le revendiquer.

Nous sommes au bord d’un précipice, au bord de l’extinction. Laisserons-nous éliminer notre humanité, en tant qu’êtres vivants, conscients, intelligents et autonomes, par une machine avide qui n’a pas de limites et qui est incapable de mettre un terme à sa colonisation et à sa destruction? Ou bien allons-nous arrêter la machine et défendre notre humanité, notre liberté et notre autonomie pour protéger la vie sur terre ?

Vandana Shiva

Ce qui précède est extrait du livre de Vandana Shiva Uneness vs the 1%: Shattering Illusions, Seeding Freedom (Chelsea Green Publishing, août 2020) et est réimprimé avec l’autorisation de l’éditeur.

Le dernier livre de Vandana Shiva est Oneness vs. the 1%: Shattering Illusions, Seeding Freedom (Chelsea Green Publishing).

 

Liens de l’article en anglais:

Bill Gates’ Global Agenda and How We Can Resist His War on Life, Counterpunch, le 24 septembre 2020.

et

Bill Gates’ Global Agenda and How We Can Stop the Machine and Defend Our Humanity, Children’s Health Defense, le 29 septembre 2020.

Traduction en français :

http://lagazetteducitoyen.over-blog.com/2020/10/le-programme-mondial-de-bill-gates-et-comment-nous-pouvons-resister-a-sa-guerre-contre-la-vie.html

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