Le Québec : Hier les italophones, aujourd’hui les musulmans

Avec la marginalisation du Parti québécois et le remplacement du Parti libéral par la CAQ, nous assistons à un cycle politique caractérisé par l’alternance sans réelle alternative, en conformité avec l’ordre néolibéral. Ce gouvernement nationaliste de droite élu par 25 % de l’électorat, si l’on tient compte des abstentions, a recours à une recette éprouvée pour, à la fois, consolider et légitimer son pouvoir : détermination d’un problème réel ou imaginaire (la laïcité), élaboration d’une rhétorique alarmiste (retour du religieux) et désignation des responsables du problème (les musulmans). Les stratèges de François Legault n’ont rien inventé. Il y a une cinquantaine d’années, le mouvement nationaliste de l’époque s’est servi de la même recette mais avec d’autres ingrédients : la langue française, l’anglicisation et les italophones.

Il a fallu près d’une décennie pour que le psychodrame linguistique, se déroulant aux dépens des Québécois d’origine italienne, se dénoue enfin par l’adoption de la loi 101. Les relations entre ces derniers et les francophones se détériorèrent à tel point, et pendant si longtemps, que la méfiance et le ressentiment eurent raison de Giuseppe Sciortino, candidat péquiste dans Mercier, lors de l’élection précédant le dernier référendum. Il fut obligé, in extremis, de céder la place à un francophone d’ascendance canadienne-française à la suite de manoeuvres douteuses. Récemment, Michel David, chroniqueur au Devoir, écrivait que la présence de Sciortino, avocat éminemment ministrable au sein du futur gouvernement Parizeau, aurait probablement apporté au camp souverainiste les 45 000 voix qui lui manquaient pour remporter le référendum de 1995. Le nationalisme mesquin et revanchard est parfois suicidaire.

Aujourd’hui, ce sont les musulmans, en particulier les musulmanes, qui ont le mauvais rôle. Pourtant, il y a une vingtaine d’années, près des deux tiers des Québécois étaient contre l’interdiction du voile islamique. Selon un sondage récent, ils sont maintenant au moins autant à vouloir l’interdire. Pourquoi ce revirement ? Nul besoin d’être un exégète de Gramsci pour savoir que l’adhésion à un projet politique ou de société (ou perçu comme tel) est précédée par une longue période de propagation des idées et d’imprégnation des esprits auxquelles contribuent, consciemment ou non, de nombreux acteurs sociaux. En France (source d’inspiration pour certains Québécois) comme ici, politiques, chroniqueurs et essayistes se sont employés avec autant de ferveur que de constance à élaborer une rhétorique hostile à l’immigration et à la diversité culturelle — assimilée au multiculturalisme trudeauiste pour mieux la dénoncer — tout en souscrivant au mythe du choc des civilisations : une idéologie servant, entre autres, à dénigrer l’islam. Partout en Occident, l’islam est devenu l’ennemi à abattre. Le Québec ne fait pas exception. Il faut être d’une grande naïveté pour croire que le projet de loi 21 existerait sans la présence des musulmans.

Nationalistes conservateurs

Ce discours n’aurait pas eu autant de succès sans la contribution, depuis le tournant du millénaire, de nationalistes conservateurs, défenseurs d’une nation ethnoculturelle qui, craignant sans raison valable « la tyrannie des minorités » et « le reniement de soi », poursuivent, tout en le niant, la chimère d’un Québec assimilationniste et homogène. Il y a de cela aussi dans l’interdiction du port du foulard musulman. Ces hérauts d’un temps révolu, aux accents groulciens, doivent nous expliquer pourquoi l’assimilation que les francophones d’Amérique ont combattue avec autant de détermination serait souhaitable pour les immigrants.

Mais pourquoi la laïcité est-elle devenue la priorité de ce gouvernement, auquel on a dû rappeler l’importance de l’environnement, alors que deux millions et demi de Québécois ont un revenu inférieur à 25 000 $, que le système scolaire est le plus inégalitaire au Canada en raison de sa double ségrégation sociale et ethnique, et que les Québécois francophones sont sous-scolarisés par rapport aux immigrants (21 % contre 39 % de diplômés universitaires) et aux anglophones ? L’hégémonie néolibérale est telle, en Occident, que les partis de gouvernement, et non pas les formations politiques marginales, ne se distinguent presque plus sur les questions fondamentales et cherchent à tout prix à se différencier sur des questions secondaires ou fallacieuses, comme la laïcité ici ou l’islamisation et d’autres mythes ailleurs. C’est l’alternance sans véritable alternative. Ceux qui doutent de l’emprise, sur ce gouvernement, de cette rationalité mortifère, fondée principalement sur la concurrence généralisée, n’ont qu’à penser à la mise en concurrence de l’industrie du taxi avec Uber, aux immigrants réguliers avec les travailleurs temporaires et aux maternelles quatre ans avec les CPE.

Mais, au-delà de ce qui précède, il y a une réponse très simple à cette question : la laïcité est devenue une priorité parce que s’en prendre aux immigrants est politiquement rentable, comme partout en Occident. Le psychodrame d’il y a cinquante ans nous a peut-être coûté la souveraineté. Quel prix paierons-nous pour celui qui se déroule maintenant aux dépens des musulmans ?

Marco Micone

Écrivain



Articles Par : Marco Micone

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