Le quotidien The Guardian monte d’un cran ses diffamations contre Julian Assange.

Tant mieux qu’il y ait eu une petite réaction, y compris de la part des principaux journalistes, sur la diffamation constante de Julian Assange, le fondateur de Wikileaks, par [le quotidien britannique] The Guardian.

Le dernier article du journaliste Luke Harding, qui affirme que l’ancien directeur de campagne déchu de Donald Trump, Paul Manafort, a visité secrètement Assange à trois reprises à l’ambassade de l’Equateur à Londres, est tellement plein d’incohérences que même les opposants les plus aguerris à Assange dans les grands médias ont du mal à le défendre.

Confronté à ce un retour de manivelle, The Guardian a rapidement – et très discrètement – effectué une marche arrière sur sa prétention initiale que son article était basé sur des faits vérifiés. Au lieu de cela, il a modifié le texte, sans reconnaître qu’il l’avait fait, pour attribuer les allégations à des « sources » non identifiées et incontrôlables.

La fonction de propagande de l’article est évidente. Il est destiné à apporter la preuve d’allégations de longue date selon lesquelles Assange aurait conspiré avec Trump, et les prétendus partisans de Trump au Kremlin, pour nuire à Hillary Clinton pendant la course présidentielle de 2016.

Le dernier article du Guardian était supposé apporter une confirmation à une narrative selon laquelle Assange et Wikileaks ont sciemment publié des courriels piratés par la Russie depuis les serveurs du parti démocrate. En vérité, il n’y a aucune preuve que les courriels ont été piratés ou que la Russie était impliquée. Les acteurs clés de cette affaire ont plutôt laissé entendre que les courriels avaient fait l’objet de fuites au sein même du parti démocrate.

Néanmoins, cette allégation non vérifiée a été exploitée agressivement par les dirigeants démocrates parce qu’elle détourne l’attention à la fois de son échec à lancer un défi électoral efficace à Trump et du contenu dommageable des courriels. Cela montre que les bureaucrates du parti ont cherché à truquer les primairespour assurer la candidature de Mme Clinton à l’investiture démocrate, au lieu de Bernie Sanders.

Pour souligner l’effet escompté des nouvelles affirmations du Guardian, Harding ajoute même une référence désinvolte et sans fondement à des « Russes » qui se seraient joints à Manafort pour la soi-disant rencontre avec Assange.

Manafort a nié les allégations du Guardian, tandis qu’Assange a menacé de poursuivre le quotidien en justice pour diffamation [chose faite – NdT].

Responsable pour Trump

L’impact émotionnel de l’article du Guardian est de suggérer qu’Assange est responsable de l’élection de Trump. Mais plus important encore, elle renforce l’affirmation par ailleurs risible selon laquelle Assange n’est pas un éditeur – et donc qu’il n’aurait pas droit à la protection d’une presse libre, comme le Guardian ou le New York Times – mais le dirigeant d’une organisation qui se livre à de l’espionnage pour une puissance étrangère.

L’intention est de discréditer profondément Assange, et par extension l’organisation Wikileaks, aux yeux des libéraux de droite. Il sera ainsi beaucoup plus facile de faire taire Assange et la cause vitale qu’il représente : l’utilisation des nouveaux médias pour demander des comptes aux anciens médias commerciaux et aux élites politiques par l’imposition d’une transparence beaucoup plus grande.

L’histoire du Guardian préparera l’opinion publique pour le moment où le gouvernement de droite du président équatorien Lénine Moreno forcera Assange à quitter l’ambassade, après lui avoir déjà retiré la plupart de ses droits à utiliser des médias numériques.

Elle réduira l’opposition lorsque le Royaume-Uni procédera à l’arrestation de M. Assange sur la base d’accusations opportunes de violation de la liberté sous caution et l’extradera vers les États-Unis. Ce qui ouvrira la voie à l’emprisonnement d’Assange par le système juridique US pour une période très longue.

Pendant une bonne partie de la dernière décennie, toute affirmation des partisans d’Assange selon lesquels la demande d’asile à l’ambassade avait été faite pour justement éviter ce sort, était ridiculisée par les journalistes, en particulier par ceux du Guardian.

Même lorsqu’un groupe d’experts en droit international des Nations Unies a statué en 2016 qu’Assange était détenu arbitrairement – et illégalement – par le Royaume-Uni, les journalistes du Guardian ont déployé des efforts pour discréditer le rapport des Nations Unies. Voir ici et ici.

Aujourd’hui, il a été démontré qu’Assange et ses supporters ont raison, une fois de plus. Une récente erreur administrative a révélé que le ministère US de la Justice avait secrètement déposé des accusations criminelles contre Assange.

Surveillance lourde

Le problème pour le Guardian, qui aurait dû être évident pour ses rédacteurs dès le départ, est que toute visite de Manafort serait facilement vérifiable sans s’appuyer sur des « sources » non identifiées.

Glenn Greenwald est loin d’être le seul à noter que Londres est probablement la ville la plus surveillée au monde, avec des caméras de vidéosurveillance partout. Les environs de l’ambassade équatorienne sont particulièrement surveillés, les autorités britanniques et équatoriennes filment en permanence et, très probablement, les États-Unis et d’autres acteurs intéressés par le sort d’Assange.

L’idée que Manafort ou des « Russes » aient pu errer dans l’ambassade pour rencontrer Assange même une seule fois sans que leur piste, leur entrée et leur rencontre soient intimement scrutées et enregistrées est tout simplement grotesque.

Selon Greenwald : « Si Paul Manafort …. a rendu visite à Assange à l’ambassade, il y aurait beaucoup de vidéos et d’autres preuves photographiques pour le prouver. Le Guardian ne fournit rien de tout cela. »

L’ancien ambassadeur britannique Craig Murray souligne également l’importance des contrôles de sécurité imposés par l’ambassade, auxquels tout visiteur à Assange doit se soumettre. Une visite de Manafort aurait été enregistrée.

En fait, le Guardian a obtenu les registres de l’ambassade en mai et n’a jamais fait mention de l’identification de Manafort ou de « Russes » dans ces registres. Leur dernier article ne fait pas mention de ces registres.

Murray :

Le problème avec cette dernière fabrication est que [le président équatorien] Moreno avait déjà communiqué les registres des visiteurs l’enquête Mueller. Ni Manafort ni ces « Russes » n’y figurent… Quel motif le gouvernement équatorien pourrait-il avoir pour faciliter des visites secrètes non enregistrées de Paul Manafort ? De plus, il est impossible que l’agence de renseignement – qui était en charge de la sécurité – ne connaisse pas l’identité de ces prétendus « Russes ».

Aucune vérification

Il convient de noter qu’il devrait être d’une importance vitale pour une publication sérieuse comme The Guardian de s’assurer que ses affirmations sont incontestablement vraies – à la fois parce que le destin personnel d’Assange repose sur leur véracité, et parce que, plus important encore, un droit fondamental, la liberté de la presse, est en jeu.

Dans ces conditions, on aurait pu s’attendre à ce que les rédacteurs du Guardian insistent sur les contrôles les plus stricts imaginables avant de publier l’histoire de Harding. Ils auraient dû au moins demander une réaction à Assange et Manafort avant la publication. Aucune des deux précautions n’a été prise.

J’ai travaillé pour The Guardian pendant un certain nombre d’années, et je connais bien les étapes de contrôle que tout article sensible doit passer avant sa publication. Au cours de ce long processus, divers rédacteurs en chef, avocats, sous-rédacteurs et la directrice elle-même, Kath Viner, insisteraient pour éliminer tout ce qui ne pourrait être défendu et corroboré de façon rigoureuse.

Et pourtant, cette article-ci semble avoir été publié avec désinvolture, malgré des lacunes profondes constatées immédiatement par de nombreux analystes et journalistes bien placés.

C’est à tout le moins une indication que le Guardian pensait avoir une « assurance » sur cette histoire. Et les seules personnes qui auraient pu promettre ce genre d’assurance sont les services de sécurité et de renseignement – vraisemblablement de Grande-Bretagne, des États-Unis et/ou de l’Équateur.

Il semble que le Guardian ait simplement pris cette histoire, fournie par des fantômes, pour argent comptant. Même s’il s’avère plus tard que Manafort a bien visité Assange, le Guardian n’avait manifestement aucune preuve convaincante de ses allégations lorsqu’il les a publiées. Il s’agit là d’un journalisme profondément irresponsable – de fausses nouvelles – qui devrait préoccuper au plus haut point les lecteurs.

Une tendance, pas une aberration

Malgré tout cela, même les analystes qui critiquent le comportement du Guardian ont montré une incompréhension flagrante du fait que ce dernier article ne constitue pas une aberration, mais s’inscrit résolument dans une tendance.

Glenn Greenwald, qui a déjà eu une chronique influente dans le Guardian jusqu’à ce qu’une dispute apparente, mais non reconnue, éclate avec son employeur au sujet des révélations d’Edward Snowden, a écrit une série d’observations déroutantes sur le dernière article du Guardian.

Tout d’abord, il a laissé entendre qu’il s’agissait simplement d’une preuve de l’hostilité de longue date (et bien documentée) du Guardian à l’égard d’Assange.

« Le Guardian, un journal par ailleurs solide et fiable, a une haine personnelle tellement profonde et non professionnelle envers Julian Assange qu’il s’est souvent passé de toute norme journalistique pour le calomnier. »

C’était aussi, semble-t-il, une tendance à rechercher de la publicité :

« Ils [les rédacteurs en chef du Guardian] savaient que la publication de cette histoire amènerait ses partisans à la diffuser avec enthousiasme, que les chaînes de télévision câblée la diffuserait jusqu’à l’overdose et qu’ils en tireraient profit, que l’histoire soit vraie ou fausse. »

Et finalement, dans un tweet bizarre, Greenwald s’est exprimé en ces termes : « J’espère que l’article [sur Assange] s’avérera vraie » – apparemment parce que la réputation du Guardian est plus importante que le sort d’Assange et le droit des journalistes à révéler des secrets embarrassants sans crainte d’être emprisonnés.

Un Malaise plus profond

Mais le fait est que les attaques du Guardian contre Assange ne sont pas exceptionnelles ou motivées uniquement par une animosité personnelle. Elles sont entièrement prévisibles et systématiques. Plutôt que d’être la raison pour laquelle le Guardian viole les normes journalistiques et éthiques élementaires, la haine du journal envers Assange est le symptôme d’un malaise plus profond au Guardian et dans les médias commerciaux.

Même sans parler de sa campagne de dix ans contre Assange, The Guardian est loin d’être « solide et fiable », comme le prétend Greenwald. Il a été à l’avant-garde des attaques impitoyables et sans retenue contre le dirigeant travailliste Jeremy Corbyn pour avoir accordé la priorité aux droits des Palestiniens sur le droit d’Israël à poursuivre son occupation agressive. Au cours des trois dernières années, le Guardian a injecté de la crédibilité dans les efforts désespérés du lobby israélien pour faire de Corbyn un antisémite. Voir ici, ici et ici.

De même, le Guardian a travaillé sans relâche pour promouvoir Clinton au détriment de Sanders dans le processus de nomination du candidat Démocrate de 2016 – une autre raison pour laquelle le journal a été si assidu à répandre l’idée qu’Assange, aidé par la Russie, était déterminé à aider Trump contre Clinton.

La couverture par le Guardian de l’Amérique latine, en particulier des gouvernements populistes de gauche qui se sont rebellés contre l’hégémonie traditionnelle et oppressive des Etats-Unis dans la région, a longtemps été présentée par les analystes et les experts. Son venin particulier a été réservé à des personnalités de gauche comme le Vénézuélien Hugo Chavez, élus démocratiquement mais ennemis officiels des Etats-Unis, plutôt qu’aux dirigeants autoritaires de droite de la région, si chers à Washington.

Le Guardian a été actif dans l’hystérie dite des « fausses nouvelles », dénonçant l’influence des médias sociaux, le seul endroit où les dissidents de gauche ont réussi à trouver une lieu d’expression pour contrer le discours des médias commerciaux.

Le Guardian décrit les médias sociaux principalement comme une plate-forme envahie par les trolls russes, arguant que cela devrait justifier des restrictions plus sévères qui ont jusqu’à présent étouffé les voix critiques de la gauche dissidente plus que celles de la droite.

Héros de l’ordre néolibéral

De même, le Guardian a clairement indiqué qui sont ses vrais héros. Certainement pas Corbyn ou Assange, qui menacent de perturber l’ordre néolibéral enraciné qui nous précipite vers l’effondrement climatique et économique.

Ses pages, cependant, sont grandes ouvertes pour défendre unTony Blair, l’homme qui a mené la Grande-Bretagne, sous de faux prétextes, au plus grand crime contre l’humanité de mémoire d’homme – l’attaque contre l’Irak.

Cette « intervention humanitaire » a coûté la vie à plusieurs centaines de milliers d’Irakiens et créé un vide qui a déstabilisé une grande partie du Moyen-Orient, attiré les djihadistes islamiques comme Al-Qaïda et Daech, et contribué à la crise des migrants en Europe qui a alimenté la résurgence de l’extrême droite. Rien de tout cela n’est discuté dans le Guardian ou considéré comme un motif pour disqualifier Blair comme un arbitre de ce qui est bon pour la Grande-Bretagne et l’avenir du monde.

Le Guardian a aussi un faible pour le blogueur Elliot Higgins, qui, aidé par le Guardian, s’est fait un nom improbable en tant qu’ »expert en armement ». Comme Luke Harding, Higgins semble invariablement prêt à intervenir chaque fois ce que les services de sécurité britanniques et américains ont besoin d’une vérification « indépendante ».

M. Higgins et son site Bellingcat, très bien doté en personnel, ont assumé e rôle d’arbitres de la vérité sur de nombreuses questions d’affaires étrangères, jouant un rôle de premier plan dans la promotion de récits qui favorisent l’hégémonie américaine et de l’OTAN tout en diabolisant la Russie, particulièrement dans des domaines très contestés comme la Syrie.

Cette partisanerie claire ne devrait pas être surprenante, étant donné que Higgins jouit maintenant d’une position « universitaire », et d’un financement, au Atlantic Council, un groupe de réflexion de haut niveau basé à Washington et fondé pour obtenir un soutien à l’OTAN et justifier son programme impérialiste.

De façon improbable, le Guardian a adopté Higgins comme le visage d’un prétendu journalisme citoyen que le journal a par ailleurs cherché à saper en tant que « fausses nouvelles » chaque fois qu’un tel journalisme s’exprime sur les médias sociaux sans l’aval d’organisations soutenues par l’Etat.

La vérité est que le Guardian n’a pas commis d’erreur en publiant cet article contre Assange, ni dans sa campagne beaucoup plus longue pour le calomnier. Avec cet article, il a fait ce qu’il fait régulièrement quand des intérêts prétendument vitaux de la politique étrangère occidentale sont en jeu – il régurgite simplement un récit occidental au service de l’élite.

Son travail consiste à consolider un consensus de gauche pour les attaques contre les principales menaces qui pèsent sur l’ordre néolibéral existant : qu’il s’agisse d’une plate-forme comme Wikileaks qui fait la promotion de la dénonciation contre une élite occidentale corrompue ; ou d’un politicien comme Jeremy Corbyn qui cherche à briser le statu quo sur les industries financières rapaces ou la question Israëlo-Palestienne ; ou un leader radical comme Hugo Chavez qui a menacé de renverser la domination des Etats-Unis dans leur « arrière-cour » ; ou des dissidents des médias sociaux qui contrent les narratives complaisantes envers les élites des grands médias, dont The Guardian.

The Guardian n’a pas commis d’erreur en vilipendant Assange sans la moindre preuve. Il a simplement fait ce pour quoi il a été conçu.

Jonathan Cook

Article original en anglais :

Guardian Escalates Its Vilification of Julian Assange, publié le 30 novembre 2018

Traduction par VD pour le Grand Soir 

 

Note :

Paul Manafort a rendu visite à Assange en 2016, « selon une source » et selon The Guardian (Photo : Carlo Allegri/Reuters)



Articles Par : Jonathan Cook

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