Le riz transgénique à nouveau proposé comme solution aux épidémies de flétrissement bactérien, cette fois en Afrique

Des scientifiques participant à une initiative internationale sur le riz ont tiré la sonnette d’alarme au sujet d’une souche de flétrissement bactérien qui provoque des épidémies dans les rizières d’Afrique de l’Est, affirmant que les variétés transgéniques brevetées mises au point par leurs équipes sont la solution.

Ces scientifiques participent au projet Healthy Crops, un consortium à but non lucratif financé par la Fondation Gates qui rassemble des universités américaines et allemandes, l’Institut de recherche français sur le développement (IRD), l’Institut international de recherche sur le riz (IRRI) et d’autres organismes. Dans un article scientifique publié en juin 2023, l’équipe affirme avoir identifié un foyer d’une variante chinoise du flétrissement bactérien en Tanzanie, jusqu’alors inconnue sur le continent, et avoir ensuite utilisé des techniques d’édition génomique pour conférer au riz cultivé en Afrique une résistance à large spectre au flétrissement bactérien.

Ces équipes de recherche envisagent d’abord d’introduire leur riz transgénique au Kenya, où des réglementations récentes autorisent l’introduction de cultures génétiquement modifiées. Elles ont déjà croisé leur lignée résistante avec une variété appelée Komboka, développée par l’IRRI et l’Organisation de recherche sur l’agriculture et l’élevage du Kenya. Bien que le chef de l’équipe scientifique, Wolf Frommer, ait déclaré à GRAIN qu’ils n’avaient « aucun intérêt à faire des profits sur le dos des petits producteurs », il a reconnu qu’il existait un brevet sur leurs lignées de riz génétiquement modifiées. Il a également indiqué que des foyers de la souche chinoise du flétrissement bactérien s’étaient désormais propagés au Kenya et à Madagascar.

Ce n’est pas la première fois que l’IRRI et ses partenaires proposent un riz génétiquement modifié pour résoudre le problème du flétrissement bactérien. Il y a vingt ans, des organisations agricoles et des groupes de consommateurs asiatiques avaient protesté contre l’introduction d’un riz connu sous le nom de « riz BB » – le premier riz transgénique de l’IRRI testé sur le terrain dans son centre de recherche aux Philippines. Si le projet va de l’avant, les variétés de riz génétiquement modifiées Healthy Crops seraient les premières lignées transgéniques à être commercialisées en Afrique.

En Asie, les groupes opposés au « riz BB » de l’IRRI avaient fait valoir que les épidémies de flétrissement bactérien étaient le résultat du modèle de révolution verte de l’IRRI. La maladie n’a commencé à poser un problème majeur que lorsque des variétés semi-naines de l’IRRI ont été plantées sur de vastes superficies, remplaçant ainsi diverses variétés locales par de vastes monocultures génétiquement uniformes. L’uniformité et le recours à d’énormes quantités d’engrais chimiques ont créé le terrain idéal pour le développement du flétrissement bactérien et d’autres maladies. La réponse de l’IRRI, au-delà de la promotion des pesticides chimiques, a été d’essayer d’intégrer dans ses variétés des gènes résistants provenant de variétés paysannes, mais cette résistance monogénique (voire multigénique) a été inévitablement vaincue par la maladie, entraînant une course sans fin pour essayer d’identifier et d’intégrer de nouveaux gènes, ainsi qu’une escalade dans l’utilisation des pesticides. Les opposants au riz BB ont fait valoir que le riz OGM n’offrirait pas non plus une résistance durable, et que la seule solution efficace consistait à rétablir la diversité dans les champs, en restaurant les systèmes de semences paysannes et en abandonnant les engrais chimiques et les pesticides au profit de pratiques réduisant la pression exercée par les maladies. L’IRRI n’a jamais réussi à obtenir l’autorisation de commercialiser le « riz BB » en Asie.

La situation est similaire en Tanzanie et au Kenya. Depuis des décennies, les communautés agricoles résistent aux efforts constants de l’IRRI et d’autres agences visant à les amener à abandonner leurs variétés paysannes et à passer aux variétés dites à haut rendement (VHR), notamment à la variété de riz Komboka que l’équipe Healthy Crops est en train d’éditer génétiquement. Les semences paysannes représentent encore la grande majorité du riz cultivé en Tanzanie, l’un des seuls pays d’Afrique à être autosuffisant en riz. Cette pression en faveur des VHR a été particulièrement forte dans « l’épicentre » du récent foyer de flétrissement bactérien identifié par l’équipe Healthy Crops : le système d’irrigation de Dakawa dans la région fertile de Morogoro en Tanzanie.

Il convient de noter que l’épidémie semble avoir d’abord touché les champs plantés avec une variété appelée Saro 5, qui a été promue par de nombreux donateurs, dont la Banque mondiale, l’USAID, l’AGRA et la Fondation Gates, bien qu’elle nécessite des niveaux élevés d’engrais chimiques. Pendant plusieurs années, la société norvégienne d’engrais Yara a fait une promotion intensive du Saro 5, en combinaison avec ses engrais, dans le cadre du programme du Corridor de croissance agricole du sud de la Tanzanie (Southern Agriculture Growth Corridor of Tanzania – SAGCOT). Les semences de Saro 5 ont été distribuées gratuitement aux communautés agricoles et ont été multipliées à l’Institut du riz Chollima à Dakawa et distribuées aux populations agricoles dans d’autres régions du pays. Ces différentes agences et entreprises ont ainsi répandu dans de nombreuses exploitations agricoles en Tanzanie une variété de riz hautement sensible à une nouvelle souche de flétrissement bactérien, créant ainsi les conditions idéales à l’amplification et à la propagation de la maladie.

Plusieurs exploitations rizicoles de Dakawa contactées par MVIWATA, l’organisation agricole nationale de la Tanzanie, ont confirmé la présence de la maladie dans leurs champs. Les exploitant·es ont expliqué que le gouvernement avait fait la promotion du Saro 5 pour lutter contre la maladie, mais que cela s’était traduit par un échec spectaculaire, car cette variété était très sensible. « Le Saro 5 est le type de semences le plus touché », fait observer Saumini Hamisi, rizicultrice à Dakawa.

Les exploitant·es ont également déclaré que l’agence nationale de recherche et les agents de vulgarisation de la région leur avaient conseillé d’utiliser divers pesticides pour lutter contre la maladie, ce qui n’a pas non plus amélioré la situation.

Certains émettent l’hypothèse que cette nouvelle souche de flétrissement bactérien est arrivée à Dakawa via la province chinoise du Yunnan, car cette souche de la maladie ne se trouve que dans cette province. Selon eux, du matériel infecté a probablement été importé par la Chongqing Zhongyi Seed Company, qui a repris le Centre chinois de démonstration agro-technologique construit à Dakawa en 2009 grâce à des fonds de coopération chinois. Comme les autres programmes financés par l’étranger à Dakawa, l’initiative chinoise visait à remplacer les variétés locales, dans ce cas par les variétés hybrides brevetées de Chongqing Zhongyi. La société semencière chinoise n’a pas commenté ces hypothèses et n’a pas non plus répondu aux demandes de GRAIN. Cette possibilité suscite de sérieuses inquiétudes, étant donné que les semenciers chinois sont engagés dans des programmes de riz hybride dans de nombreux autres pays d’Afrique et du monde.

Mais que le semencier chinois en soit ou non à l’origine, la maladie se propage désormais sans lui, le projet chinois ayant été arrêté l’année dernière. La question est maintenant de savoir comment faire face à l’épidémie.

En Tanzanie et dans d’autres régions rizicoles du monde, les communautés agricoles luttent depuis longtemps contre le flétrissement bactérien et d’autres maladies. Aux Philippines, par exemple, les membres du réseau agricole et scientifique MASIPAG, sélectionnent régulièrement des variétés paysannes de riz résistantes aux maladies, mais leur objectif principal n’est pas de sélectionner des variétés résistantes, mais d’utiliser des pratiques agricoles qui neutralisent les facteurs favorisant l’augmentation des populations de ravageurs ou de maladies et les épidémies. Selon le Dr Chito Medina, chercheur et membre fondateur de MASIPAG, il s’agit notamment de planter au moins trois variétés de riz différentes dans chaque exploitation « afin que la résistance différentielle de chaque variété empêche le développement et l’apparition d’un biotype ou toute augmentation continue de la population d’un quelconque biotype ou type de ravageur ou d’agent pathogène » (une technique également utilisée pour lutter contre les maladies du riz au Yunnan). Ils utilisent également certaines techniques de gestion de l’eau et évitent l’utilisation d’engrais chimiques, en particulier d’engrais azotés, qui augmentent le taux de reproduction des insectes et des agents pathogènes, notamment du flétrissement bactérien. Selon le Dr Medina, grâce à cette approche, « les membres du MASIPAG n’ont signalé aucun cas d’épidémie ou de problème récurrent de ravageurs ou de maladies depuis longtemps », malgré la présence de nombreuses souches de flétrissement bactérien à travers le pays.

Les variétés locales privilégiées par les communautés agricoles d’Afrique de l’Est pourraient être sensibles aux souches de flétrissement bactérien qui circulent actuellement dans la région. Mais cela ne doit pas nécessairement conduire à des pertes de récoltes importantes. Plutôt que d’utiliser l’épidémie comme une nouvelle excuse pour détruire les systèmes de semences paysannes, les efforts doivent se concentrer sur la façon d’aider les communautés agricoles à renforcer la résistance de leurs variétés locales par la sélection et le partage des semences, et à utiliser des pratiques agricoles permettant de contrôler la maladie. Il est déjà regrettable qu’un programme financé par des fonds étrangers soit à l’origine d’une épidémie ; ce serait encore bien pire si cela ouvrait la voie à un nouveau programme financé par des fonds étrangers visant à remplacer les variétés locales par des semences de riz transgéniques brevetées.

Semillas

Merci à MVIWATA pour son aide sur cet article.

Photo : L’agent de transfert de technologie Saada Saif (au milieu) conseille les agriculteurs locaux sur la meilleure façon de sécher le riz après la récolte. Zanzibar, Tanzanie. Extrait du rapport d’Action Aid « Is GAFSP reaching small-scale food producers in Tanzania ? » (Le GAFSP atteint-il les petits producteurs de denrées alimentaires en Tanzanie ?) Crédit : Allan Gichigi/Action Aid



Articles Par : Grain

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