Le siège de Hodeida: Washington aggrave son crime de guerre au Yémen

L’un des événements les plus sanglants de ce qui constitue le plus grand crime de guerre en cours au monde commence à se dérouler à Hodeidah, le port de la mer Rouge qui constitue le lien vital pour l’alimentation, le carburant et les médicaments dont dépendent au moins 70 % de la population appauvrie et affamée du Yémen pour sa survie.

La coalition dirigée par l’Arabie saoudite, qui mène depuis trois ans et demi une guerre dévastatrice contre la population du Yémen, a annoncé qu’elle avait mobilisé environ 30.000 soldats pour encercler la ville. Ceux-ci comprennent des soldats de l’armée régulière des Émirats et du Soudan, des miliciens d’Al-Qaïda et des mercenaires yéménites, tous massés aux abords de Hodeidah.

La ville subit des bombardements continus tant aériens que maritimes. L’organisation humanitaire Save the Children a signalé que son personnel avait décompté une centaine de frappes aériennes rien que pendant le week-end, soit cinq fois plus que lors de la première semaine d’octobre.

Parmi les dernières victimes civiles de cette attaque, il y a deux personnes tuées et 24 blessées lors d’une frappe sur un quartier résidentiel, un travailleur mort et cinq autres blessés dans le bombardement d’une usine yéménite, une jeune fille blessée dans une frappe contre une mosquée et cinq détenus blessés dans le bombardement de la prison centrale de Hodeidah.

Les bombardements se sont rapprochés de plus en plus de l’hôpital Al Thawra, le dernier établissement médical en activité traitant des enfants au seuil de la mort en raison de la malnutrition. Ces frappes empêchent les habitants d’obtenir des secours à l’hôpital, et l’inquiétude monte quant à une frappe visant directement l’hôpital, ce qui a été le cas pour la majorité des hôpitaux et des cliniques du Yémen.

Quelque 570.000 personnes dans le port de Hodeidah et la province environnante du même nom ont été transformées en réfugiés sans abri, fuyant souvent les bombardements et la violence sans autre chose que leurs vêtements.

Que le siège renouvelé ait la bénédiction de Washington est indiscutable. La concentration des troupes, le blocus naval et les bombardements sans fin seraient tous impossibles sans la collaboration étroite du Pentagone, qui assure le ravitaillement en vol des bombardiers saoudiens, le soutien de la marine dans le blocus du port et même le renseignement pour la sélection de cibles dans la ville portuaire.

Pourtant, l’escalade du siège survient juste une semaine après de multiples reportages des médias américains selon lesquels le secrétaire d’État américain Mike Pompeo et le secrétaire à la Défense, général James Mattis, appelaient à un «cessez-le-feu» au Yémen et un délai limite de 30 jours pour la reprise des pourparlers de paix.

Alors même que le siège de Hodeidah se préparait, le New York Times a publié un éditorial hypocrite du 5 novembre intitulé «End Yemen’s Agony» (Mettre fin à l’agonie du Yémen), félicitant Pompeo et Mattis pour avoir «exhorté toutes les parties à mettre fin aux massacres» et proclamant que «les secrétaires ont fait un premier pas».

Les faits sur le terrain montrent clairement que ce sont des âneries, une dissimulation pour couvrir la poursuite et l’intensification des massacres qui atteignent une ampleur presque génocidaire.

Le fait d’exhorter «toutes les parties à cesser la tuerie», comme si la coalition saoudienne, appuyée par les États-Unis, et ses victimes étaient aussi responsables l’une que l’autre du meurtre de masse commis au Yémen, n’a pour but que de créer un alibi pour des crimes de guerre.

Selon les dernières estimations de l’organisme Armed Conflict and Event Data Project qui répertorie les victimes, quelque 56.000 Yéménites seraient morts depuis le début de l’assaut saoudien soutenu par les États-Unis en 2016. On estime que le bilan du nombre de morts pourrait se situer environ entre 70.000 et 80.000 personnes, dont la grande majorité est victime des bombes et des missiles saoudiens.

Le nombre de personnes emportées par la faim et les maladies évitables, la conséquence du blocus saoudien du pays et la destruction systématique des infrastructures de l’eau courante, des eaux usées parmi d’autres, est bien plus important: environ 50.000 victimes rien que pour l’année dernière.

Près de 14 millions de personnes, soit près de la moitié de la population du pays, sont sur le point de mourir de faim, et le siège de Hodeidah, qui bloque les secours d’aide alimentaire, risque de coûter la vie à des millions de personnes.

Un examen attentif des déclarations de Pompeo et de Mattis montre clairement leur intention réelle. L’appel de Pompeo à un «cessez-le-feu» a été présenté ainsi: «Le moment est venu pour la cessation des hostilités, notamment les frappes de missiles et d’UAV (drones armés) provenant des zones contrôlées par les Houthis qui visent le Royaume d’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Par la suite, les frappes aériennes de la coalition doivent cesser dans toutes les zones peuplées du Yémen.» [C’est nous qui soulignons]

En d’autres termes, il incombe aux rebelles houthis qui contrôlent Hodeidah, la capitale de Sanaa et la région la plus peuplée du pays, de mettre un terme aux attaques par missiles, dont aucun n’a causé de dommages importants à l’Arabie saoudite ni aux Émirats arabes unis. Ce n’est que «par la suite», après cet acte unilatéral de reddition, que les forces saoudiennes soutenues par les États-Unis vont mettre un terme aux frappes aériennes dans les «zones peuplées», ce qui paraît-il n’écarte pas les zones considérées comme non peuplées de la poursuite des bombardements.

Dans une interview accordée à Fox News dimanche, Pompeo, interrogé sur ses déclarations et celles de Mattis, a répondu: «Franchement, ce n’est pas nouveau», tout en affirmant que la famine au Yémen était due à la fourniture par l’Iran «d’armes et de missiles aux rebelles houthis qui se battent là-bas en Arabie saoudite ». Même les mensonges du gouvernement devraient avoir un certain sens. Bien que Washington n’ait encore présenté aucune preuve crédible que l’Iran armerait les rebelles houthis, l’idée que les Houthis se battent en Arabie saoudite – en faisant d’eux vraisemblablement l’agresseur – est un fantasme qui met la réalité à l’envers.

Il est maintenant clair que le prétendu délai de 30 jours pour un cessez-le-feu au Yémen a été utilisé pour envoyer un message aux Saoudiens leur demandant de poursuivre le massacre et de capturer Hodeidah aussi rapidement que possible, quel que soit le coût humain. Si Riyad avait besoin d’une prolongation pour ce bain de sang massif, il l’obtiendrait sans aucun problème.

Washington voit le meurtre de masse au Yémen à travers le prisme de sa tentative de réduire l’influence de l’Iran à travers le Moyen-Orient et d’obtenir un changement de régime à Téhéran. Ce n’est pas un hasard si l’escalade du siège de Hodeidah coïncide avec l’imposition de sanctions punitives, unilatérales et illégales de la part des États-Unis contre l’Iran qui équivalent à un acte de guerre. L’Arabie saoudite est considérée comme le pilier de la réaction impérialiste au Moyen-Orient, l’allié clé du conflit avec l’Iran et la source de plusieurs milliards de dollars de bénéfices pour les fabricants d’armes américains. Pour préserver ces intérêts, Washington est prêt à voir mourir des millions de personnes.

Après le meurtre politique macabre du journaliste et ancien initié de Riyadh Jamal Khashoggi, au consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul, le 2 octobre, les médias américains, qui avaient en grande partie tiré un voile sur les massacres perpétrés au Yémen, ont fourni une brève couverture médiatique là-dessus, estimant que cela pourrait s’avérer utile, dans le cadre des tentatives de Washington, de tirer parti de la crise provoquée par ce meurtre politique pour obtenir des relations plus avantageuses avec la Dynastie saoudienne.

Un mois plus tard, la couverture à la fois de l’assassinat de Khashoggi et du massacre au Yémen s’est largement estompée, suggérant qu’un certain type de compromis a été conclu entre Washington et Riyad. Pour la majeure partie de la population des États-Unis, les informations du siège de Hodeidah, dans lequel l’armée américaine est un partenaire à part entière, sont passées sous silence par les médias.

En outre, au beau milieu des élections de mi-mandat supposément décisives, aucun candidat des deux grands partis des affaires n’a choisi pendant sa campagne de soulever la question du soutien indispensable américain pour le meurtre de masse des hommes, femmes et enfants yéménites. Et pour une bonne raison. Les deux principaux partis sont pleinement impliqués dans ce crime de guerre. Tous les instruments de soutien à la guerre menée par les Saoudiens – ravitaillement en vol, partage de renseignements, sélection de cibles, soutien au blocus naval et vente massive d’armes américaines – ont été mis en œuvre sous le mandat démocrate d’ Obama et sont renforcés par l’administration républicaine de Trump.

Quels que soient les différends sur les tactiques qui existent entre les démocrates et les républicains sur les questions du Yémen et l’affrontement grandissant avec l’Iran, les deux partis capitalistes sont attachés à une politique d’imposition d’une hégémonie américaine incontestée sur le Moyen-Orient riche en pétrole: une politique qui sacrifie la vie de Yéménites, des «dommages collatéraux», à une échelle qui dépasse l’entendement.

Bill Van Auken

Article paru en anglais, WSWS, le 7 novembre 2018



Articles Par : Bill Van Auken

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