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Le terrible secret de Tim Geithner : le système financier mondial est en péril
Par F. William Engdahl
Mondialisation.ca, 05 avril 2009
5 avril 2009
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Le secrétaire au Trésor des États-Unis, Tim Geithner, a révélé son plan tant attendu d’assainissement du système bancaire étatsunien, mais il a refusé de divulguer le « terrible secret » de la crise financière actuelle. En agissant de la sorte, il tente de sauver des banques étatsuniennes de facto en faillite, lesquelles menacent de faire tomber le système mondial dans une nouvelle phase encore plus dévastatrice de destruction de la richesse.

Nous l’avons déjà mentionné, le plan Geithner, son soi-disant Programme d’investissement en partenariat public-privé ou PPPIP, n’est pas dédié à restaurer un système de prêt salutaire donnant du crédit aux entreprises et aux consommateurs. Il s’agit plutôt d’une autre manigance complexe servant à verser davantage de centaines de milliards de dollars directement aux banques dominantes et aux firmes de Wall Street, responsables du présent bourbier dans les marchés mondiaux du crédit, sans toutefois leur demander de changer leur modèle opérationnel. Pourtant, on pourrait se dire que ce plan, en assainissant les banques, aidera tôt ou tard à surmonter le problème.

Il ne le fera pas si l’administration Obama procède comme elle le fait en ce moment. En défendant son plan à la télévision étatsunienne récemment, M. Geihner – protégé de Henry Kissinger, autrefois PDG de la New York Federal Reserve Bank – faisait valoir que son intention « n’était pas de soutenir les banques faibles aux dépends des banques fortes ». Toutefois, c’est précisément ce que fait le PPPIP : les banques faibles sont les cinq plus grandes banques du système. 

Le « terrible secret » que M. Geithner tente vigoureusement de cacher au public est très simple. À la source des actifs toxiques bouleversant le système financier mondial, il y a au plus peut-être cinq banques étatsuniennes. C’est cette réalité que M. Geithner tente désespérément de protéger. Contrairement aux crises bancaires précédentes, le problème ne consiste pas en des pertes sur prêt ordinaires. C’est plutôt une variété de dérivés financiers exotiques qui se trouvent au cœur du problème, plus spécifiquement les soi-disant swaps sur défaillance (Credit Default Swaps).

En 2000, le secrétaire au Trésor de l’administration Clinton était un dénommé Larry Summers. M. Summers venait tout juste d’être promu No. 1 de Goldman Sachs par son supérieur, le banquier de Wall Street Robert Rubin, lorsque ce dernier a quitté Washington pour occuper le poste de vice-président de Citigroup. Comme je le décris en détails dans mon nouveau livre à paraître cet été, Power of Money: The Rise and Fall of the American Century, M. Summers a convaincu le président Clinton d’approuver plusieurs projets de loi républicains, ouvrant ainsi les vannes aux banques pour qu’elles abusent de leur pouvoir. Que les grandes banques de Wall Street aient dépensé quelque 5 milliards en lobbyisme pour ces changements après 1998 a probablement eu un effet sur M. Clinton.

Une loi importante abrogeait le Glass-Steagall Act de 1933, adopté durant la Grande Dépression, interdisant la fusion entre les banques commerciales, les compagnies d’assurances et les firmes de courtage telles que Merrill Lynch ou Goldman Sachs. Une autre loi soutenue par le secrétaire au Trésor Larry Summers en 2000 était l’obscure, mais cruciale Commodity Futures Modernization Act (CFMA). Cette loi empêchait l’organisme gouvernemental de réglementation, la Commodity Futures Trading Corporation (CFTC) [Commission du commerce à terme des marchandises], de superviser le commerce des instruments financiers dérivés. La nouvelle loi CFMA stipulait que ce que l’on appelle communément les dérivés négociés hors bourse, comme les swaps sur défaillance en cause dans le désastre des assurances de AIG (que Warren Buffett a déjà qualifiés d’armes de destruction financière massive), ne soient pas réglementés par le gouvernement.

À l’époque où M. Summers s’affairait à ouvrir les vannes de l’abus financier pour les sociétés de fiducie de Wall Street, son assistant était nul autre que Tim Geithner, l’homme aujourd’hui secrétaire du Trésor. À l’heure actuelle, l’ancien patron de M. Geithner, Larry Summers, est conseiller économique en chef du président Obama puisqu’il est chef du Conseil économique de la Maison-Blanche. Mettre MM. Geithner et Summers en charge de réparer les dégâts financiers équivaut à faire du renard le gardien du poulailler.

Le « terrible secret »

M. Geithner ne souhaite pas que le public comprenne son petit secret, soit que l’abrogation de la loi Glass-Steagall et l’adoption du CFMA en 2000 ont permis la création d’un petite poignée de banques qui allaient pratiquement monopoliser des pans importants des activités hors bilan mondiales ou l’émission des dérivés hors bourse.

Selon le récent Rapport trimestriel sur le commerce bancaire et les produits dérivés du Federal Office of Comptroller of the Currency, cinq banques étatsuniennes possèdent actuellement 96 % des positions de dérivés de toutes les banques des États-Unis en terme de valeurs symbolique, ainsi qu’un pourcentage ahurissant, soit 81 %, d’exposition au risque de crédit net total en cas de défaillance.

Ces cinq banques sont JPMorgan Chase, qui détient la première place avec une somme étourdissante de 88 billions de dollars en dérivés (66 billions d’euros!). Morgan Chase est suivie par Bank of America et Citibank lesquelles possèdent respectivement 38 billions et 32 billions en dérivés. La quatrième place dans les sweepstakes des dérivés revient à Goldman Sachs avec ses « maigres » 30 billions, somme qui baisse de façon draconienne à 5 billions de dollars en cinquième position où se situe la banque fusionnée Wells Fargo-Wachovia. Par ailleurs, au sixième rang, la britannique HSBC Bank USA détient 3,7 billions de ces actifs toxiques.

Par la suite, l’exposition des banques des États-Unis à ces dérivés hors bilan non réglementés diminue dramatiquement. Afin d’en souligner l’ampleur, notons qu’un billion s’écrit 1 000 000 000 000. Continuer à investir d’énormes quantités d’argent des contribuables dans ces cinq banques sans modifier leur système opérationnel revient à traiter un alcoolique avec de l’alcool gratuit à volonté.

Le sauvetage gouvernemental d’AIG, dépassant à ce jour les 180 milliards, a d’abord servi à payer ses swaps sur défaillance aux contreparties, les joueurs Goldman Sachs, Citibank, JP Morgan Chase et Bank of America, des banques se croyant « trop importantes pour faire faillite ». En effet, ces cinq institutions se croient maintenant si grandes qu’elles peuvent dicter la politique du gouvernement fédéral. Certains ont appelé cette opération un coup d’État des banquiers. Elle n’a définitivement rien de salutaire.

Voilà le terrible secret que le secrétaire Geithner et Wall Street tentent désespérément de cacher car il dirigerait l’attention des électeurs vers de vraies solutions. Le gouvernement fédéral dispose depuis longtemps de lois pour faire face aux banques insolvables. La Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) met la banque sous séquestre et ses actifs et ses passifs sont triés par un audit indépendant. On évince les gestionnaires irresponsables, les actionnaires accusent des pertes et une fois épurée, la banque est finalement divisée en en plus petites unités. Lorsqu’elle est assainie, on la vend au public. Le pouvoir des cinq méga banques de faire chanter le pays en entier serait alors moins grand. Ooohh. Ouais ?

C’est ce que Wall Street et Tim Geithner cherchent frénétiquement à prévenir. Le problème est centralisé sur ces cinq grandes banques et le cancer financier doit être isolé et réfréné par une agence fédérale afin que la victime, l’économie réelle, puisse fonctionner à nouveau sainement.

Voilà ce qui doit être mis sous séquestre ou nationalisé. En retardant cela et en refusant de demander un contrôle gouvernemental des comptes totalement indépendant pour déterminer si ces cinq banques sont réellement solvables, le gouvernement Obama provoque des pertes pour les États-Unis et l’économie mondiale, lesquelles seront inévitablement exponentielles lorsque les pertes en dérivés exploseront. Il s’agit de la détérioration préprogrammée de la récession, signifiant une augmentation des faillites d’entreprises, la multiplication des manquements des débiteurs hypothécaires et la montée en flèche du chômage. Cette situation devient hors de contrôle (d’un gouvernement responsable) parce qu’elle est permise par le secrétaire Geithner, Larry Summers et ultimement le président, qu’il ait ou non eu le temps de chercher à comprendre ce qui est en jeu.

Une fois que les cinq banques problématiques isolées par la FDIC et le Trésor, le gouvernement devrait légiférer afin d’abroger immédiatement la déréglementation bancaire de Larry Summers, comprenant la remise en application de la loi Glass-Steagall et l’annulation du Commodity Futures Modernization Act de 2000 ayant permis l’actuel abus criminel des banques. L’on pourrait alors commencer à discuter de réformes financières sérieuses, en commençant par des mesures pour « fédéraliser » la Réserve fédérale et retirer le pouvoir monétaire des mains des banques privées comme JP Morgan Chase, Citibank ou Goldman Sachs.

Article original en anglais, Geithner’s ‘Dirty Little Secret’: The Entire Global Financial System is at Risk, When the Solution to the Financial Crisis becomes the Cause, publié le 30 mars 2009.

Traduction : Julie Lévesque pour Mondialisation.ca.

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