Le Venezuela: De la procuration pétrolière au mouvement bolivarien et au sabotage.

Les niveaux historiques de pauvreté au Venezuela, avant la révolution bolivarienne. Michel Chossudovsky s’entretient avec Bonnie Faulkner.

Nous discutons de la crise économique et politique au Venezuela, de son histoire en tant que pays mandataire depuis la découverte du pétrole en 1918, à travers les dictatures successives, les coups d’État, une fausse nationalisation de l’industrie pétrolière, le mouvement Chavistae et la déstabilisation par la guerre financière, en mettant particulièrement l’accent sur l’expérience personnelle de Michel Chossudovsky qui y a mené une étude sur la pauvreté en 1975 en tant que Conseiller du Ministre vénézuélien de la Planification.

L’étude commandée par le ministère de la planification (CORDIPLAN) (impliquant une équipe de recherche interdiscilinaire) dirigée par Michel Chossudovsky était intitulée : « Venezuela : La Mapa de la Pobreza ». (Venezuela : la carte de la pauvreté)

Le rapport a fourni des estimations détaillées de la pauvreté, en se concentrant sur la nutrition, l’éducation, la santé, le logement, l’emploi et la répartition des revenus.

Il aborde également le rôle de la politique gouvernementale. La richesse pétrolière du Venezuela n’a pas été utilisée pour construire des écoles et des hôpitaux. L’excédent de pétrole a été largement recyclé dans les mains des géants du pétrole et des élites locales.

Dès sa publication, le projet de rapport a été confisqué par le ministre de la planification. Il a ensuite été mis de côté sur ordre du Conseil des ministres du Président Carlos Perez.

Michel Chossudovsky l’a publié sous forme de livre en 1978, ce qui a créé une bombe. Il a dissipé le mythe de « La Venezuela Millionaria ».

Dans la période qui a précédé la révolution bolivarienne et qui s’est prolongée jusque dans les années 1990, les niveaux de pauvreté étaient extrêmement élevés.

« Plus de 70 % de la population vénézuélienne ne satisfaisait pas aux exigences minimales en matière de calories et de protéines, tandis qu’environ 45 % souffrait de sous-alimentation extrême.

Plus de la moitié des enfants vénézuéliens souffraient d’un certain degré de malnutrition.

La mortalité infantile était extrêmement élevée.

23% de la population vénézuélienne était analphabète. Le taux d’analphabétisme fonctionnel était de l’ordre de 42 %.

Un enfant sur quatre était totalement marginalisé du système éducatif (même pas inscrit en première année de l’école primaire).

Plus de la moitié des enfants en âge d’être scolarisés ne sont jamais entrés au lycée.

Une majorité de la population n’avait que peu ou pas d’accès aux services de soins de santé.

La moitié de la population urbaine n’avait pas accès à un système adéquat d’eau courante à domicile.

Le chômage était endémique.

Plus de 30 % de la population active totale était au chômage ou sous-employée, tandis que 67 % des personnes employées dans des activités non agricoles recevaient un salaire qui ne leur permettait pas de satisfaire les besoins humains fondamentaux (nourriture, santé, logement, vêtements, etc.).

Les trois quarts de la population active percevaient des revenus inférieurs au salaire minimum de subsistance ».

(Michel Chossudovsky, extraits de La Miseria en Venezuela, Vadell, Caracas, 1978, traduit de l’espagnol)

Les objectifs du coup d’État américain :

  • Mettre en place un régime de procuration américain,
  • Confisquer les vastes richesses pétrolières du pays (le Venezuela possède les plus grandes réserves de pétrole au monde),
  • Appauvrir le peuple vénézuélien.

Transcription de l’interview sur Guns and Butter

Je m’appelle Bonnie Faulkner. Aujourd’hui sur Guns and Butter, Michel Chossudovsky. L’émission d’aujourd’hui « Le Venezuela : De la procuration pétrolière au mouvement bolivarien et au sabotage. » Michel Chossudovsky est économiste et le fondateur, directeur et rédacteur en chef du Centre de Recherche sur la Mondialisation, basé à Montréal, au Québec. Il est l’auteur de 11 livres, dont « La mondialisation de la pauvreté et le nouvel ordre mondial », « Guerre et mondialisation : La vérité derrière le 11 septembre et la guerre de l’Amérique contre le terrorisme« . Aujourd’hui, nous discutons de la crise économique et politique au Venezuela, de son histoire en tant que nation mandataire depuis la découverte du pétrole en 1918, à travers les dictatures successives, le mouvement Chaviste et la déstabilisation, en mettant l’accent sur l’expérience personnelle de Michel Chossudovsky qui y a mené une étude sur la pauvreté en tant que Conseiller du Ministre de la Planification.

Bonnie Faulkner : Michel Chossudovsky, bienvenue.

Michel Chossudovsky : Je suis ravi d’être à nouveau sur Guns and Butter.

BF : Le président de l’Assemblée nationale du Venezuela depuis le 5 février, Juan Guaidó, a déclaré qu’il avait temporairement assumé le pouvoir présidentiel, promettant d’organiser des élections libres et de mettre fin à la « dictature » de Nicolas Maduro. Le président Trump a annoncé que les États-Unis allaient reconnaître Juan Guaidó comme président légitime du Venezuela. Selon le Wall Street Journal, le Vice-Président Mike Pence a appelé Guaidó la nuit précédant son annonce et s’est engagé à ce que l’administration Trump le soutienne. Trump a refusé d’exclure une action militaire. Dans votre récent article, Changement de régime et Présidents de la législature : Nancy Pelosi contre Juan Guaidó, Président autoproclamé du Venezuela, vous laissez entendre que la déclaration de Trump pourrait constituer un dangereux précédent pour lui. Pourquoi ?

MC : Eh bien, ironiquement, la position de Président de l’Assemblée Nationale du Venezuela, qui est occupée par Juan Guaidó, est à certains égards comparable à celle du Président de la Chambre des Représentants des États-Unis et, bien sûr, du chef du parti majoritaire, les Démocrates, qui est actuellement occupé par Nancy Pelosi. Il existe certaines différences du point de vue constitutionnel, mais ce que le Président Trump a laissé entendre en déclarant que le Président de l’Assemblée Nationale du Venezuela est le Président par intérim du Venezuela revient à dire : « Hé, Donald Trump, quid de Nancy Pelosi ? Quelqu’un pourrait indiquer même un politicien américain, y compris peut-être même le Président Maduro du Venezuela, Nous voudrions que Nancy Pelosi soit le Président des États-Unis, et ensuite, bien sûr, nous irons au Conseil de Sécurité des Nations Unies pour le faire approuver ».

Cela illustre le ridicule du discours politique mais aussi le fantasme de la politique étrangère américaine, selon lequel ils devraient donner une légitimité à un Président de la Chambre parce qu’ils n’aiment pas le Président. Eh bien, je n’aime pas le Président des États-Unis d’Amérique et beaucoup de gens ne l’aiment pas, mais voulons-nous avoir Nancy Pelosi comme Présidente intérimaire ? C’est en fait quelque chose qui pourrait évoluer dans le contexte actuel de confrontation entre le président Trump et le parti Démocrate, qui contrôle maintenant la Chambre des Représentants des États-Unis.

BF : Il semble que les Démocrates au Congrès menacent également le Président Maduro. La Commission des Affaires Étrangères de la Chambre a tweeté : « Nous refusons de reconnaître la légitimité de la présidence de Maduro. C’est pourquoi les députés se joignent à nous pour introduire une législation visant à soutenir le peuple du Venezuela et à tenir le Président illégitime pour responsable de la crise qu’il a créée ». Il s’agit donc d’un effort bipartisan pour déloger Maduro.

MC : Précisément. C’est une nouveauté par rapport au changement de régime. Nous avons des coups d’État militaires au Venezuela qui remontent au début du 20ème siècle – tout un tas de coups d’État militaires. Nous avons des révolutions de couleur, qui suscitent des mouvements de protestation. C’est déjà en cours au Venezuela. Ensuite, nous avons cette nouvelle formule d’intimidation qui fait que nous n’aimons pas le Président ; le faire remplacer par le Président de la Chambre. Et c’est, bien sûr, un discours très dangereux car, comme je l’ai mentionné, il pourrait se retourner contre le Président Trump lui-même.

BF : Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a été saisi de la crise vénézuélienne samedi, mais il n’a pris aucune mesure parce qu’il n’y avait pas d’accord. La Russie et la Chine ont soutenu Maduro mais la France, la Grande-Bretagne, l’Espagne et l’Allemagne ont déclaré qu’elles reconnaîtraient Juan Guaidó comme Président à moins que le Venezuela ne convoque une nouvelle élection présidentielle dans les huit jours. Nous avons donc ici des nations européennes qui exigent que le Venezuela organise une nouvelle élection. Nicolas Maduro a-t-il remporté la présidence du Venezuela de manière démocratique ou non ?

MC : Il a remporté la présidence du Venezuela démocratiquement à une large majorité. Inversement, le Président français Macron a également remporté l’élection présidentielle avec une majorité assez faible et personne ne remet en cause la présidence de Macron. En fait, certains le font parce que nous avons le mouvement des Gilet Jaunes dans toute la France. Cela ne semble plus faire la une des journaux et les gens soutiennent le président Macron.

Eh bien, il y a plusieurs problèmes. Ces dirigeants européens n’ont pas le soutien de leurs populations respectives. Au Venezuela, le soutien au président Maduro est partagé, mais je pense que c’est quelque chose qui se produit dans un grand nombre de pays. Ce n’est pas différent. L’opposition contrôle l’Assemblée Nationale, mais le Président Maduro bénéficie néanmoins du soutien de la majorité de la population vénézuélienne.

Le fait est que tous ces dirigeants en Europe cèdent tout d’abord à la politique étrangère américaine ; ils se comportent essentiellement comme des mandataires des États-Unis. En même temps, leur comportement et leur gestion des républiques qu’ils représentent, à l’exception du Royaume-Uni, qui est également dans un grand désordre – comment peuvent-ils s’en tirer ? Dans une démocratie constitutionnelle, comment se fait-il qu’ils puissent réellement soutenir les États-Unis en demandant que le président de l’Assemblée Nationale du Venezuela devienne Président du pays ? C’est une proposition absurde, et le fait que cette question soit ensuite soumise au Conseil de Sécurité des Nations Unies est encore plus absurde.

Ce qui devrait parvenir au Conseil de Sécurité des Nations unies, c’est le mode d’ingérence dans les affaires intérieures d’un pays souverain par le biais du financement de groupes d’opposition, du financement de terroristes, etc. qui sont impliqués dans le déclenchement du mouvement de protestation, etc. C’est une situation qui évolue. Elle présente certaines caractéristiques qui ressemblent en fait à l’Euromaidan en Ukraine. Et, bien sûr, l’objectif final est de renverser le Président.

Maintenant, il bénéficie d’un très fort soutien de la base parce que la révolution bolivarienne a effectivement entraîné des changements majeurs dans le pays, des réalisations majeures, dans des circonstances très contradictoires ainsi que des divisions au sein du mouvement bolivarien.

J’ai fait des allers-retours au Venezuela pendant une très longue période depuis le début de ma carrière, lorsque je suis devenu Conseiller du Ministre de la Planification dans le gouvernement de Carlos Andrés Pérez au milieu des années 70. Je connais le pays sur le bout des doigts.

C’est un processus très complexe, et je pense que les gens doivent d’abord comprendre que le Venezuela possède les plus grandes réserves de pétrole au monde – plus que l’Arabie Saoudite – à la fois du brut traditionnel et des sables bitumineux, qui sont vastes mais aussi très faciles à gérer et à produire par rapport à ceux du Canada, par exemple. Ce qui est en jeu là-bas, c’est la bataille pour le pétrole.

Historiquement, le Venezuela a été une économie pétrolière depuis sa création en 1918, lorsque du pétrole a été découvert dans la baie de Maracaïbo. Ensuite, il y a eu toute une série de dictateurs militaires.

Le plus connu était, bien sûr, Juan Vicente Gómez, qui était en réalité un représentant des États-Unis et des grandes compagnies pétrolières.

 

VOIR : La crise et le coup d’État au Venezuela

Les grandes compagnies pétrolières ont donc contrôlé ce pays depuis le début du XXe siècle et ce n’est que dans les années 90, avec la révolution bolivarienne, qu’elles ont commencé à abroger ce contrôle des grandes compagnies pétrolières avec le gouvernement de Chávez, qui a essentiellement commencé à mettre en œuvre des changements et des évolutions majeures dans la nature de la gestion de l’État, mais dans des circonstances très contradictoires, dont je suppose que nous allons discuter.

BF : Comment vous êtes-vous engagée au Venezuela ? Y êtes-vous allé pour la première fois en 1975, et sous quels auspices ?

MC : En fait, l’un de mes amis proches, lorsque j’étudiais à l’université de Manchester en économie, était une personne nommée Gumersindo Rodriguez. Il était actif au sein du MIR, Movimiento Izquierda Revolucionaria [Mouvement de la Gauche Révolutionnaire, NdT], qui était une faction de gauche du Parti d’Action Démocratique, Acción Democratica. Il avait des liens étroits avec l’un des principaux présidents, Romulo Betancourt (à droite), mais en même temps, il était …. dans une certaine mesure, les MIR étaient considérés comme des renégats.

Il est parti étudier au Royaume-Uni, puis à son retour, un nouveau gouvernement Acción Democratica a été formé et il est devenu Ministre de la Planification. Puis il m’a appelé et nous nous sommes rencontrés à New York. Il m’a dit : « Voudrais-tu venir, etc., à Caracas pour travailler au Ministère de la Planification en tant que mon conseiller ? » J’ai accepté et je suis tombé au milieu de 1975, pendant les vacances scolaires à l’Université d’Ottawa.

Au départ, il voulait que j’écrive ses discours, alors j’ai commencé à écrire ses discours. Au bout d’un moment, j’ai dit : « Écoute, Gumersindo, j’aimerais faire quelque chose de plus substantiel et mettre sur pied un groupe de recherche sur la pauvreté dans ce pays, qui est un problème sérieux ». Alors il a dit : « Ok, Michel. Vas-y. Mettez le groupe en place. Vous avez toutes les ressources dont vous avez besoin ».

J’ai mis sur pied un groupe d’une demi-douzaine de personnes avec des consultants à l’université, etc. J’étais un jeune chercheur. C’était un projet très stimulant. Nous avons examiné très attentivement les concepts qui définissent le niveau de vie, en d’autres termes, la nutrition, l’éducation, la santé, l’emploi, la répartition des revenus, l’environnement, l’accès à l’eau courante, les niveaux de malnutrition. Nous avons défini ce qu’on appelle un revenu familial minimum, et cela a été étayé par une analyse très minutieuse au niveau statistique. J’avais un professeur de nutrition à l’université qui me conseillait sur différents aspects.

Ce rapport a été fait en trois mois. C’était un gros effort. J’ai dû retourner à Ottawa à l’université en septembre où j’enseignais l’économie, nous avons donc réussi à terminer la première ébauche du rapport en quelques mois. Nous sommes arrivés à des résultats incroyables, à des niveaux de pauvreté abyssaux, en basant largement notre analyse sur les statistiques nationales, les différentes enquêtes disponibles, les enquêtes sur le budget des ménages, les données du recensement et aussi l’apport d’un grand nombre d’intellectuels, etc. Mais pas tant de travail sur le terrain parce que nous n’avions tout simplement pas le temps de le faire. Mais nous avons obtenu des résultats.

Je pense que concrètement, nous avons également compris que la pauvreté n’était pas le résultat d’une pénurie de ressources, car il s’agissait d’une économie de production de pétrole, mais que tous les revenus du pétrole allaient dans des mains privées. Bien sûr, les États-Unis, gros producteurs de pétrole, étaient derrière tout cela. Mais ce que nous avons compris, c’est que ce sont les gouvernements qui sont responsables de la pauvreté parce qu’ils ne recyclent pas les revenus du pétrole dans un projet de société. Ils n’utilisaient pas les revenus du pétrole pour financer l’éducation, la santé, etc. et les niveaux de chômage étaient extrêmement élevés, etc.

Voilà le contexte de la pauvreté qui prévalait au moment de la révolution bolivarienne. Je dois mentionner que la plupart de nos données se basaient sur les années 1970, mais les années 1980 ont été bien pires, car à l’époque, vous aviez ce qu’on appelait El Caracazo en 1989, qui était un processus d’effondrement économique et social. C’est le FMI qui en est l’instigateur. Il a conduit à une hyperinflation, donc c’était une sorte d’intervention néo-libérale classique avec une médecine économique forte [thérapie de choc] où les prix des biens de consommation sont montés en flèche. Cela s’est produit en 1989.

Il me semble important de souligner que dans les années 1970 et 1980, le Venezuela était un pays très pauvre qui possédait beaucoup de ressources, notamment du pétrole, et que ce pétrole est passé aux mains du secteur privé. Et ce, malgré le fait que l’industrie pétrolière a été nationalisée en 1975. Maintenant, je dois mentionner que lorsque je suis arrivé au Ministère de la Planification en 1975, cela a plus ou moins coïncidé avec la nationalisation de l’industrie pétrolière. Mais c’était une fausse nationalisation.

BF : Que voulez-vous dire par « fausse nationalisation » ?

MC : Eh bien, légalement c’était une nationalisation, mais il a été finalement avéré que les grandes compagnies pétrolières étaient complices de cette nationalisation et qu’elles en tireraient tous les bénéfices, etc. Et puis aussi quand elle a été nationalisée, bien sûr, il y a eu des paiements aux compagnies pétrolières. Elle a été mise en œuvre par le gouvernement de Carlos Andrés Pérez et il n’était pas question de dire en fait : « Eh bien, nous avons le pétrole ; qu’allons-nous en faire ? » Le schéma d’appropriation s’est poursuivi, la corruption au sein de l’appareil d’État, etc.

Ironiquement, on m’a demandé de rédiger un texte qui devait être utilisé pour le discours de nationalisation, qui était un document très important, car il définissait, ce que vous faites pour le pétrole. J’ai rédigé une analyse de cette question, en disant essentiellement ce qui suit : les revenus du pétrole seraient recyclés dans un projet de société visant à réduire la pauvreté. Il a été expliqué conceptuellement que l’argent du pétrole appartient désormais au pays et non aux compagnies pétrolières, et que c’est donc la voie que nous avons choisie.

Il y avait un comité de rédaction et ils m’ont contacté. Je connaissais tous ces gens ; ils étaient au même étage dans le bâtiment du Ministère de la Planification. Mais ensuite, le discours de nationalisation a été lu et publié, et ce n’était que de la rhétorique politique. Il n’avait aucune perspective de fond sur la façon dont les revenus du pétrole seraient utilisés pour améliorer les conditions de vie du peuple vénézuélien, et c’est quelque chose que Chavez a en fait formulé bien des années plus tard. La révolution bolivarienne a dit que, oui, le pétrole allait améliorer les conditions de vie de la population vénézuélienne et en particulier des personnes qui se trouvent en dessous du seuil de pauvreté.

Maintenant, je dois mentionner, et c’est tellement important, que nous avons entrepris une estimation de la sous-alimentation, des personnes qui ne satisfont pas aux exigences minimales en matière de calories, et nous sommes arrivés à des chiffres dépassant les 70 % de la population vénézuélienne. Cela faisait partie du rapport que j’ai présenté au gouvernement de l’époque. J’ai contacté mon ami [médecin] à l’université, spécialisé dans la nutrition, et j’ai dit : « Cela semble être terriblement élevé ». Il a répondu : « Non. Vous êtes absolument dedans. Vos estimations sont dans l’ensemble prudentes ». Il s’est également penché sur les conséquences de la malnutrition des enfants, et ainsi de suite. Nous avons également eu des estimations de sources secondaires.

C’est le tableau qui existait au milieu des années 70 au Venezuela, un pays extrêmement pauvre et extrêmement riche. Bien entendu, ces richesses énormes étaient accaparées et les élites du Venezuela étaient bien sûr complices du rôle des compagnies pétrolières et des États-Unis. Les Rockefeller étaient impliqués. Je le savais parce que j’étais également très proche du Ministre de la Planification.

Maintenant qu’est-il advenu de notre rapport ? C’est très important. Nous avons soumis le rapport. Je suis rentré au Canada et mes collègues ont soumis le rapport au ministre. En fait, ce qui s’est passé, c’est le moment où j’ai demandé à mon collègue de faire faire des copies du rapport et de faire circuler ce rapport dans les ministères. Immédiatement après avoir fait photocopier 20 ou 30 copies du rapport, le chauffeur du ministre de la planification – il [le ministre] était une figure très puissante – est entré et a tout confisqué. Ils ont tout confisqué. Puis l’équipe a été renvoyée et quand je suis revenu à Caracas au début de l’année 76, j’avais encore un bureau mais j’étais tout seul et, en fait, je n’avais absolument aucune fonction ou activité qui m’était assignée. Mon équipe avait été dispersée. Ils étaient toujours là, nous parlions toujours, mais nous ne travaillions plus en équipe.

Ce qui s’est passé, c’est que ce rapport a d’abord été confisqué par le Ministre de la Planification et ensuite il a été mis en veilleuse par le Conseil des Ministres du gouvernement de Carlos Andrés Pérez. Le Conseil des Ministres l’a examiné et a dit : « Non, nous n’en voulons pas ».

Les raisons pour lesquelles ils ne voulaient pas de cela n’étaient pas les chiffres sur la pauvreté, mais la façon dont nous avons analysé le rôle de l’État. L’État crée la pauvreté. Remarquez, nous avons la même chose aux États-Unis d’Amérique. L’État crée de la pauvreté. Pourquoi ? Parce qu’il dépense plus de 700 milliards de dollars pour la soi-disant défense.

Nous avons donc cette logique, mais il était très clair que ce genre d’analyse ne pouvait pas être rendue publique. Elle ne pouvait pas être rendue publique. Ce n’est que quelques années plus tard que j’ai pris le rapport et que je l’ai publié sous forme de livre. Il a été publié en 1978 et il est devenu immédiatement un best-seller. La première édition a été vendue en neuf jours. Il a été adopté dans les collèges, les universités et les lycées du Venezuela parce qu’il brisait un mythe. Il a brisé le mythe de ce qu’ils appellent La Venezuela Miliónaria, à savoir que c’était un pays riche, une sorte d’Arabie Saoudite latine pour ainsi dire. Mais les réalités sociales étaient tout autres.

Aujourd’hui, quand on regarde ce qui se passe au Venezuela et que les décideurs politiques américains disent : « Nous voulons venir au secours des personnes qui ont été appauvries », c’est une déclaration absurde. L’histoire du Venezuela était une histoire de pauvreté jusqu’à ce que Chavez devienne Président. Ils ont conservé ce niveau de pauvreté et d’exclusion. Sans vouloir dire qu’il n’y a pas de contradictions très graves au sein du mouvement bolivarien, c’est une autre question.

Je pense que nous devons évaluer ce qu’a été le Venezuela historiquement, en commençant par les dictatures tout au long de son histoire – la dernière dictature a été abrogée en 1958. C’était la dictature de Pérez Jiménez (à gauche). Mais vous avez alors une sorte de cadre bipartite entre ce qu’on appelait Acción Democratica, Action Démocratique, et Copei, qui étaient les démocrates-chrétiens. C’était une structure bipartite très similaire à celle des États-Unis, allant de l’un à l’autre et servant largement les intérêts des élites plutôt que de la population en général.

BF : Vous avez dit qu’en 1918, le Venezuela est devenu, en gros, une colonie pétrolière lorsque du pétrole a été découvert. Comment était le Venezuela avant la découverte du pétrole ? En avez-vous une idée ?

MC : C’était essentiellement une société agraire, qui était dominée par les propriétaires terriens. Il y avait des pouvoirs régionaux. Ce qu’on appelle en Amérique latine « los caudillos ». En d’autres termes, il s’agissait essentiellement de propriétaires terriens et de dirigeants dans différentes régions du Venezuela, et c’était en grande partie une société agraire produisant du café et du cacao.
En fait, ils disaient que si quelqu’un devenait un grand propriétaire ou un Caudillo, ils l’appelaient un Gran Cacao, ce qui indiquait que le cacao était une – on pourrait dire que le Venezuela était une économie de rente, exportant du café et du cacao vers les marchés occidentaux, très similaire à ce que nous avons en Amérique centrale, par exemple.

Bien sûr, il avait encore l’héritage de Simon Bolivar à Caracas, une société urbaine qui remonte à la colonie espagnole, mais il n’a pas vraiment eu d’élan particulier en termes de formation de richesses jusqu’à l’émergence du pétrole en 1918. C’est alors que les grands groupes pétroliers américains se sont impliqués au Venezuela, qui était essentiellement une colonie pétrolière des États-Unis, et une colonie pétrolière très importante des États-Unis en raison de la géographie également, parce qu’elle n’est pas au Moyen-Orient ; elle est juste là, très proche des États-Unis.

C’est donc là qu’a eu lieu la transition et c’est là que nous avons vu, tout d’abord, la centralisation du pouvoir politique dans le pays et le développement d’une élite qui servait les intérêts des compagnies pétrolières.

BF : Mais même avant la découverte du pétrole en 1918, le Venezuela était encore contrôlé par les élites. Y avait-il aussi une pauvreté écrasante à cette époque ?

MC : Eh bien, il y avait certainement une pauvreté écrasante pendant cette période, mais ce que je suggère, c’est que cette pauvreté écrasante n’a pas été atténuée par la découverte du pétrole. Ce qui s’est passé, c’est que la découverte du pétrole a d’abord créé des conditions de déplacement de l’économie agraire. La production agricole a commencé à décliner de façon spectaculaire, et le pétrole est devenu essentiellement la seule industrie du pays. Il y a eu, ou il y a eu pendant la période bolivarienne sous Chavez, une inquiétude sur le fait que l’économie rurale avait été plus ou moins abandonnée, et c’était aussi les conséquences du grand pétrole.

BF : Ainsi, en 1992, Hugo Chavéz organise un coup d’État. Pouvez-vous nous parler du Venezuela sous Hugo Chavéz ? Vous l’avez rencontré personnellement, n’est-ce pas ?

MC : Oui, je l’ai rencontré personnellement, assez brièvement, lorsque j’ai assisté aux sessions du Parlement latino-américain. Ce qui m’a frappé, c’est qu’il a tout d’abord pris connaissance du rapport qui a été publié sous la forme d’un livre intitulé en espagnol, La Miseria en Venezuela, et il a également laissé entendre qu’il aimerait que je participe à une mise à jour de cet – enfin, ce ne serait pas une mise à jour – examen contemporain de la pauvreté, afin que nous puissions réellement comparer la pauvreté des années 1970 à celle du début des années 2000.

Cette proposition a été discutée, mais elle n’a jamais vraiment démarré. Si j’avais participé à une nouvelle analyse de la pauvreté, elle aurait bien sûr été réalisée d’une manière très, très différente de ce que nous avons fait dans les années 1970. Mais je pense toujours que l’analyse doit être faite. Les niveaux historiques de pauvreté sont là, et j’ai eu l’occasion d’entreprendre l’étude et de communiquer ces informations au grand public au Venezuela.

Comme je l’ai mentionné, cela a détruit un mythe, le récit selon lequel le Venezuela, par rapport aux autres pays d’Amérique latine, était un pays riche. Ce n’était pas un pays riche. C’était un pays extrêmement riche et une population pauvre, avec de graves divisions sociales et des niveaux élevés d’inégalité. C’est ce que la politique étrangère américaine veut rétablir. Ils veulent restaurer le Venezuela en tant que pays subordonné avec une population pauvre et des élites qui s’alignent sur les États-Unis. C’est la nature de la crise qui sévit aujourd’hui au Venezuela.

BF : Maintenant, comment évaluez-vous l’effet qu’Hugo Chavéz et son gouvernement ont eu sur le Venezuela ?

MC : C’est un processus très complexe, car lorsque Chavéz est arrivé au pouvoir, sa première présidence a eu lieu en 1999, et il est devenu président en 1999, puis il a continué en 2007 jusqu’à sa mort en 2013. La nature de l’appareil d’État vénézuélien était telle qu’il était très difficile de commencer à mettre en œuvre des réformes au sein de l’appareil d’État. Je l’ai su dès le début lorsque j’ai constitué l’équipe. J’avais une représentante du ministère de la santé et il s’est avéré qu’elle soutenait essentiellement une vision élitiste de la santé, et je lui ai finalement demandé de se retirer du groupe de recherche.

Hugo Chavéz a hérité d’une structure de gouvernement qui était encore très centrée sur les périodes précédentes et qui nécessitait une énorme réforme. On ne pouvait pas se contenter de donner des instructions aux fonctionnaires pour faire ceci et cela. Il fallait une grande réforme de l’appareil d’État.

Ce qu’il a fait à la place, c’est créer des projets parallèles au système étatique. Ces projets s’appelaient les Misiones. Ils avaient aussi une sorte de base. Il y a donc eu un processus progressif de réforme de l’appareil d’État et, en même temps, il y a eu des activités de base qui se sont déroulées en dehors du domaine, disons de la politique ministérielle. Elles étaient orientées vers l’alphabétisation, l’éducation, la santé. Elles ont bénéficié d’un soutien considérable de la part des médecins cubains. À certains égards, ce furent des entreprises très réussies.

Je dois dire que, d’après ce que j’ai compris, il y a eu de graves divisions au sein du mouvement bolivarien et je pense qu’il y a eu des erreurs du point de vue de Chavez. De mon point de vue, l’une des plus grandes erreurs a été d’avoir, à une époque antérieure, créé un parti socialiste uni plutôt qu’une coalition. En d’autres termes, l’intention de Chavéz était de créer un parti politique qui serait le Parti socialiste unifié du Venezuela, dont il était également le leader, plutôt que de créer une coalition de partis qui rassemblerait différents segments de la société vénézuélienne. La chose s’est donc fortement polarisée.

Je dois dire qu’il y avait des divisions au sein du mouvement Chavista. Il y avait aussi de la corruption au sein du mouvement Chavista. Il était très difficile pour l’État de se dissocier des groupes de pression vénézuéliens, qui étaient les familles riches du Venezuela. Mais néanmoins, les résultats de ce processus ont été historiquement significatifs parce que, tout d’abord, l’industrie pétrolière était déjà nationalisée – enfin, elle a été nationalisée par Carlos Andrés Pérez – mais elle n’a jamais vraiment été appliquée en tant que processus national. Et ce que Chavéz a fait, c’est essentiellement de faire de cette nationalisation du pétrole une composante active et essentielle du recyclage des revenus vers le financement de projets sociaux plutôt que vers des mains privées. Et cela, bien sûr, s’est poursuivi. Et le pays avait les ressources nécessaires pour entreprendre ces projets.

Voilà donc le contexte. Je dois mentionner – et c’est une question distincte – qu’il y a eu dès le début des tentatives de déstabilisation de Chavéz de la part de la présidence, et cela est venu à la suite de la National Endowment for Democracy [organisation non-gouvernementale qui serait utilisée par la CIA pour financer les intérêts américains, NdT] et de ses diverses actions au Venezuela en faveur des groupes dits d’opposition. Je rappelle, encore une fois, et je dois le mentionner, que lors des élections de 2012, que Chavéz a remportées, il y a eu une tentative de diverses fondations, la NED mais aussi la fondation allemande Hanns Seidel de soutenir le candidat de l’opposition. Il y a donc eu une ingérence directe dans le processus électoral.

BF : Etiez-vous en train de dire que l’une des façons dont Hugo Chavéz a essayé de mettre en œuvre la réforme n’était pas de réformer le gouvernement lui-même, mais de créer une sorte de structure parallèle. Est-ce bien ce que vous disiez ?

MC : Oui, c’est bien ce qui s’est passé. Des réformes ont eu lieu au sein de l’appareil d’État et les structures parallèles étaient également là, et elles ont finalement été reliées entre elles. Mais au début, il a été très difficile pour le nouveau gouvernement d’entrer en fonction et d’introduire des réformes majeures dans l’appareil d’État.

Ils ont alors mis en place un processus de réforme constitutionnelle, que Chavéz a mis en œuvre, et ils ont créé une assemblée constitutionnelle, qui a fait l’objet d’une controverse. Nous avons affaire à un processus très complexe, car tout au long de sa présidence jusqu’à sa mort, il y a eu des conspirations pour déstabiliser le gouvernement, et il y avait des gens au sein du gouvernement qui jouaient un sale jeu. Je pense que c’était clair. En fait, même dans une certaine mesure, Chavéz a laissé cela se produire. Il y a eu des contrats attribués avec le Ministère des Travaux Publics et ainsi de suite. Il y a eu plusieurs cas de corruption au sein du gouvernement bolivarien et il y a eu de sérieux problèmes concernant la structure de l’appareil d’État.

Mais cela ne veut pas dire qu’on ne le savait pas. Mais en même temps, il y avait un mouvement de base. Il y a eu un processus de démocratisation à la base. Je pense que ce qui a été réalisé est remarquable en un temps relativement court. Les niveaux historiques de pauvreté ont été réduits.

BF : Il semble que la corruption ait joué un rôle très important au Venezuela avant le coup d’État d’Hugo Chavéz et après son coup d’État quand il a pris les rênes du pouvoir. Beaucoup de gens prétendent que l’effondrement économique du Venezuela est actuellement lié à ses politiques socialistes. Quelles sont les politiques socialistes du Venezuela et que pensez-vous de cette affirmation ?

MC : Je pense que c’est un peu une fausse appellation car, tout d’abord, le Venezuela n’était pas une économie socialiste. C’était essentiellement une économie capitaliste. Ce qui s’est passé, c’est que le gouvernement a nationalisé certaines industries clés. Il a créé ce que l’on appelait les Conseils Communaux, il a eu les Misiones, qui se concentraient en grande partie sur les questions de logement, de santé, etc. mais l’économie était essentiellement une économie capitaliste, une économie de marché. Si vous allez à Caracas, vous le voyez. Je pense qu’un processus socialiste avait été mis en place, mais il ne s’agissait en aucun cas d’une économie socialiste à part entière.

Je pense que si nous le comparons à d’autres pays d’Amérique latine, le Venezuela, dans un sens, se démarquerait du soi-disant consensus de Washington, à savoir les politiques économiques et sociales imposées par les institutions de Bretton Woods, par exemple la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International. Il disposait de sa propre structure de démocratie participative qui, à certains égards, était assez réussie, en particulier les Misiones.

En fait, les échecs que nous constatons aujourd’hui, la hausse des prix à la consommation, l’hyperinflation, sont le fruit d’une machination. Ils sont le résultat de manipulations du marché des changes. Nous connaissons ce genre de mécanisme parce que c’est ce qui a caractérisé les derniers mois du gouvernement chilien de Salvador Allende en 1973 (à gauche), où la monnaie nationale était constamment attaquée, ce qui a conduit à l’hyperinflation et ainsi de suite. On pourrait dire que cela fait partie du « remède » ou de l’action du FMI, de la Banque mondiale, de la Réserve Fédérale. Il est très facile pour Wall Street de déstabiliser les monnaies. Cela a été appliqué dans de très nombreux pays.

Je me souviens, lorsque j’étais au Pérou au début des années 90, lorsque le Président Alberto Fujimori est arrivé au pouvoir, qu’en un seul jour, le prix du carburant avait augmenté 30 fois, et cela à la suite des mesures du FMI. Dans le cas du Venezuela, la manipulation est en cours. Le taux de change est manipulé, et cela déclenche la pauvreté. Il ne fait aucun doute que ces actes de sabotage et de guerre financière créent une pauvreté abyssale.

Mais ce n’est pas le résultat d’une politique gouvernementale, c’est le résultat de l’intervention des spéculateurs sur les marchés des devises, et c’est quelque chose qui est bien connu et compris. Si vous voulez détruire un pays, vous détruisez sa monnaie.

Je dois mentionner que j’ai eu des réunions avec des gens de la Banque centrale – pas récemment, mais quand je suis allé au Venezuela il y a sept ou huit ans, j’ai eu ces réunions à la Banque Centrale. La Banque Centrale du Venezuela n’a pas vraiment mis en œuvre des changements significatifs dans la gestion de la politique monétaire qui auraient pu éviter ce genre d’action. Mais ce que je peux dire à juste titre, c’est que s’il y a de la pauvreté aujourd’hui au Venezuela, ce n’est pas à cause de la révolution bolivarienne ; c’est dû au fait qu’il y a des mesures de sabotage et de guerre financière qui ont été introduites dans le but de saper les missions bolivariennes en matière de santé, de logement, etc. en manipulant simplement les marchés des devises, et cela génère une hyperinflation.

BF : Comment Wall Street s’attaque-t-elle exactement à la monnaie d’une nation ? Qu’en est-il de la monnaie du Venezuela ? Est-ce que c’est ce que vous avez appelé une économie dollarisée ou non ?

MC : Je pense que c’est une économie dollarisée. Cela prévalait même avant l’arrivée de Chavez au pouvoir. En d’autres termes, il y a un système de double monnaie. Il y a le bolivar d’un côté, la monnaie nationale, et le dollar, et il y a un marché noir. Et quand il y a un marché noir qui n’est pas réglementé – ils ne parviennent jamais vraiment à réglementer le marché noir – quand il n’est pas bien réglementé, c’est ce qui arrive. Les gens économisent en dollars parce que la monnaie nationale est très instable et ainsi de suite.

Je pense que la Banque Centrale du Venezuela n’a pas réussi à résoudre ce problème. L’une des raisons en est que beaucoup des gens qui étaient là, que je connaissais, étaient de la vieille garde. Ils sont formés à la politique monétaire et à la macroéconomie et il était nécessaire de procéder à des réformes très prudentes au sein du système monétaire et des mécanismes de protection de la monnaie. C’était fondamental.

Un autre élément a également joué un rôle, à savoir l’effondrement du marché pétrolier. C’est clair. Le fait que les prix du pétrole soient extrêmement bas a eu des répercussions sur les pays producteurs de pétrole, mais cela a également touché d’autres pays.

BF : Et cet effondrement du pétrole a été manipulé, n’est-ce pas ?

MC : L’effondrement du marché du pétrole a été manipulé, oui. Je pense que l’effondrement du pétrole a été manipulé. Il y a des mécanismes – je ne veux pas en parler car c’est plutôt technique – mais il y a des mécanismes qui font monter ou descendre les prix des matières premières par des actions spéculatives sur les bourses de matières premières. C’est bien connu et bien compris. Il y a des moyens de faire monter et descendre les monnaies par des actions spéculatives. Nous savons qu’à la suite de la crise asiatique de 1997, le won sud-coréen s’est effondré. Ces mécanismes existent. Dans le jargon économique, nous appelons cela la vente à découvert à nu. Lorsque vous introduisez une opération de vente à découvert contre une devise, celle-ci s’effondre, mais il existe des moyens pour les gouvernements d’éviter cette vente à découvert de leurs devises. Ils doivent réguler le marché des devises et malheureusement, au Venezuela, cela n’a pas été le cas. Certaines propositions ont été avancées, mais elles n’ont jamais été efficaces pour protéger la monnaie.

BF : J’ai lu que le Venezuela est endetté à hauteur de 60 milliards. Cette dette doit-elle être remboursée en dollars ?

MC : Je suppose que c’est une dette en dollars, oui. C’est une dette extérieure.

BF : Comment gagneraient-ils les dollars – en vendant le pétrole ?

MC : Ils vendraient le pétrole. Je vous rappelle que 60 milliards de dollars de dette extérieure n’est pas exagérément élevé quand vous avez des revenus pétroliers, mais je suppose que cette dette s’est également accumulée avec l’effondrement du marché pétrolier. Mais, bien sûr, oui, il y a des obligations de service de la dette pour rembourser cette dette – bien sûr, s’il y a des problèmes de remboursement de la dette, alors les créanciers peuvent mettre en œuvre des mesures qui sont préjudiciables à l’économie vénézuélienne et ils le font. Il y a toute une série d’actes de sabotage. Tout récemment, nous avons vu que la Banque d’Angleterre a dit : « Non, vous ne pouvez pas rapatrier l’or que vous avez déposé à la Banque d’Angleterre ». Ils ont fait déposer de l’or à la Banque d’Angleterre qui appartient au Venezuela et la réponse de la Banque d’Angleterre a dit non, vous ne pouvez pas le récupérer. C’est un autre acte de sabotage.

BF : Il semble que Citgo, le principal actif énergétique étranger du Venezuela, pourrait être la cible du renversement de Maduro, l’argent des exportations de pétrole étant envoyé à Guaidó au lieu du gouvernement Maduro. J’ai lu que John Bolton avait fait de cette question une priorité.

MC : Oui, eh bien, c’est quelque chose qui pourrait avoir des conséquences dévastatrices. Mais je ne le vois pas. Tout d’abord, il y a des mécanismes institutionnels sur la façon dont Guaidó prendrait effectivement le contrôle de ces revenus. Ce n’est pas un gouvernement, c’est un individu. Mais je pense que ce qu’ils font actuellement, c’est mettre en place des mécanismes qui déstabiliseront davantage l’économie vénézuélienne et déclencheront également une certaine forme de changement de régime.

Il y a une autre chose que j’aimerais mentionner, et qui me semble très importante. Quelle a été la réponse à cette crise ? J’ai vu récemment une déclaration d’un certain nombre d’auteurs progressistes qui dit essentiellement qu’il devrait y avoir une médiation ou une négociation entre les deux parties. Je pense que c’est quelque chose qui est assez mal compris. Il ne peut y avoir de médiation entre le gouvernement du Venezuela et un mandataire des services de renseignement américains, qui est Guaidó. En d’autres termes, ce qui est proposé est essentiellement d’avoir un accord négocié entre les deux parties, entre le président intérimaire, Juan Guaidó et le Président du Venezuela, Maduro. En fait, Maduro s’est laissé séduire par cette proposition et a eu, je crois, quelques discussions avec Guaidó ou a dit qu’il était ouvert à des conversations avec lui.

Je pense qu’il devrait être évident que cette proposition est redondante et contradictoire, car le Président de l’Assemblée Nationale, Juan Guaidó, est un mandataire des États-Unis. Il est l’instrument d’un gouvernement étranger qui négociera ensuite au nom de Washington.

Or, il y a toujours eu des négociations au sein du processus bolivarien avec les groupes d’opposition. Ils ont toujours négocié et discuté. Mais ici, nous avons affaire à quelque chose de très spécifique. Vous ne pouvez pas négocier avec Juan Guaidó. C’est un mandataire américain. Et vous ne pouvez pas négocier avec le gouvernement américain. Eh bien, il y a des divisions internes au Venezuela, mais le président du Venezuela ne peut pas négocier avec des personnes qui s’engagent à renverser le président élu constitutionnellement et à le remplacer par le président de la Chambre.

Je pense que dans les pays occidentaux, nous devons certainement prendre position et simplement rejeter cette ouverture de nos gouvernements, qui soutiennent le président de la Chambre et le dépeignent comme un président intérimaire du Venezuela. C’est la position que nous devons adopter.

Il y a certainement des possibilités de débat et de négociation au sein du Venezuela, mais il est très difficile que cela se produise avec un pays qui est attaqué, ce qui est le résultat de sabotages, de guerres financières sur les marchés des devises, de menaces de confisquer les revenus provenant de leurs exportations de pétrole, de geler les réserves d’or de la Banque d’Angleterre ou de geler les comptes des actifs à l’étranger, etc. C’est ce qui doit cesser et il peut y avoir une période de transition pendant laquelle le pays peut rétablir ses activités de gouvernement normal.

BF : Michel Chossudovsky, merci.

MC : Je vous remercie. Ravi d’être dans le programme. Nos pensées aujourd’hui sont avec le peuple du Venezuela.

Je me suis entretenu avec Michel Chossudovsky. L’émission d’aujourd’hui a été : Le Venezuela : De la procuration pétrolière au mouvement bolivarien et au sabotage.

Le professeur Michel Chossudovsky est le fondateur, le directeur et le rédacteur en chef du Centre de recherche sur la mondialisation, basé à Montréal, au Québec. Le site web de Global Research, globalresearch.ca, publie des articles de presse, des commentaires, des recherches et des analyses de fond.

 

 

Article original en anglais  :

Warfare Tools

Venezuela: From Oil Proxy to the Bolivarian Movement and Sabotage. Abysmal Poverty under US Proxy Rule (1918-1998)

Guns and Butter, le 6 février 2010.

Traduit par Michel pour le Saker Francophone

Guns and Butter est produit par Bonnie Faulkner, Yarrow Mahko et Tony Rango. Visitez-nous sur gunsandbutter.org pour écouter les émissions passées, commenter les émissions, ou inscrivez-vous à notre liste de diffusion pour recevoir notre bulletin d’information qui comprend les émissions récentes et les mises à jour. Envoyez-nous un courriel à [email protected].
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Michel Chossudovsky est l’auteur de onze livres, dont The Globalization of Poverty and the New World Order et War and Globalization : La vérité derrière le 11 septembre. Visitez globalresearch.ca.



A propos :

Michel Chossudovsky is an award-winning author, Professor of Economics (emeritus) at the University of Ottawa, Founder and Director of the Centre for Research on Globalization (CRG), Montreal, Editor of Global Research.  He has taught as visiting professor in Western Europe, Southeast Asia, the Pacific and Latin America. He has served as economic adviser to governments of developing countries and has acted as a consultant for several international organizations. He is the author of eleven books including The Globalization of Poverty and The New World Order (2003), America’s “War on Terrorism” (2005), The Global Economic Crisis, The Great Depression of the Twenty-first Century (2009) (Editor), Towards a World War III Scenario: The Dangers of Nuclear War (2011), The Globalization of War, America's Long War against Humanity (2015). He is a contributor to the Encyclopaedia Britannica.  His writings have been published in more than twenty languages. In 2014, he was awarded the Gold Medal for Merit of the Republic of Serbia for his writings on NATO's war of aggression against Yugoslavia. He can be reached at [email protected] Michel Chossudovsky est un auteur primé, professeur d’économie (émérite) à l’Université d’Ottawa, fondateur et directeur du Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) de Montréal, rédacteur en chef de Global Research.

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