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Le verdict du procès Moussaoui porte un coup au refus de l’administration Bush de faire la lumière sur le 11 septembre
Par Patrick Martin
Mondialisation.ca, 08 mai 2006
WSWS.org 8 mai 2006
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La décision par un jury d’Alexandrie, en Virginie, de condamner Zaccarias Moussaoui à la prison à vie, lui épargnant ainsi la peine de mort, est un acte intelligent et humain qui sert une rebuffade à l’administration Bush. En rendant son verdict, le jury a rejeté la demande du gouvernement en faveur de la peine de mort et, par implication, sa tentative d’utiliser l’affaire Moussaoui pour camoufler son inaction avant le 11 septembre et son refus inexplicable de faire le procès d’aucune figure importante du complot du 11 septembre.

Au dire de tous, les 12 jurés ont procédé à une étude soignée de toutes les dépositions dans l’affaire, étudiant à fond leurs notes sur les témoignages afin de remplir un formulaire complexe de 42 pages déterminant les facteurs aggravants et atténuants argumentés par l’accusation et la défense. Un an plus tôt, Moussaoui avait plaidé coupable à la participation au complot qui avait mené aux attaques du 11 septembre et le procès avait été limité au choix entre deux peines: la prison à vie sans sursis ou la mort.

Le principal obstacle pour l’accusation était le fait que Moussaoui avait été arrêté en août 2001, inculpé pour des raisons d’immigration, lorsque, après s’être inscrit à une école de pilotage du Minnesota, son comportement étrange avait attiré l’attention d’agents locaux du FBI. Il était en prison au moment des attaques du 11 septembre et il n’a de toute évidence joué aucun rôle direct dans les pires attaques terroristes de l’histoire des États-Unis, lors desquelles presque 3000 personnes innocentes ont été tuées.

Le département de la Justice, en tentant d’obtenir la peine de mort, a argumenté que le silence de Moussaoui au sujet du plan de Al Qaïda et ses fausses déclarations qu’il était simplement intéressé à apprendre à piloter de gros avions, avaient empêché le gouvernement fédéral de prendre des mesures, comme augmenter la sécurité dans les aéroports, qui auraient prévenu les détournements suicides. Un argument faible qui, comme l’a fait remarquer la Juge Leonie Brinkema, venait bien près de remettre en question le droit de Moussaoui, selon le cinquième amendement, de garder le silence après son arrestation.

Mais après que le jury eut apparemment accepté l’argument de l’accusation, ayant rendu une décision préliminaire le mois dernier selon laquelle Moussaoui était passible de la peine de mort, la plupart des observateurs ont affirmé qu’il ne faisait aucun doute que la peine de mort allait être rendue. Ayant déterminé que le silence de Moussaoui lui avait affligé une part de la responsabilité pour les morts du 11 septembre 2001, le jury allait nécessairement imposer la sentence maximale.

Cependant, au lieu de cela, après avoir révisé les témoignages, certains jurés ont en réalité renversé leurs précédentes conclusions. Trois jurés ont noté un facteur atténuant supplémentaire sur leur formulaire — un facteur qui n’avait pas été argumenté par la défense car il avait supposément déjà été établi — déclarant que Moussaoui ne devait pas être exécuté car il était très peu au courant du complot du 11 septembre.

Bien que l’identité des jurés demeure inconnue et qu’il ne soit pas encore possible de déterminer le fil précis de leur raisonnement, certaines considérations générales sont claires. Neuf des douze jurés ont jugé que l’éducation de Moussaoui et le fait d’avoir subi toute une série d’agressions violentes de la part de son père constituaient des circonstances atténuantes. Trois ont jugé que son expérience de discrimination raciale en France étant jeune constituait une autre circonstances atténuante. Malgré que les jurés aient rejeté les affirmations des avocats de Moussaoui selon lesquelles celui-ci serait un schizophrène paranoïaque, ils ont assisté aux témoignages enregistrés de deux soeurs de Moussaoui qui souffrent de cette maladie mentale et qui sont confinées dans un asile français.

Les jurés ont été sans aucun doute affectés par le témoignage extraordinaire de plusieurs dizaines de membres de familles de victimes du 11 septembre qui ont accepté de comparaître en tant que témoins à la défense. Même s’ils n’avaient pas le droit d’émettre d’opinion sur la peine appropriée pour Moussaoui alors qu’ils étaient à la barre, leurs comparutions ont clairement fourni une opposition à la demande de peine de mort du gouvernement et ont miné son affirmation selon laquelle seule l’exécution de Moussaoui pourrait permettre aux familles victimes du 11 septembre de «tourner la page.» À l’extérieur du tribunal, un grand nombre de ces parents de victimes du 11 septembre ont déclaré leur opposition à la peine capitale et à tout ce qui contribuerait à faire de Moussaoui un martyre de Al Qaïda.

Le sentiment d’opposition à la peine capitale qui croît au sein de la population s’est fait sentir parmi les membres de la famille et les jurés. Même si l’administration Bush a choisi de faire entendre la cause dans une ville conservatrice de Virginie, tout près du Pentagone, plutôt qu’à New York, plus libérale, le bassin de population duquel fut choisi le jury d’Alexandrie n’est pas systématiquement pour la peine capitale. Selon un reportage, les jurys fédéraux de ce district n’ont pas accepté d’imposer la peine de mort dans les six cas qu’ils ont dû juger depuis 1998.

Les jurés ont entendu des témoins experts avec des avis diamétralement opposés sur la santé mentale de Moussaoui, mais la performance du défendant lui-même a très certainement soulevé des questionnements sur son équilibre mental, tant à l’époque des attaques du 11 septembre qu’aujourd’hui. Il jubilait à l’idée que des innocents étaient morts, a harcelé ses propres avocats (dont un juif) et a fait de grandioses déclarations, clairement fausses, sur le rôle central qu’il jouait dans Al Qaïda.

La déclaration la plus bizarre a été celle qu’il a donné à la barre lorsque, sous serment, il a déclaré qu’il aurait été le pilote d’un cinquième avion détourné, en compagnie de Richard Reid, qui a tenté sans succès en décembre 2001 d’allumer des explosifs dissimulés dans ses chaussures, et d’autres membres d’Al Qaïda. En plus du fait que Reid n’était pas aux États-Unis en été 2001 et qu’il n’y a aucun lien connu entre lui et les attentats du 11 septembre, Reid a aussi établi un testament en faveur de Moussaoui, un geste peu sensé si les deux devaient mourir ensemble dans un attentat suicide. Même le FBI a concédé qu’il n’y avait pas de preuves pour étayer les déclarations de Moussaoui.

Également, Khalid Sheikh Mohammed et Ramzi Binalshidh, que la CIA considère comme les organisateurs de l’attentat du 11 septembre et qu’elle détient dans ses prisons secrètes d’outre-mer, ont fait des dépositions dans lesquelles ils déclaraient que Moussaoui était considéré comme trop instable et pas assez fiable pour même effectuer un détournement d’avion et qu’il a été, au mieux, relégué à un second rôle.

Cela soulève une autre question dans l’affaire Moussaoui, de la plus haute importante politique, peu importe la place qu’elle a pu occuper dans les délibérations du jury. Pourquoi est-ce le pion Moussaoui qui a été jugé et pas ceux qui sont identifiés comme les planificateurs et les organisateurs des attaques du 11 septembre et que les États-Unis ont sous les verrous? Binalshidh a été capturé en septembre 2002, Mohammed six mois plus tard. Tout ce qu’ils auraient pu savoir alors sur les opérations d’Al Qaïda a été tiré d’eux, et ils ne peuvent certainement détenir aucun renseignement de valeur à l’heure actuelle. Ils restent pourtant, peut-être indéfiniment, sous la garde de la CIA, sans avoir été amené devant un tribunal pour leurs crimes.

Il y a deux raisons probables au fait que Mohammed et Binalshidh n’ont pas comparu devant un juge. La première est qu’ils ont été si systématiquement torturés qu’ils sont physiquement ou mentalement incapables de participer à un procès. La deuxième est que s’ils devaient subir un procès public, avec des avocats compétents, ils pourraient bien révéler des faits embarrassants sur les liens de longue date entre Al Qaïda et les agences américaines de renseignement.

Après tout, c’est la CIA qui a créé Al Qaïda en recrutant des fondamentalistes islamiques, y compris Ben Laden, pour participer à la guérilla anti-soviétique en Afghanistan dans les années 1980. Moussaoui est trop jeune et trop inexpérimenté pour être renseigné sur ces liens, mais ce n’est pas le cas de Mohammed et de Binalshidh, deux proches lieutenants de Ben Laden.

En plus, il y a de bonnes raisons de croire que ces liens n’ont pas été subitement coupés après la déclaration de guerre aux États-Unis de Ben Laden en 1996. Il y a des informations non confirmées de contacts entre la CIA et Ben Laden aussi tard qu’en été 2001. Et les médias européens ont rapporté que le gouvernement américain avait Mohammed Atta sous surveillance tout au long de la période où les attaques du 11 septembre étaient organisées.

La question fondamentale qui demeure sans réponse au sujet des attaques du 11 septembre, c’est de savoir ce que l’administration Bush et les services de renseignement américains connaissaient des plans d’attaques terroristes et à quel niveau la décision a été prise de ne pas interférer avec ces préparatifs dans le but d’avoir un prétexte pour une intervention militaire américaine en Asie centrale et au Moyen Orient.

Le verdict de la prison à vie pour Moussaoui décidé par le jury a provoqué des commentaires amers et frustrés de la part de Bush lui-même, de l’ancien maire de New York Rudolph Giuliani, et de médias tels que le Wall Street Journal et le New York Daily News

Dans un de ses sophismes typiques, Bush a déclaré: «La fin de ce procès représente la fin de cette affaire, mais non la fin de la lutte contre la terreur.» Il a dit que le jury avait épargné la peine de mort à Moussaoui bien que c’est «une chose qu’il n’était visiblement pas prêt à faire pour d’innocents citoyens américains». Apparemment, le président a regretté la décision du jury d’agir d’une façon plus éclairée que le terroriste d’Al Qaïda.

Le Wall Street Journal a publié sur sa page éditoriale un commentaire de Peggy Noonan, qui écrivait des discours pour Reagan, sous le titre: «Ils auraient dû le tuer», comme si le jury aurait dû passer la corde autour du cou de Moussaoui dans la salle même du tribunal. Dans un éditorial associé, le Journal a déclaré que le verdict démontrait le danger de faire passer les affaires de terrorisme par le système judiciaire, au lieu des procédures militaires sommaires désirées par l’administration Bush pour les prisonniers de Guantanamo, aucun d’entre eux n’ayant subi de procès plus de quatre ans après l’ouverture du camp de concentration.

Le commentaire le plus furieux est venu du tabloïde Daily News, qui a dénoncé le jury pour avoir tenu compte de circonstances atténuantes telles que les sévices subis durant l’enfance. «L’idée que des jurés américains soient capables de raisonnements aussi confus est horrifiante», a soutenu le Daily News. «Le moindre rôle dans les événements du 11 septembre, la moindre connaissance préalable des attaques, la moindre aide fournie à Al Qaïda, suffit pour recevoir le châtiment de la mort.»

Si le plus grand crime est d’avoir été au courant pour le 11 septembre et de n’avoir rien fait, alors l’ancien chef de la CIA George Tenet, un paquet de superviseurs du FBI, ainsi que Bush, Cheney et Condolleezza Rice devraient tous faire face à des enquêtes et des accusations criminelles. C’est le 6 août 2001 que Rice a présenté à Bush un mémorandum de la CIA avertissant que Al Qaïda planifiait de pirater des avions de ligne à l’intérieur des États-Unis et de possiblement s’en servir dans des attaques suicidaires. Le vaste appareil du gouvernement fédéral a continué son travail de routine sans prendre la moindre mesure pour contrer les attaques.

Dans un contraste saisissant avec l’hystérie et l’opération-camouflage de la Maison Blanche et des médias, plusieurs parents des victimes du 11 septembre ont réagi à l’affaire Moussaoui en demandant une fois de plus qu’un effort plus sérieux soit entrepris pour découvrir la vérité à propos des attaques terroristes et punir les coupables.

Rosemary Dillard, dont le mari est mort au Pentagone le 11 septembre, a déclaré lors d’une conférence de presse qu’elle respectait les décisions du jury. «Nous avons montré au monde ce que nous faisons aux terroristes», a-t-elle dit. «Nous leurs montrerons du respect peu importe le manque de respect qu’ils nous montrent. Ça fait de nous une meilleure société.»

Une telle attitude, exprimée par des parents des victimes et mise en pratique par les membres du jury de Virginie, démontre que les médias, sans parler du gouvernement, ont beau chercher à rabaisser la conscience populaire, ils n’ont pas réussi à déraciner les sentiments démocratiques et humanitaires du peuple américain.

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