Le visage meurtrier de la « poussée » d’Obama en Afghanistan

« La poussée a sérieusement commencé » a annoncé jeudi 17 décembre un porte-parole du Pentagone. Bien que seules quelques unités avancées d’un bataillon de Marines soient arrivées en Afghanistan, l’escalade de la mort et de la destruction qui accompagnera le déploiement supplémentaire de 30.000 soldats a déjà commencé. 

Une suite d’événements qui se sont produits ces derniers jours donne déjà une idée du caractère prolongé de la soi-disant poussée que le président américain Barack Obama a ordonné au début du mois de décembre.

Obama a dit le 1er décembre, dans son discours à l’académie militaire de West Point, qu’il appliquait « une stratégie fonctionnant des deux côtés de la frontière » entre le Pakistan de l’Afghanistan. Ce qui est déjà clair, c’est que cette stratégie comporte une intensification de la tuerie dans les deux pays et qu’elle a le potentiel de déclencher une crise bien plus importante dans cette région du monde.  

Les 17 et 18 décembre, des avions américains sans pilote effectuèrent des attaques parmi les plus violentes de toute une suite d’attaques au missile, qui par ailleurs se multiplient, contre des cibles pakistanaises le long de la frontière Afghane. Le 17 décembre, ce qui a été décrit comme une « flottille de drones » a pilonné un village du Nord-Waziristan, tuant dix-sept personnes. Selon des informations parues dans les médias, dix missiles Hellfire furent largués sur une zone d’habitation prétendument occupée par des « militants ». Deux autres missiles furent lancés sur une voiture, tuant trois personnes. Le 18 décembre, trois autres personnes qualifiées elles aussi de « militants » furent tuées dans une attaque séparée.     

Le choix des cibles – les missiles sont lancés à distance par des employés de la CIA devant des écrans vidéo à Langley, Virginia – était de toute évidence politique. L’administration Obama et le Pentagone ont fait pression sur le gouvernement pakistanais et lui ont demandé de lancer une offensive au Nord-Waziristan, mais Islamabad a, jusqu’à présent, refusé. 

Les forces de sécurité pakistanaises ont conclu une trêve avec les talibans de la région et craignent que toute action contre eux « n’anime », selon les mots d’un responsable des services de renseignements américains parlant au Long War Journal, « les éléments nationalistes de l’armée [pakistanaise] et de l’ISI [Inter-Services Intelligence — services secrets] à se ranger du côté des pro-islamistes et à déclencher une guerre civile au sein de l’armée ».

Ce barrage de missiles sans équivalent est un message pas trop subtil au gouvernement pakistanais pour lui dire que s’il ne fait pas ce que Washington veut, la CIA et l’armée  américaine s’en chargeront eux-mêmes.

Il y a maintenant, selon le Los Angeles Times, un vif débat au sein de l’administration américaine sur une proposition d’étendre les frappes de missiles lancés à partir de drones à la plus grande des provinces pakistanaises, le Baloutchistan, et même à la ville peuplée de Quetta, sa capitale, où certains dirigeants talibans sont censés avoir cherché refuge.

La politique de plus en plus agressive et aventurière des Etats-Unis vis-à-vis du Pakistan fait que la « poussée » d’Obama risque de déstabiliser profondément cette nation disposant de l’arme nucléaire et crée les conditions d’une guerre encore plus étendue et plus catastrophique. 

Du côté afghan, les victimes civiles continuent de se multiplier alors qu’on met progressivement en place les éléments de la « poussée ».

Trois civils non armés furent tués et une femme blessée lorsqu’un hélicoptère américain piqua et ouvrit le feu sur leur camionnette alors qu’elle roulait sur la principale autoroute Afghane au soir du 17 décembre. Un porte-parole des forces d’occupation américaines dit que leurs hélicoptères avaient réagi à une information faisant état d’hommes en train de placer des IED (engins explosifs improvisés) sur la route.

Le commandement américain a averti que la « poussée » entraînerait une forte augmentation des victimes américaines et afghanes. Des incidents meurtriers comme celui du 17 décembre se multiplieront alors que l’armée américaine déchaînera ses bombes, ses missiles et ses barrages d’artillerie au nom de sa « force protection ».

Mais cette multiplication des attaques meurtrières sera dirigée avec beaucoup plus de précision. Comme le rapporta le Los Angeles Times le 17 décembre : « Le commandement militaire américain a sans bruit modifié la mission des forces d’opération spéciales clandestines en Afghanistan ». 

L’article indique qu’on a ordonné aux unités opérant en secret de monter une campagne d’assassinats dans le but d’éliminer à présent des dirigeants, des membres et des partisans des talibans – un terme vague par lequel Washington et les médias désignent tout Afghan résistant à l’occupation étrangère. « Le nombre de raids effectués en Afghanistan par des unités telles que la Force Delta de l’armée de terre et les Seal Team Six de la Marine a plus que quadruplé ces derniers mois », écrit ce journal.   

Toujours selon le Los Angeles Times, le Pentagone a ordonné à ces unités, utilisées sur le théâtre d’opération afghan pour une bonne part à la poursuite des membres d’al-Qaïda, de se concentrer désormais sur la résistance afghane.

Selon toute apparence et sous prétexte de « protéger le peuple Afghan » la stratégie américaine comprendra le déploiement de troupes de combat conventionnelles dans le but de « nettoyer et tenir » des centres peuplés, utilisant les raids et la répression pour en expurger les éléments résistants, auxquels ont fera ensuite  la chasse dans les régions plus rurales. 

Un rapport délivré mercredi par une sous-commission du Sénat chargée de la supervision des contrats éclaire lui aussi sur la nature de la « poussée » d’Obama. Selon ce rapport on a trouvé qu’entre juin et septembre de cette année le nombre de personnels privés travaillant sous contrat pour le Pentagone en Afghanistan a augmenté de 40 pour cent. Le nombre des personnels de sécurité privés actifs en Afghanistan est passé de 5.000 à 10.000 pendant la même période.

Selon un rapport préparé par le Service de recherches du Congrès l’on s’attend à ce que le nombre total de personnels sous contrat en Afghanistan atteigne entre 130.000 et 160.000 individus, dépassant ainsi largement le nombre de militaires en uniforme.

Et enfin, l’ambassadeur des Etats-Unis en Afghanistan, Karl Eikenberry (un général en retraite ayant  commandé les troupes américaines d’occupation dans le passé) assura des responsables Afghans, dans un discours au ministère des Affaires étrangères du gouvernement fantoche, que Washington n’avait aucune intention d’en finir avec l’occupation militaire, en dépit de l’engagement pris par Obama d’un retrait des troupes à partir de juillet 2011.

« Il ne s’agit pas d’une date limite, en dépit de ce que certains ont dit aux Etats-Unis et en Afghanistan » dit Eikenberry à son auditoire. Il insista aussi pour dire que « notre engagement militaire ne prendra pas fin ni ne diminuera même si nos troupes de combat [se retirent]. »

En d’autres mots, les promesses de retrait des troupes d’Afghanistan dans un an et demi ont juste été faites pour les oreilles du public aux Etats-Unis – un moyen de tromper le peuple américain sur la nature réelle de l’intervention américaine. La vérité elle, est importante pour les responsables du régime de Karzaï dont la survie dépend entièrement de la protection des troupes américaines et c’est que Washington a l’intention d’occuper l’Afghanistan de façon permanente. 

On commence ainsi à discerner la physionomie de l’escalade d’Obama. Elle comprend une extension dangereuse de la guerre au Pakistan, une forte augmentation des victimes civiles, l’usage d’escadrons de la mort dans le but d’assassiner ceux qui sont suspectés de faire partie de la résistance et l’usage de mercenaires à une échelle encore jamais vue. Il s’agit sous tous les aspects d’une guerre sale de type colonial, destinée à réprimer la résistance populaire et à soumettre l’Afghanistan – et finalement toute la région riche en pétrole de l’Asie centrale – à la domination américaine.

Article original, WSWS, paru le 19 décembre 2009.



Articles Par : Bill Van Auken

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