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Élection présidentielle en Algérie : Bouteflika obtient un troisième mandat
Par Francis Dubois et Pierre Mabut
Mondialisation.ca, 11 mai 2009
WSWS 11 mai 2009
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L’élection présidentielle du 9 avril en Algérie s’est soldée par un troisième mandat pour Abdelaziz Bouteflika. On annonça officiellement une participation record de 74 pour cent ; à l’élection présidentielle de 2004 il y avait eu 55 pour cent de votants. Bouteflika obtint plus de 90 pour cent des voix, selon les chiffres officiels, au cours d’une élection fortement truquée.

Aucun des autres candidats prenant part à cette élection n’a obtenu plus de cinq pour cent. Louisa Hanoune du PT (Parti des travailleurs) arriva seconde avec 4,22 pour cent des voix. Elle dénonça diverses formes de fraude électorale de la part du gouvernment. Moussa Touati, du FNA (Front national algérien) arriva troisième avec 2,31 pour cent des suffrages, suivi de Djahid Younsi du parti El Islah (un parti islamiste) qui obtint 1,37 pour cent. Cinquième fut Ali Fawzi Rebaïne, un candidat nationaliste, avec 0.93 pour cent, Mohammed Said, le candidat du PJL (Parti justice et liberté) une organisation islamique, obtenant 0,92 pour cent des voix.

Les deux plus grands partis d’opposition, le FFS (Front des forces socialistes) et le RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie) qui ont tous deux leur principal électorat en Kabylie, avaient appelé à boycotter l’élection, avançant l’absence de « conditions d’un scrutin régulier et transparent ».

La réélection de Bouteflika ne faisait aucun doute. Le 12 novembre 2008, il avait réussi, à travers une modification de la constitution algérienne qui limitait jusque-là le nombre des mandats présidentiels à deux, à créer les conditions d’une présidence sans limites et il avait obtenu le soutien d’une écrasante majorité du parlement. Le quotidien français Libération  écrivait le 9 avril : « Il faut remonter au printemps dernier pour comprendre qu’un marché a été passé au sommet. D’un côté, les “décideurs”, ces généraux qui dirigent le pays dans l’ombre, à commencer par Toufik, surnom du général Médiene, dont on ne connait pas le visage et qui est à la tête du DRS, les services de renseignements, depuis deux décennies… Le marché passé a été : la présidence à vie pour Bouteflika, mais il abandonne aux “décideurs” le soin de régler la succession. »

Toute la campagne électorale de Bouteflika était organisée de façon à combattre l’abstention. On fit état de pressions exercées, en particulier sur les fonctionnaires pour qu’ils aillent voter. La plus grande peur de l’élite politique algérienne était celle d’une abstention massive. Les doutes sur la conduite de l’élection sont renforcés encore par l’annonce d’une participation de 64 pour cent dans la capitale Alger où elle n’avait jusque-là jamais dépassé 35 pour cent.

Bouteflika qui a commencé sa carrière politique dans le FLN (Front de libération nationale) avant d’en être exclu, avait été élu président en 1999 en tant que candidat indépendant soutenu par les militaires au cours d’une élection où tous les autres candidats s’étaient retirés. Il est lié étroitement aux groupes les plus riches de la bourgeoisie algérienne ainsi qu’aux sections dominantes de l’Etat algérien et de l’appareil militaire. Le FCE (Forum des chefs d’entreprise), l’association du patronat algérien, a soutenu sa campagne électorale.

Depuis qu’il est arrivé au pouvoir en 1999 avec la promesse de mettre un terme à une guerre civile sanglante, il a mis en oeuvre un progamme destiné à créer des conditions permettant au capital international d’investir en Algérie, ainsi que le demandaient les principaux pays impérialistes. Cela signifiait un démantèlement supplémentaire de l’industrie d’Etat qui, avec l’agriculture, avait été nationalisé après l’indépendance.

Cette tendance fut en partie inversée au cours des 18 derniers mois. De récentes lois exigent que tout investissement étranger en Algérie ait un partenaire algérien détenant une part majoritaire. Toutes les sociétés qui importent doivent avoir au moins 30 pour cent de participation algérienne.

Les dures conditions de vie de la classe ouvrière et des paysans pauvres algériens se sont encore aggravées. Les salaires sont extrêmement bas et le chômage a encore augmenté. Les tensions sociales ont explosé de façon répétée comme au cours du « Printemps noir » de 2001-2002 en Kabylie au cours duquel 90 Berbères kabyles ont été tués et 5000 blessés.

Bouteflika s’est servi des prix élevés du pétrole de la récente période pour réduire la dette extérieure et créer d’importantes réserves d’or et de devises étrangères. Un argent qui ne fut jamais utilisé pour améliorer le sort de la population algérienne. Bouteflika a fait un certain nombre de promesses concernant le logement social et le chômage durant sa campagne électorale, mais il a surtout annoncé un plan de 150 milliards de dollars d’amélioration de l’infrastructure et d’encouragement à l’investissement étranger. Il a aussi annoncé un triplement du budget de l’armée qui passerait de 2,5 à 6,25 milliards de dollars.

Bouteflika a reçu de chaleureuses et amicales félicitations de la part du  président français Nicolas Sarkozy qui s’est dit « attaché à la construction d’un partenariat d’exception entre la France et l’Algérie ». La France, l’ancienne puissance coloniale en Algérie, considère toujours le bassin méditerranéen comme son arrière-cour et le projet d’une union économique avec les pays producteurs de gaz naturel et de pétrole de cette région, comme l’Algérie, est au coeur de ce projet.

Le FLN était la colonne vertébrale de l’Etat à parti unique après l’indépendance obtenue en 1962 mais il commença à perdre le contrôle du pays à la suite de la crise économique déclenchée par la forte chute des prix du pétrole au début des années 1980. L’Algérie dépend encore pour 98 pour cent de ses recettes externes des exportations de pétrole et de gaz naturel. Le gouvernement se tourna vers le FMI (Fonds monétaire international) afin d’obtenir un prêt en 1988 et fut obligé d’effectuer un programme de restructuration aboutissant à la privatisation et à la dérèglementation de l’économie. Le mécontentement ouvrier augmenta et 500 ouvriers furent tués au cours d’une vague de protestations.

Aux élections législatives de 1991, le FIS (Front isamlique de salut) obtint 188 sièges et 82 pour cent du vote populaire, réduisant le FLN à 15 sièges. Ayant tout d’abord été actif parmi les étudiants, le FIS s’était constitué une base solide parmi les pauvres à travers un travail caritatif étendu.

L’armée intervint, dissout le parlement et interdit le FIS en 1992, installant une junte militaire sous la direction des généraux Khaled Nezzar et Mohamed Lamari. Le FIS fut poursuivi ainsi que toute autre opposition, conduisant au massacre de 200.000 civils en l’espace de sept années. Le FIS fut lui-même manipulé par les services secrets gouvernementaux (DRS) qui incitèrent le GIA, le mouvement de guérilla du FIS, à commettre des atrocités terroristes afin de justifier le règne dictatorial des militaires.

Bouteflika fut appelé à prendre les rênes par les militaires en 1999 et il mit en oeuvre la loi de réconciliation nationale, exonérant l’armée de toute responsabilité et déclarant une amnistie pour le FIS.

L’élite dirigeante prétend à présent être capable de conduire le pays hors de la crise économique mondiale en se basant sur un virtuel monopole d’Etat du système bancaire et sur la possession des troisièmes réserves de pétrole en importance de l’Afrique. Cependant, la dépendance pétrolière de l’économie, une ressource dont le prix a chuté dû à la récession mondiale, remet en question les dépenses prévues pour le programme de travaux publics. Le chômage représente 11,3 pour cent des 10 millions d’actifs et atteint 75 pour cent chez les moins de trente ans.

Dans cette situation, Bouteflika, le FLN et les militaires ne rencontrent aucune opposition de la part des partis de gauche ou des syndicats.

L’UGTA (Union générale des travailleurs algériens) a soutenu Bouteflika en 1999, en 2004 et dans la dernière campagne électorale.

Le PT dont la candidate Louisa Hanoune est arrivée seconde et qui a 26 députés au parlement a voté en faveur de l’amendement à la constitution voulu par Bouteflika et lui permettant de briguer un troisième mandat. Pendant la campagne électorale, Hanoune a dénoncé les partis ayant boycotté l’élection. Elle affirma que l’amendement à la constitution apportait « plus de démocratie ».

Le PT est une organisation nationaliste petite-bourgeoise, affiliée à l’Entente internationale des travailleurs et des peuples qui se trouve sous la direction politique du POI en France (Parti ouvrier indépendant, l’ancien PT de Pierre Lambert).

La charte du PT déclare qu’il « inscrit son action dans la continuité du mouvement national algérien… Il combat contre toute loi et accord qui remet en cause l’unité de la République, la législation sociale nationale ou qui menace la production nationale industrielle et agricole. »

Le discours nationaliste du PT avec son appel à une « souveraineté nationale entière sur nos richesses naturelles » et son « rapatriement de nos soldes en devises déposés à l’étranger afin de les protéger de la crise qui secoue l’économie mondiale et les utiliser dans le cadre d’une politique économique nationale que nous définirons en fonction de nos besoins nationaux » ne le distingue pas du FLN.

En 1995, le PT fut signataire d’un document discuté entre des partis d’opposition de droite et de gauche réunis en Italie sous les auspices de la communauté catholique de Sant’Egidio. Ce document appelait à des négociations autour d’un « contrat national » et pour la non-ingérence de l’armée dans la politique. Rejetant explicitement une lutte révolutionnaire contre les militaires et acceptant la préservation des rapports de propriété capitaliste, ce document appelait au « rejet de la violence pour accéder ou se maintenir au pouvoir, [au] respect de l’alternance politique à travers le suffrage universel et [à la] consécration du multipartisme. »

Les militaires rejetèrent l’appel sans autre forme de procès.

Article original, WSWS, publié le 1er mai 2009.

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