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L’Éducation et la Santé au Honduras: la voie de la privatisation
Par Christine Gillard
Mondialisation.ca, 10 juin 2019
Journal notre Amérique 5 juin 2019
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/leducation-et-la-sante-au-honduras-la-voie-de-la-privatisation/5634269

Depuis le 26 avril 2019, le Honduras connaît un mouvement de grèves et de protestations des enseignants, étudiants et lycéens ainsi que des travailleurs de la Santé. Les fonctionnaires et plus largement les usagers des services publics, demandent l’abrogation des décrets PCM 026-2018 et PCM 027-2018 mettant en place une Commission spéciale pour la Transformation des Ministères de la Santé et de l’Éducation, dans le cadre de l’application de la Loi de Restructuration et Transformation du Système National de l’Éducation et de la Santé. La mobilisation est très importante dans tout le pays car il s’agit de l’avenir de deux secteurs clés de la société mis en cause par le choix ultra libéral du Gouvernement de Juan Orlando Hernández (JOH).

Dix années d’ultra-libéralisme

Depuis les années 1990, le Honduras est soumis à une réorganisation administrative consistant en un désengagement de l’État concernant les services publics. Tout d’abord l’État a procédé à une décentralisation, qui aurait pu permettre une prise en charge du développement social par les Territoires au plus près des besoins des usagers. Mais la situation politique en a décidé autrement. La crise institutionnelle sous la présidence de gauche de Zelaya a abouti à un coup d’état en 2009. Le Président auto-proclamé Juan Orlando Hernández, soutenu par les États-Unis d’Amérique, reconnu par la communauté internationale est un ultra libéral. Des élections frauduleuses lui ont permis d’être réélu en novembre 2017.

Le Honduras s’enfonce dans une crise sociétale profonde. C’est un des pays les plus violents de la région. Toute opposition est réprimée par une police nationale violente. Le phénomène des marass’est développé, en relation avec le narcotrafic. Ces délinquants forment des gangs ultra violents, qui recrutent parmi les jeunes sans formation et sans avenir. Le taux d’homicides atteint des sommets : 93,11 /100.000 en 2011; 63,8/100.000 en 2015. Pris entre extrême pauvreté et extrême violence, sans aucune perspective de changement politique, économique et social, les Honduriens partent de manière isolée depuis une décennie mais le nombre des départs croît de manière considérable à partir de 2014, atteignant son paroxysme fin 20181.

L’État hondurien est un état faible et corrompu. Les investissements dans l’Éducation et la Santé sont parmi les plus bas des pays de l’Amérique centrale. Concernant l’enseignement, l’État consacre à peine mille dollars par an par enfant, quand les pays de l’OCDE en consacrent dix mille. Les dépenses publiques en matière d’éducation ne représentent que 6% du PIB. Aujourd’hui encore on recense 4.500 écoles qui ne comportent qu’une seul classe, avec un seul maître pour les six niveaux que comprend l’enseignement primaire obligatoire. Plus encore, les conditions matérielles sont déplorables : 75% des écoles sont en très mauvais état, voire détruite en partie, n’assurant pas le couvert, sans eau et sans latrines. Cette situation est particulièrement fréquente dans les zones rurales. J’ai visité des écoles dans le Olancho, dans un rayon d’une dizaine de kilomètres de La Union, petite ville de cinq mille habitants. Une école desservait plusieurs hameaux dont elle était à égale distance, en pleine campagne.Une classe unique, une jeune maîtresse. Pour tout mobilier un petit tableau et deux bancs pour les élèves. Les bancs étaient de chaque côté le long du mur pour éviter la pluie qui tombait par le toit crevé. Le champ pour tout sanitaire. Une autre école, dans un village, en meilleur état mais fermée par manque d’enseignant.

Si le second degré semble moins démuni, c’est que les collèges se trouvent en zone urbaine. Mais très peu d’élèves y accèdent, environ 29%, par manque de transport et parce que la gratuité n’y est pas assurée : uniforme, fournitures, cantine.

La situation des hôpitaux publics est tout aussi préoccupante. Non seulement le nombre d’établissements est très insuffisant mais les conditions matérielles y sont des plus précaires. On note même des établissements où l’eau et l’électricité font défaut, même dans les salles d’opération.

Depuis longtemps déjà des cliniques privées proposent leurs services aux patients les plus aisés. Des fondations, américaines la plupart du temps, financent des cliniques dans les zones rurales et péri-urbaines, avec des coûts accessibles à la classe moyenne. Par exemple, dans la ville de La Union, déjà citée, il existe une clinique américaine située en périphérie, proposant des soins courants dans des conditions techniques et d’hygiène normales, pour une clientèle de salariés moyens. Dans la ville même il existe un dispensaire public : deux grandes pièces ayant en tout et pour tout qu’une armoire (vide), un fauteuil, un lavabo, et pas de personnel !

Une réforme éducative inexistante

Une Loi fondamentale a été votée en 2014. L’application de cette Loi suscite des débats dans la communauté éducative :

  • l’obligation de scolarisation en dernière année de maternelle alors que cette obligation scolaire ne peut pas être respectée par manque de moyens : selon l’UNICEF 78.000 enfants d’âge pré-scolaire ne sont pas scolarisés. Dans le même temps,2,5 millions d’enfants d’âge scolaire ne sont pas scolarisés.

  • La gratuité depuis la dernière année de maternelle jusqu’à la fin de l’école élémentaire contenue dans la loi n’a pas de réalité dans les faits, puisque les écoles participant à l’opération gratuité n’ont pas reçu les fonds nécessaires du ministère, lequel a alors suspendu l’opération !

  • La décentralisation de la gestion des personnels au niveau départemental, ne garantit plus le paiement des salaires, ni leur niveau, lorsque l’État « oublie » de transférer les fonds nécessaires.

  • Les bourses, pourtant prévues dans la loi, ont été suspendues sans préavis ni avis.

  • La suppression d’un niveau d’enseignement dans l’école élémentaire. En fait, de cette manière, il y a toujours 9 années, en comptant l’année pré-scolaire.

  • Le baccalauréat est réformé. Disparaissent le Bac Lettres et le Bac Sciences regroupés en Sciences et Humanité, ainsi que les bacs de spécialités professionnelles, en particulier celui préparé par les futurs étudiants des Ecoles Normales d’Instituteurs, lesquelles sont supprimées.

De fait, le secteur éducatif public ne s’est pas donné les moyens d’assurer la scolarisation de tous les enfants d’obligation scolaire entre 5 et 14 ans, ni l’accès au secondaire pour les enfants de 15 à 17 ans. Le décalage est flagrant entre les intentions contenues dans la Loi et la réalité de son application par le Ministère.

 Une réponse libérale

La seule réponse de l’État à ces critiques et aux manifestations qui commencent le 26 avril est la promulgation le 30 avril 2019 de deux décrets : PCM 026-2018 et PCM 027-2018. C’est une procédure d’urgence qui évite le débat au Congrès puisque les décrets émanent directement de la Présidence du Conseil des Ministres. C’est une procédure prévue en cas de guerre, d’épidémie ou….de troubles. Les décrets d’urgence ont une durée d’application de deux ans, prolongeables indéfiniment, pendant lesquels les personnels fonctionnaires peuvent être licenciés et les services transférés au privé.

Les décrets en question prévoient la création d’une Commission Spéciale pour la Transformation du Système National de l’Éducation et une Commission Spéciale pour la Transformation du Système National de la Santé. Les objectifs sont de transformer totalement ces deux secteurs, c’est-à-dire de réorganiser l’administration de la Santé et de l’Éducation, d’élaborer un nouveau modèle de prestation de services, d’établir des mécanismes d’articulation et de collaboration avec la coopération nationale et internationale, selon les termes officiels.

L’État se désengageant il permet aussi à d’autres acteurs de prendre la responsabilité de former la jeunesse hondurienne : les Départements n’en ayant pas les moyens, c’est le secteur privé qui s’engouffre dans la brèche.

Par exemple l’État n’a construit aucune classe supplémentaire pour appliquer la scolarisation obligatoire à 5 ans. Le privé en a profité pour s’implanter dans le secteur pré-scolaire, par l’intermédiaire d’une fondation, la FICOSHA qui agit en partenariat avec d’autres grands groupes nord-américains.

L’école privée entre en compétition avec l’école publique quant à la gratuité. D’abord parce que le Public ne respecte pas cette gratuité et ensuite parce que le Privé implante des écoles à coûts très accessibles dans les quartiers populaires des grandes villes comme Tegucigalpa et San Pedro Sula. La fracture entre privé et public va s’accentuer au niveau de l’école élémentaire mais aussi dans l’enseignement secondaire. Le secteur privé construit des établissements secondaires dans les zones rurales déficitaires et dans les zones urbaines défavorisées, privilégiant l’enseignement manuel et technique et par là même l’inégalité des chances et la reproduction sociale.

Par ailleurs le secteur public ne garantissant plus le statut de fonctionnaire des personnels en embauchant des personnels avec des contrats de droit privé, cela permet ainsi une flexibilité et un moindre coût concernant les salaires et les retraites.

Les parents, comme les patients, se transforment en clients, pouvant évaluer le personnel, par exemple au moyen d’applications sur les smartphones.

La privatisation rampante est devenue un projet de société, commandité par les Organisations Internationales (FMI) et le gouvernement des États-Unis d’Amérique dont est totalement redevable l’actuel Président du Honduras.

 La mobilisation

En 2016 un syndicat voit le jour pour veiller à l’application de la Loi fondamentale Éducative. Ses principaux objectifs sont de défendre l’école publique, laïque et de qualité, participer à la recherche de solutions, coopérer avec l’État pour améliorer et démocratiser l’éducation nationale. Il s’agit du Colegio Profesional Superación Magisterial Hondureño.

En 2017 il tire la sonnette d’alarme lors d’une conférence de presse, dénonçant les manquements de l’État quant à l’application de la Loi éducative, rappelant le manque de classes, d’écoles et d’enseignants et leur absence de formation en particulier en informatique et en anglais pour le secondaire. Il dénonce également le non respect des garanties contenues dans la Loi concernant le statut des enseignants.

En avril 2019 trois experts en Éducation publient un rapport, commandité par l’Internationale de l’Éducation, intitulé « La Educación en Honduras, entre la privatización y la globalización » (L’Éducation au Honduras, entre privatisation et globalisation). Il s’agit d’un rapport de 98 pages qui analyse en profondeur les stratégies du gouvernement hondurien, dictées par les acteurs non gouvernementaux, dans un contexte d’indigence de cet État (à télécharger sur le site https://issuu.com/educationinternational/docs/2019_ei-research_privatisation_hond).

Le 26 avril commencent les premières manifestations d’enseignants, étudiants et personnels de santé. Après la promulgation des décrets, les personnels descendent dans la rue pour demander leur abrogation, puis ils font grève le 20 mai. Á partir du 23 mai commence une grève générale, avec des manifestations dans les rues de la capitale et des grandes villes de province. La répression se met en place.

 Un projet global

Ce qui se passe au Honduras est très représentatif du mouvement libéral globalisé qui affecte tous les continents. En Europe les recommandations de l’OCDE en matière de services publics vont dans le sens d’une ouverture au secteur privé, avec les valeurs de rentabilité propres à ce secteur. Les États sont sommés de faire des réformes structurelles, en particulier dans les secteurs de la santé et de l’Éducation, dont les budgets sont élevés, par l’importance de la masse salariale. Des outils sont mis en place pour favoriser la privatisation qui, de rampante, se généralise: suppression des concours de recrutement de la Fonction publique, fermeture des Grandes Écoles Nationales, contractualisation des personnels…

Finalement le concept de « service public » est remplacé peu à peu par celui de « services au public ».

Christine Gillard

Note :

1 . Christine Gillard « Migration de masse au Honduras », Journal Notre Amérique décembre 2018.

Références :

https:/www.wsws.org/fr/articles/2019/05/06/hond-m06.html

https://www.wsws.org/fr/articles/2019/06/01/hond-j01.html

Photo en vedette : Sixième jour de grève nationale, Tegucigalpa, 4 juin 2019 (Giorgio Trucchi)

Source : Journal Notre Amérique n° 44, juin 2019

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