L’élite américaine se bat pour sa licence des guerres sans fin
Le Congrès américain discute de la réforme autorisant l’emploi de la force militaire, adoptée il y a une vingtaine d’années. Bien que le document soit devenu une relique de l’invasion de l’Irak, l’élite américaine ne souhaite pas voir son annulation ni la fin des opérations militaires à l’étranger.
Un riche débat sur le principal élément législatif de toute intervention américaine à l’étranger, avec l’Autorisation de l’usage de la force militaire (Authorization for Use of Military Force, AUMF), s’est déroulé au sein de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants des États-Unis. S’exprimant lors d’une audience spéciale pour examiner le document, adopté il y a environ 20 ans lors des préparatifs procéduraux de l’invasion américaine de l’Irak, des responsables de l’administration du président Joe Biden ont présenté leur vision pour y mettre des changements possibles.
Le point clé de la vision de la Maison Blanche est la nécessité de déléguer au président un pouvoir large et illimité pour recourir à la force à l’étranger. Les responsables de l’administration Biden expliquent cette ligne comme une lutte contre Daesh, al-Qaïda et des groupes terroristes sur le continent africain. Cependant, ces responsables ont échoué à dissimuler leur grande envie de réduire la liste des groupes terroristes contre lesquels l’AUMF opère. Parmi eux se trouve le mouvement taliban qui contrôle l’Afghanistan.
Pour les États-Unis les talibans ne sont pas des terroristes comme Al-Qaïda et Daesh. «Nous ne pensons pas non plus qu’il soit nécessaire d’inclure les talibans dans la nouvelle ou mise à jour de l’ AUMF. Les États-Unis ne sont actuellement pas impliqués dans la lutte contre les talibans, ont déclaré des responsables militaires dans une déclaration commune soumise au Congrès. «Les dirigeants talibans se sont engagés à prendre des mesures contre les terroristes opérant en Afghanistan – conformément à leurs engagements de Doha – et nous constatons effectivement leur capacité accrue à cet égard», écrivent-ils affirmant que «l’AUMF actuelle a permis notre campagne persistante contre les organisations terroristes depuis plus de deux décennies. Cette persévérance est un élément clé de notre succès de la stratégie globale dans la lutte contre Al-Qaïda et l’EI». Mais, la proposition d’expulser les talibans de la liste des cibles potentielles a suscité de nombreuses critiques de la part des législateurs qui semblent réticents à réduire la concentration opérationnelle sur le théâtre d’opérations afghan.
«Si les talibans respectaient réellement leurs obligations en matière de lutte contre le terrorisme, ils s’efforceraient de vaincre Al-Qaïda au lieu de les payer, de les protéger et de les employer», a lancé le président de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, McCaul. «Je crains grandement que l’administration Biden tente de cacher ce fait au peuple américain afin que les talibans puissent être exclus d’un futur AUMF dans le cadre d’un effort plus large visant à normaliser les relations avec eux. Et je ne resterai pas les bras croisés et leur permettrai de faire cela», a-t-il dénoncé.
McCall n’a pas exclu que la Maison Blanche s’oriente progressivement vers normalisation des contacts bilatéraux avec Kaboul. Le chef de la commission des Affaires étrangères ne décolère pas car il s’insurge, aussi, contre les affirmations de Victoria Nuland: «Il est tout à fait inexact de la part du sous-secrétaire par intérim Nuland d’affirmer que les talibans ne ciblent pas les Afghans qui ont aidé les États-Unis – ce que l’administration Biden a abandonné en 2021». «Il existe des milliers d’actes de violence confirmés contre les alliés afghans, dont beaucoup ont été commis, comme des assassinats», martèle-t-il, dénonçant les mensonges du pouvoir actuel des États-Unis: «Une fois de plus, l’administration Biden ment au peuple américain sur les destructions qu’il a causées en Afghanistan. C’est honteux», a-t-il conclu. La secrétaire d’État adjointe Victoria Nuland a osé exprimer des doutes sur le fait que les talibans nuisent aux Afghans qui avaient auparavant collaboré avec l’armée américaine.
En fait, le débat sur l’abrogation ou la mise à jour des paramètres de l’AUMF fait rage à Washington depuis ses premières années. En 2002, l’adoption de ce document par le Congrès a donné au président George W. Bush le pouvoir d’intervenir en Irak. «À la fin de son mandat, George Bush a commencé à s’attaquer aux défis inhérents à la position des États-Unis en tant que seule superpuissance dans un monde d’après-guerre froide», rappelle Common Dreams. Si certains représentants du pouvoir législatif ne s’opposent pas au maintien de l’état actuel des choses (une base large et indéterminée pour les opérations militaires à l’étranger), une autre partie prétend au moins être prête à faire des compromis et des réformes.
Le récent débat au sein de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants s’est concentré, entre autres, sur la validité du document, que les militants occidentaux des droits de l’homme qualifient depuis plusieurs années comme d’un «permis pour une guerre sans fin». Le député républicain, Ken Buck, qui dirige un groupe d’étude bipartisan sur la réforme de l’AUMF, a insité pour dire que le nouveau texte devrait explicitement préciser un délai, lui permettant de réévaluer continuellement la nécessité de recourir à la force et donnant au Congrès une «fonction utile» d’application.
La controverse est, également, suscitée par la liste des groupes contre lesquels la partie américaine estime avoir le droit de lancer des frappes militaires. Alors que McCaul et ses collègues républicains plaident en faveur d’une version actualisée de l’AUMF sur les talibans, le député démocrate Gregory Meeks, par exemple, a proposé que le projet de loi modernisé se limite à couvrir uniquement Al-Qaïda, Daesh, ainsi que leurs supporters dans différentes régions géographiques et sous-régions.
La question de savoir si l’AUMF devrait être étendue aux milices chiites en Syrie et en Irak, qui, selon les responsables américains, sont soutenues par les autorités iraniennes, reste en suspens.
En outre, dans un contexte de tensions autour de la bande de Gaza, on demande de plus en plus aux responsables de la Maison Blanche si des mouvements tels que le Hamas qui lutte contre l’occupation sioniste, ou le Hezbollah, pourraient être inclus dans la liste de l’AUMF. Cependant, les responsables de l’administration Biden ont répondu en arguant que selon l’interprétation actuelle du document, les États-Unis ne ciblent que les organisations que les services juridiques gouvernementaux ont identifiées comme des «adeptes» ou des «successeurs» d’Al-Qaïda.
L’approche de l’administration Biden face au phénomène AUMF est fondamentalement différente de celle de l’équipe de Barack Obama. Dans un discours de 2013, l’ancien président Obama a promis qu’il «ne signerait pas de loi qui élargirait davantage» le mandat de l’AUMF et a souligné que toutes les guerres devaient prendre fin. Les ambitions guerrières évidentes des responsables de l’actuel pouvoir exécutif rappellent davantage ce que pratiquait autrefois l’équipe du prédécesseur républicain Donald Trump.
Philippe Rosenthal