L’empire anglo-nazi qui a failli voir le jour
En août 1938, des industriels britanniques ont secrètement rencontré Göring pour sceller un accord. Londres avait déjà, en coulisses, fait une offre officielle de “coopération” à l'Allemagne nazie.

À l’approche du jour de la Victoire en Europe, les responsables occidentaux, les experts et les journalistes cherchent tous à exploiter le 80e anniversaire de la défaite du nazisme à des fins politiques. Les dirigeants européens ont menacé de représailles les chefs d’État qui ont prévu d’assister au grand défilé de la victoire organisé par la Russie le 9 mai. Parallèlement, d’innombrables sources établissent des comparaisons historiques entre l’apaisement de l’Allemagne nazie dans les années 1930 et les efforts continus de l’administration Trump pour conclure un accord avec Moscou afin de mettre fin au conflit par procuration en Ukraine.
Comme l’a écrit en mars The Atlantic, “Trump offre à Poutine un autre Munich”, en référence aux accords de Munich de septembre 1938, par lesquels les puissances occidentales, menées par la Grande-Bretagne, ont cédé une grande partie de la Tchécoslovaquie à l’Allemagne nazie. Lesprincipaux récits sur l’apaisement affirment que cet accord a représenté l’apothéose de cette politique, son acte final, qui, croyait-on, allait satisfaire définitivement les ambitions expansionnistes d’Adolf Hitler, mais qui a en réalité permis le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.
L’apaisement est aujourd’hui universellement accepté en Occident comme un effort bien intentionné, mais finalement catastrophique et malavisé, visant à éviter un autre conflit mondial avec l’Allemagne, au nom de la paix. Selon cette interprétation, les gouvernements européens ont fait certaines concessions à Hitler, tout en fermant les yeux sur les violations flagrantes du Traité de Versailles de l’après-Première Guerre mondiale, telles que la création de la Luftwaffe en février 1935 et l’occupation militaire de la Rhénanie par l’Allemagne nazie en mai de l’année suivante.
En réalité, du point de vue de la Grande-Bretagne, les accords de Munich n’étaient que l’étape initiale d’un processus plus large devant aboutir à un “partenariat politique mondial” entre Londres et Berlin. Deux mois auparavant, la Fédération des industries britanniques (FBI), aujourd’hui connue sous le nom de Confédération de l’industrie britannique, a pris contact avec son homologue nazie, la Reichsgruppe Industrie (RI). Les deux organisations se sont empressées de convenir que leurs gouvernements respectifs engageraient des négociations officielles sur l’intégration économique anglo-allemande.
Les représentants de ces organisations se sont rencontrés en personne à Londres le 9 novembre de la même année. Le sommet s’est déroulé comme prévu, et une conférence officielle a été programmée à Düsseldorf pour le mois de mars suivant. Coïncidence, le soir même à Berlin, la Nuit de cristal éclatait, les paramilitaires nazis incendiant et détruisant les synagogues et les commerces juifs dans toute l’Allemagne. Le pogrom le plus tristement célèbre de l’histoire n’a pas empêché la poursuite des discussions et réunions entre les représentants de la FBI et de la RI. Un mois plus tard, ils signaient un accord officiel sur la création d’un cartel international anglo-nazi du charbon.
Les responsables britanniques ont pleinement approuvé cette relation naissante, estimant qu’elle constituerait une base essentielle pour une future alliance avec l’Allemagne nazie dans d’autres domaines. De plus, on espérait que les prouesses industrielles et technologiques de Berlin redynamiseraient l’économie britannique, tant au niveau national que dans tout l’Empire, qui accusait un retard de plus en plus criant face à la puissance montante des États-Unis. En février 1939, des représentants du gouvernement et de l’industrie britanniques se sont rendus à Berlin pour festoyer avec de hauts responsables nazis, en prévision de la conférence conjointe prévue le mois suivant.
Alors que les représentants du FBI se préparaient à partir pour Düsseldorf en mars, le chef du cabinet britannique Walter Runciman, fervent partisan de l’apaisement et principal architecte du démantèlement de la Tchécoslovaquie, a déclaré : “Messieurs, la paix en Europe est entre vos mains”. Ironie du sort, la délégation arriva le 14 mars, alors que le président tchécoslovaque Emil Hácha était à Berlin pour rencontrer Hitler. Face à deux options, soit autoriser librement l’entrée des troupes nazies dans son pays, soit voir la Luftwaffe réduire Prague en cendres avant une invasion totale, il fut victime d’une crise cardiaque.
Après avoir retrouvé ses esprits, Hácha a choisi la première option. La conférence de Düsseldorf a commencé le lendemain matin, tandis que les chars nazis envahissaient sans encombre ce qui restait de la Tchécoslovaquie. Dans ce contexte tragique, une déclaration en 12 points a été élaborée par le FBI et le RI. Elle prévoyait “un partenariat économique mondial entre les milieux d’affaires” de Berlin et de Londres. En août de la même année, des représentants du FBI rencontrèrent secrètement Herman Göring pour sceller l’accord. Entre-temps, le gouvernement britannique avait, par des voies détournées, fait une offre officielle de “coopération” à grande échelle avec l’Allemagne nazie.
“Un partenariat politique”
En avril 1938, le diplomate expérimenté Herbert von Dirksen fut nomméambassadeur de l’Allemagne nazie à Londres. National-socialiste convaincu et antisémite virulent, il nourrissait également une haine viscérale envers les Polonais, qu’il considérait comme des sous-hommes, et soutenait avec enthousiasme l’extermination totale de la Pologne. Néanmoins, grâce à sa maîtrise de l’anglais et à ses manières aristocratiques, il sut charmer les fonctionnaires et les citoyens britanniques, et fut largement perçu localement comme un représentant respectable de l’Allemagne nazie.
Plus important encore, Dirksen, à l’instar de nombreux éléments puissants de l’establishment britannique, était convaincu que non seulement la guerre pouvait être évitée, mais que Londres et Berlin pourraient au contraire forger une alliance économique, militaire et politique mondiale. Il passa les 18 mois passés en Grande-Bretagne avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale à travailler sans relâche pour atteindre ces objectifs, en établissant et en maintenant des lignes de communication entre les fonctionnaires et les décideurs des deux pays, tout en tentant de négocier des accords.
Dirksen a publié un mémoire officiel en 1950, détaillant sa longue carrière diplomatique. Cependant, des informations beaucoup plus révélatrices sur la période qui a immédiatement précédé la Seconde Guerre mondiale et les efforts déployés en coulisses pour parvenir à une détente durable entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne nazie figurent dans les Dirksen Papers, un document en deux volumes pratiquement inconnu publié sans son consentement par la Foreign Languages Publishing House de l’Union soviétique. Ils contiennent des communications privées adressées à Dirksen et émanant de lui, des extraits de son journal intime et des notes rédigées à son usage personnel et jamais destinées à être rendues publiques.
Documents et matériaux relatifs à la veille de la Seconde Guerre mondiale (21,6 Mo ∙ Fichier PDF) Télécharger
Les documents proviennent d’une vaste collection trouvée par l’Armée rouge après avoir pris le contrôle de Gröditzberg, un château appartenant à Dirksen où il a passé la majeure partie de la Seconde Guerre mondiale. Les historiens traditionnels n’ont manifestement pas utilisé les Dirksen Papers. S’il s’agit d’une décision délibérée, car ces révélations fracassantes remettent en cause le récit occidental établi de la Seconde Guerre mondiale, et dévoilent de nombreux secrets que le gouvernement britannique souhaite garder enfouis à jamais, la question reste ouverte.
Immédiatement après le début de la Seconde Guerre mondiale, Dirksen s’est senti “tenu” de rédiger une analyse détaillée de l’échec des tentatives de paix de la Grande-Bretagne envers l’Allemagne nazie, et de sa propre responsabilité dans cet échec. Il se sentait d’autant plus tenu de le faire que “tous les documents importants” de l’ambassade de Berlin à Londres ont été brûlés après la déclaration de guerre officielle de la Grande-Bretagne le 3 septembre 1939. En revenant sur son expérience, Dirksen a évoqué “l’aspect tragique et déterminant de la montée de cette nouvelle guerre anglo-allemande” :
“L’Allemagne voulait être considérée comme une puissance mondiale au même titre que la Grande-Bretagne… La Grande-Bretagne était disposée, en principe, à lui accorder cette place. Mais alors que l’Allemagne a exigé que ses revendications soient immédiatement, complètement et inconditionnellement satisfaites, la Grande-Bretagne, bien que prête à renoncer à ses engagements à l’Est, [et] à accorder à l’Allemagne une position prépondérante en Europe orientale et du Sud-Est, et à discuter d’un véritable partenariat politique mondial avec l’Allemagne, a souhaité que cela ne se fasse que par la voie de négociations et d’une révision progressive de la politique britannique”.
“La réponse allemande”
Du point de vue de Londres, déplorait Dirksen, ce changement radical de l’ordre mondial “ne pouvait être mis en œuvre qu’en quelques mois, pas en quelques jours ou quelques semaines”. Un autre obstacle majeur fut les “garanties” donnée par la Grande-Bretagne et la France de défendre la Pologne en cas d’attaque par l’Allemagne nazie, en mars 1939. Ce positionnement guerrier, associé aux discours belliqueux du Premier ministre Neville Chamberlain, était en totale contradiction avec les négociations menés en parallèle, notamment à Düsseldorf, et avec les positions et déclarations privées des responsables britanniques à leurs homologues nazis.
Quoi qu’il en soit, il semble que Londres a immédiatement regretté son engagement à défendre la Pologne. Dirksen rapporte dans son analyse rétrospective que de hauts responsables britanniques lui ont ensuite confié rechercher
“une entente anglo-allemande” qui “rendrait caduque la politique de garanties de la Grande-Bretagne” et “permettrait à Londres de se désengager de sa position délicate vis-à-vis de la Pologne”, qui serait alors “livrée seule à l’Allemagne”.
À la mi-juillet 1939, Horace Wilson, un fonctionnaire extrêmement puissant et bras droit de Chamberlain, contacta Helmuth Wohlthat, l’assistant en chef de Göring, durant une visite à Londres. Wilson lui “exposa un programme d’ajustement global des relations anglo-allemandes”, qui consistait en une refonte radicale des “arrangements politiques, militaires et économiques” des deux pays. Étaient inclus un “pacte de non-agression”, visant explicitement à mettre fin aux “garanties” données par la Grande-Bretagne à Varsovie. Dirksen nota :
“L’objectif sous-jacent de ce traité était de permettre aux Britanniques de se désengager progressivement de leurs obligations envers la Pologne, au motif qu’ils avaient […] obtenu de l’Allemagne qu’elle renonce à toute forme d’agression”.
Par ailleurs, des propositions “globales” de coopération économique ont été esquissées, avec la promesse de
“négociations… sur les questions coloniales, l’approvisionnement de l’Allemagne en matières premières, l’arbitrage des marchés industriels, les questions de dette internationale et l’application du principe de la nation bénéficiaire” (la clause de la nation la plus favorisée).
En outre, un réalignement des “pôles d’intérêt des grandes puissances”aurait été discuté, ouvrant la voie à une nouvelle expansion territoriale nazie. Dirksen précisait que ces grands projets ont été pleinement approuvés au plus haut niveau du gouvernement britannique :
“L’importance des propositions de Wilson est démontrée par l’invitation adressée par celui-ci à Wohlthat pour les faire confirmer par Chamberlain en personne”.
Durant son séjour à Londres, Wohlthat a aussi longuement discuté avec le secrétaire au Commerce extérieur Robert Hudson, qui lui a fait savoir que “trois grandes régions offraient aux deux nations un immense bassin d’activité économique”. Il s’agissait de l’Empire britannique existant, de la Chine et de la Russie. “Un accord était possible, comme dans d’autres régions”, notamment les Balkans, où “l’Angleterre ne nourrissait aucune ambition économique”. En d’autres termes, la Yougoslavie, riche en ressources, serait livrée à l’Allemagne nazie, en vertu des termes d’un “partenariat politique mondial” avec la Grande-Bretagne.
Dirksen a résumé le contenu des discussions de Wohlthat avec Hudson et Wilson dans une note interne “strictement confidentielle”, soulignant avec enthousiasme que
“l’Angleterre ne pouvant à elle seule gérer correctement son vaste empire, il serait tout à fait envisageable que l’Allemagne s’en voie attribuer une part non négligeable”.
Un télégramme envoyé à Dirksen par le ministère allemand des Affaires étrangères le 31 juillet 1939 indique que Wohlthat avait informé Göring des propositions secrètes de la Grande-Bretagne, qui à son tour en avait informé le ministre nazi des Affaires étrangères Joachim von Ribbentrop.
Dirksen nota ailleurs que Wohlthat avait spécifiquement demandé aux Britanniques comment de telles négociations “pourraient être concrétisées”. Wilson lui a répondu que “l’essentiel” était qu’Hitler “fasse connaître sa volonté” en autorisant officiellement un haut fonctionnaire nazi à discuter du “programme”. Wilson
“a en outre vivement souligné le grand intérêt que le gouvernement britannique accordait à la réponse allemande” à ces offres, et a précisé que Londres “considérait que la guerre était la seule alternative”.
“Régimes autoritaires”
Apparemment, la “réponse” n’est jamais arrivée. Le 1er septembre 1939, l’Allemagne nazie envahissait la Pologne, la Grande-Bretagne déclarait la guerre à l’Allemagne deux jours plus tard, et le reste appartient à l’histoire – une histoire qui fait toutefois l’objet de dissimulations délibérées, de réécritures constantes et de distorsions intentionnelles. Les sondages réalisés auprès des citoyens européens au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ont montré que le public était convaincu que l’Armée rouge était la principale responsable de la destruction de l’Allemagne nazie, tandis que la Grande-Bretagne et les États-Unis étaient perçus comme jouant un rôle secondaire.
Par exemple, en 1945, 57 % des Français ont estimé que c’est Moscou qui a “essentiellement contribué à la défaite de l’Allemagne en 1945”, contre seulement 20 % pour les États-Unis et 12 % pour la Grande-Bretagne. En 2015, moins d’un quart des sondés reconnaissaient le rôle de l’Union soviétique, 54 % estimant que les États-Unis ont été le grand vainqueur du nazisme. Par ailleurs, un sondage réalisé en juin 2024, à l’occasion du 80e anniversaire du débarquement, a révélé que 42 % des Britanniques pensent que leur pays a davantage contribué à la défaite d’Hitler que tous les autres alliés réunis.
Ce même sondage a révélé un niveau d’ignorance stupéfiant parmi les citoyens britanniques de tous âges sur la Seconde Guerre mondiale en général, seuls deux tiers des sondés étant capables de situer le débarquement dans le contexte de ce conflit. Les sondeurs n’ont pas évalué les connaissances du public sur les tentatives concertées et de longue date de la Grande-Bretagne pour forger un empire mondial avec l’Allemagne nazie avant la guerre, mais il y a fort à parier que ce chiffre serait proche de zéro.
Par ailleurs, en 2009, le Parlement européen a institué une journée de commémoration tous les 23 août afin de “marquer la Journée européenne de mémoire des victimes de tous les régimes totalitaires et autoritaires”. Ce n’est là qu’une des nombreuses initiatives modernes visant à établir un amalgame pervers entre communisme et nazisme, tout en transformant les collaborateurs de la Wehrmacht et des SS, les auteurs de l’Holocauste, les ultranationalistes et les fascistes des pays libérés par l’Armée rouge en victimes, et en rejetant la responsabilité de la Seconde Guerre mondiale sur la Russie, en raison du pacte Molotov-Ribbentrop.
Ce que les responsables londoniens ont proposé à Hitler en 1939 a largement éclipsé les termes de cet accord controversé, mais on n’en tiendra bien sûr aucun compte, lorsque le jour de la Victoire en Europe sera célébré dans les capitales occidentales en 2025. En Grande-Bretagne, le gouvernement a “encouragé” le public à organiser des festivités de rue et à assister à une marche de plus de 1 300 soldats en uniforme, qui partira de Parliament Square pour se rendre à Buckingham Palace. Il est particulièrement pervers que ce défilé commence et se termine précisément là où, il y a huit décennies, l’Allemagne nazie bénéficiait du plus fort soutien dans le pays.
Kit Klarenberg
Article original en anglais : The Anglo-Nazi Global Empire That Almost Was, Global Delinquents, le 4 mai 20225
Traduit par Spirit of Free Speech