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L’emprisonnement de dirigeants séparatistes déclenche des manifestations en Catalogne
Par Alejandro López et Paul Mitchell
Mondialisation.ca, 19 octobre 2017
wsws.org 18 octobre 2017
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Lundi soir, la Haute cour d’Espagne a ordonné l’emprisonnement sans mise en liberté provisoire sous caution des dirigeants des plus grandes organisations séparatistes de Catalogne : Jordi Sànchez de l’Assemblée nationale catalane (ANC) et Jordi Cuixart d’Òmnium Cultural.

Les deux dirigeants sont détenus dans l’attente d’une enquête sur des accusations de sédition fabriquées de toutes pièces. Ils sont accusés d’orchestrer des manifestations les 20 et 21 septembre, au cours desquelles des manifestants auraient tenté d’empêcher des raids policiers sur des organisations et l’arrestation de responsables associés au référendum d’indépendance du 1ᵉʳ octobre en Catalogne. La sédition comporte une peine maximale de 15 ans d’emprisonnement.

La décision de la Haute Cour et l’arrestation de Sànchez et de Cuixart marquent les premières détentions de prisonniers politiques depuis la fin de la dictature du général Francisco Franco.

L’emprisonnement des deux chefs séparatistes a déclenché des protestations à travers la Catalogne. Lundi soir, des milliers de personnes ont défilé en battant des casseroles. Mardi, des milliers d’autres sont descendus dans les rues de Barcelone à la pause de midi. Une autre manifestation a eu lieu plus tard dans la soirée.

Le porte-parole d’Omnium, Marcel Mauri, a déclaré aux manifestants : « Pas même le régime de Franco n’a osé envoyer les présidents d’Òmnium et de l’ANC en prison, donc à partir d’aujourd’hui, nous allons sortir dans les rues pour exiger la libération des prisonniers politiques et la démocratie ». Mardi, les deux organisations ont appelé à une manifestation samedi prochain pour exiger la libération des deux dirigeants.

La décision de la Haute Cour est une indication des mesures dictatoriales que le gouvernement du Parti populaire espagnol (PP) est prêt à exécuter, ouvrant la voie à l’application de l’article 155 de la Constitution espagnole, que le Premier ministre Mariano Rajoy prévoit d’invoquer jeudi. L’invocation de l’article suspendra le gouvernement régional de Catalogne et mettra la région sous administration directe de Madrid. L’article 155 pourrait être invoqué en liaison avec l’article 116, qui établit le cadre juridique de la proclamation de l’état de siège impliquant la suspension des droits démocratiques et l’imposition d’un régime policier et militaire.

Dans sa décision, la juge Carmen Lamela a déclaré que les événements de septembre « ne constituaient pas une protestation civile isolée, spontanée ou pacifique contre les actions policières menées sur ordre d’un juge ». Elle a ajouté : « Au contraire, les activités décrites s’inscrivaient dans une stratégie complexe où Jordi Cuixart et Jordi Sánchez sont impliqués depuis longtemps dans le cadre d’une feuille de route visant à l’indépendance de la Catalogne ».

La décision de Lamela va à l’encontre de nombreux reportages et vidéos montrant Cuixart et Sánchez intervenant dans la manifestation pour réclamer une protestation pacifique contre l’arrestation de 14 responsables du gouvernement catalan. Ce n’est qu’après que les deux hommes sont partis que des cas isolés de violence à petite échelle ont eu lieu, ce qui a entraîné le vandalisme de plusieurs véhicules de la Garde civile.

Dans le même tribunal où les séparatistes ont été condamnés à l’emprisonnement, le chef de la police régionale des Mossos d’Esquadra, Josep Lluís Trapero, également sous enquête pour sédition pour avoir omis de contrôler les manifestations du 20-21 septembre, fut mis en liberté conditionnelle de fait pendant qu’il attend la sentence. Il a été contraint de rendre son passeport, de rester en Espagne et de se présenter au tribunal toutes les deux semaines.

Le Bureau du procureur de la Haute Cour, considérant les restrictions de Lamela sur Trapero trop clémentes, cherche des moyens de l’emprisonner en déposant un appel contre son ordre de libération. Le bureau demande que l’enquête sur la sédition soit prolongée jusqu’au 1ᵉʳ octobre, le jour du référendum sécessionniste. À cette fin, les gardes civils ont cherché dans les bureaux du gouvernement régional à Reus (Tarragona) des preuves que les Mossos n’avaient pas suivi les ordres de saisir les urnes et le matériel électoral le jour du référendum.

Le pouvoir judiciaire espagnol a clairement fait savoir que ce ne sont que les premières étapes d’un emprisonnement en masse des séparatistes. Mardi, la Cour constitutionnelle a statué à l’unanimité que la loi référendaire votée par le parlement catalan le 6 septembre est inconstitutionnelle et dépourvue de toute force juridique contraignante et que le parlement catalan s’est mis « hors la loi ».

La décision ouvre la voie à des poursuites judiciaires contre toute personne impliquée dans l’organisation du référendum du 1ᵉʳ Octobre, ou qui « ne l’a pas empêchée », des maires, des conseillers, des fonctionnaires et d’autres personnes qui ont participé aux préparatifs du référendum.

La presse bourgeoise ne salue pas seulement l’emprisonnement des séparatistes, elle réclame avec insistance des mesures plus impitoyables. Isabel San Sebastián, pour le quotidien conservateur ABC, a déclaré : « Puigdemont et son bras droit, Trapero, doivent payer cher les dégâts causés par leur trahison. Eux et quelques autres. de [Carme] Forcadell, présidente du parlement régional en rébellion ouverte contre l’ordre légal […] à [le vice-premier ministre Oriol] Junqueras et [le ministre régional Raül] Romeva, responsable du financement et de la promotion de ce coup d’État, jusqu’aux 78 signataires de cette « déclaration d’indépendance », signée en violation flagrante de la Constitution actuelle.

« Ils doivent tous répondre de leurs actes devant la justice, mieux vaut tôt que tard. Les procureurs doivent accuser et les tribunaux doivent juger, indépendamment de considérations politiques. Le code pénal marque la voie à suivre dans les articles sur la rébellion, la sédition, le détournement de fonds publics et l’incitation à la haine. Nous devons agir sans ménagement. »

San Sebastián reflète l’opinion croissante au sein de la classe dirigeante selon laquelle la meilleure façon de supprimer le désir de sécession est d’incarcérer les séparatistes. Des membres du PP ont déjà parlé de l’interdiction des partis et des programmes qui favorisent la sécession, de changer radicalement le système éducatif catalan et de dissoudre les Mossos.

Le fait que ces mesures aient pu susciter une opposition de masse est considéré comme une opportunité par des sections de la classe dirigeante, qui auraient donc un prétexte pour déployer l’armée dans un état d’urgence comme en dispose l’article 116. Une telle réponse est largement discutée depuis des semaines dans la presse. Cela signifierait la répression non seulement des masses catalanes, mais aussi de la classe ouvrière dans le reste du pays. L’armée espagnole a déjà élaboré des plans pour l’opération Cota de Malla, où elle appuiera la police et les opérations de la Garde civile en Catalogne.

D’autres sections de l’élite dirigeante, une minorité, sont plus prudentes, qui soulèvent des inquiétudes sur la possibilité que les protestations n’échappent au contrôle. La Vanguardia, basée à Barcelone, a averti que l’arrestation des dirigeants séparatistes « est une très mauvaise nouvelle ». Le quotidien a poursuivi : « Ces tensions peuvent maintenant être facilement transférées des bureaux institutionnels et des tribunaux dans les rues, où les possibilités d’une situation incontrôlable se multiplieront. »

Ce qui est clair, c’est que les mesures réactionnaires du gouvernement PP, soutenues par le parti Citoyens et le Parti Socialiste (PSOE), et par toutes les sections de l’État, ne s’arrêteront pas même si le Premier ministre catalan Puigdemont recule sur le projet sécessionniste, ce qu’on lui a ordonné de faire à partir de jeudi.

Après un quart de siècle d’austérité et de guerres impérialistes, les mécanismes par lesquels la classe dirigeante a cherché à réguler les tensions sociales et à contenir les conflits de classes en Espagne et ailleurs en Europe se sont effondrés. L’Espagne revient maintenant à l’ère des formes de régime autoritaire qui ont dominé une grande partie de son histoire au cours du XXᵉ siècle.

L’Union européenne et les chefs d’autres gouvernements européens n’offrent aucune alternative à cette poussée vers un régime autoritaire. Au contraire, ils continuent à affirmer clairement qu’ils soutiennent la répression de Rajoy parce qu’ils partagent le même objectif : réprimer l’opposition sociale à la guerre, au militarisme et à l’austérité.

Mardi, la Commission européenne a refusé de commenter l’emprisonnement des dirigeants séparatistes, affirmant une fois de plus que la crise catalane est « une affaire interne » concernant « l’ordre juridique interne et constitutionnel de l’Espagne ».

Alejandro López et Paul Mitchell

Article paru en anglais le 18 octobre 2017

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