L’enquête sur les attentats du 11 Septembre : une enquête non grata

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CBS News, 23 mai 2002 |

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Condoleezza Rice et Philip D. Zelikow |
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L’octroi d’un budget et d’un temps imparti singulièrement restreints. Le budget initial que la Maison Blanche alloua à l’enquête ne fut que de 3 millions de dollars (Associated Press, 27/01/03), ce qui provoqua l’ire du leader de la majorité démocrate au Sénat : « c’est une blague ! » (P. Shenon, 2008, p.31). Le budget fut par la suite et tardivement porté à 14 millions de dollars après que des membres de la Commission et des familles de victimes se soient plaints publiquement (Washington post, 29/03/03 ; Wall Street Journal, 8/07/03). A titre de comparaison, les enquêtes sur les explosions des navettes Challenger (1986) et Columbia (2004) bénéficièrent d’un budget de 75 et 50 millions de dollars respectivement, et pas moins de 40 millions de dollars furent alloués à l’enquête sur l’affaire Clinton-Lewinsky. Quant au temps imparti pour mener l’enquête sur le 11 Septembre, la Maison Blanche voulait qu’il ne soit que de 12 mois. Il fut en définitive porté à 16 mois suite à un accord de compromis entre le Congrès et la Maison Blanche (Associated Press, 27/01/03 ; Wall Street Journal 8/07/03). Les manques d’argent et de temps sont autant d’obstacles qui ont conduit les président et vice-président Kean et Hamilton à affirmer dans leur livre Without Precedent que l’enquête fut « mise en place pour échouer » (T. Kean et L. Hamilton, 2006, chap.1). Regardez le témoignage de Lee Hamilton sur ces obstacles « dressés pour faire échouer l’enquête » au cours d’une interview accordée à la chaîne canadienne CBC :
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L’interdiction de procéder aux interrogatoires des prétendus comploteurs en détention, au premier rang desquels Khaled Sheikh Mohammed – « cerveau » présumé des attentats (Note confidentielle de D. Rumsfeld, J. Ashcroft et G. Tenet, 16/01/04, p.26 ; T. Kean et L. Hamilton, 2006, pp. 118-126 ; New York Times, 2/01/08). Ainsi, toutes les déclarations que le rapport final attribue à ces détenus sont exclusivement des informations de troisième main transmises à la Commission par la CIA. Comme le reconnaissent Kean et Hamilton, la Commission n’avait « aucun moyen de vérifier la fiabilité des informations […] fournies » (T. Kean et L. Hamilton, 2006, p.119). Or, c’est sur la base des aveux de Khaled Sheikh Mohammed et des autres détenus – « les seules sources disponibles sur le complot » (T. Kean et L. Hamilton, 2006, pp. 118/119) – que la Commission a pu établir un lien entre al-Qaida, Ben Laden et les attentats du 11 Septembre(Commission sur le 11/9, rapport officiel, juil. 2004, pp.145-155).
K.S. Mohammed La fiabilité des aveux rapportés est d’autant plus sujette à caution que les détenus clés, dont Khaled Sheikh Mohammed, avaient été soumis à la torture du « waterboarding » lors de leurs interrogatoires par la CIA. Michael Hayden, directeur de la CIA, l’a admis devant la Commission du renseignement du Sénat américain le 5 février 2008 (Jurist, 5/02/08 ; The Australian, 7/02/08), puis un mémo rendu public par le Département de la Justice en avril 2009 révéla que Khaled Sheikh Mohammed fut torturé à 183 reprises en mars 2003 (New York Times, 20/04/09 ; Le Monde, 20/04/09). Ces révélations inspirèrent au journaliste du New York Times Philip Shenon le commentaire suivant : « Tout ceci jette un voile sur la crédibilité du rapport final de la Commission. Dans les cercles du renseignement, on n’accorde que peu de crédit aux témoignages recueillis sous la torture. Les études démontrent que les gens diront n’importe quoi si on les menace d’une douleur physique intense » (Newsweek, 14/03/09 – traduction française sur le site du Nouvel Obs). Quant aux ultimes confessions de Khaled Sheikh Mohammed devant une commission militaire en mars 2007, elles ne sont pas moins suspectes [1].
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Max Cleland |
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Des restrictions d’accès à certains documents cruciaux (Newsweek, 22/09/02 ; Associated Press, 30/04/03 ; New York Times, 26/10/03 ; P. Shenon, 2008, pp. 122-126, 214-219 et 222-224).
Ces obstructions répétées conduisirent à la démission de l’un des membres de la Commission, le Sénateur Max Cleland. Dans une série d’interviews, celui-ci avait alors qualifié l’enquête de « scandale national » (Salon, 21/11/03) et accusé la Maison Blanche de vouloir masquer les faits (Democracy Now, 23/04/04).
- L’interdiction de désigner les éventuels responsables de la débâcle du 11 Septembre (CBS News, 20/09/02 ; Newsweek, 22/09/02). Pas un seul haut-responsable n’a d’ailleurs été sanctionné ou démis de ses fonctions pour les incompétences grossières dont nous avons été témoins ce jour-là. Bien au contraire, les stupéfiantes défaillances de la défense aérienne ont été « sanctionnées » … par des promotions (voir point-clé n°4).
La Commission publia son rapport final le 22 juillet 2004. Malgré les entraves rencontrées, les co-présidents Kean et Hamilton jugent avoir « correctement réussi à raconter l’histoire du 11 Septembre » (CBC News, 21/08/06, p.2). Un point de vue qui contraste avec celui du sénateur et membre de la Commission Bob Kerrey : « il y a de nombreuses raisons de soupçonner qu’il y ait une alternative à ce que nous avons exposé dans notre version »avait-il affirmé en juin 2006 (Salon, 27/06/06) [2]. Un point de vue qui contraste également avec le bilan effectué par le Comité de Direction des Familles des Victimes qui révèle que la Commission n’a répondu de manière satisfaisante qu’à 30% des questions que les familles lui avaient adressées, laissant environ 250 questions en suspens (voir le rapport du Comité de Direction des Familles). Pour finir, un point de vue qui contraste avec les propos tenus par Lee Hamilton lui-même au cours d’une interview menée par la chaîne canadienne CBC en août 2006 : « je ne sais pas », « je ne me souviens pas », « je n’ai pas la réponse à votre question » sont les leitmotivs qui ponctuaient cette conversation [3] (transcript de l’interview traduit en français).
Ces aveux rendus publics par le Pentagone laissent subsister de nombreux doutes quant à la manière dont ils ont été produits et obtenus. Comme le résume le site Voltaire, « la Croix-Rouge Internationale n’a pas été autorisée à vérifier les conditions de détention de l’individu. Aucun médecin n’a été autorisé à vérifier si l’intégrité physique et mentale de l’individu avait été respectée. Aucun avocat n’a été autorisé à entrer en contact avec l’individu et à assurer sa défense. Aucun journaliste n’a été autorisé à assister à l’audition. Les noms des militaires présents ont été couverts par le secret-Défense » (site Voltaire, 16/03/07).
Pour approfondir la thématique « Commission d’enquête », nous vous recommandons :
- L’excellent film-documentaire Press for Truth, 2006, documentaire de 84min (de 00:00 à 31:30). Ce film peut être commandé ici ou visionné en accès libre ici.
- Omissions et manipulations de la commission d’enquête sur le 11 Septembre, par David Ray Griffin, Editions Demi Lune, 2006 (Introduction, pages 14 à 24 ; conclusion, pp. 300 à 309). Ce livre peut être commandé ou téléchargé ici.
- The Commission: The Uncensored History of the 9/11 Investigation, par Philip Shenon (journaliste d’investigation au New York Times), 2008.