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L’époque unipolaire est révolue
Par Pepe Escobar
Mondialisation.ca, 13 juin 2019
consortiumnews.com 10 juin 2019
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Le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine, consolidé la semaine dernière en Russie, a plongé les élites américaines dans un mode de Suprême Paranoïa, qui prend en otage le monde entier.

Quelque chose d’extraordinaire a commencé avec une courte marche à Saint-Pétersbourg vendredi dernier.

Après une promenade, ils ont pris un bateau sur la Neva, visité le légendaire croiseur Aurora, et sont passés voir les chefs-d’œuvre de la Renaissance à l’Ermitage. Cool, calme, détendu, tout en cartographiant les tenants et aboutissants d’un monde nouveau, émergent et multipolaire.

Le Président chinois Xi Jinping était l’invité d’honneur du Président russe Vladimir Poutine. C’était le huitième voyage de Xi en Russie depuis 2013, date à laquelle il avait annoncé la Nouvelle Route de la Soie, ou Initiative Ceinture et Route (BRI).

D’abord, ils se sont rencontrés à Moscou, en signant de multiples accords. Le plus important est une bombe : un engagement à développer le commerce bilatéral et les paiements transfrontaliers en utilisant le rouble et le yuan, en contournant le dollar américain.

Puis Xi s’est rendu au Forum Économique International de Saint-Pétersbourg (SPIEF), le premier rassemblement d’affaires de Russie, absolument essentiel pour quiconque veut comprendre les mécanismes hyper complexes inhérents à la construction de l’intégration eurasiatique. J’ai abordé ici quelques-unes des principales discussions et tables rondes du SPIEF.

A Moscou, Poutine et Xi ont signé deux déclarations communes – dont les concepts clés sont le « partenariat global », « l’interaction stratégique » et la « stabilité stratégique mondiale ».

Dans son discours à Saint-Pétersbourg, Xi a présenté le « partenariat stratégique global ». Il a souligné que la Chine et la Russie s’engageaient toutes deux en faveur d’un développement durable vert et à faible émission de carbone. Il a fait le lien entre l’expansion de la BRI et le programme de développement durable de l’ONU et a salué l’interconnexion des projets de la BRI avec l’Union Économique Eurasiatique (EAEU). Il a souligné que tout cela était conforme à l’idée de Poutine d’un grand partenariat eurasiatique. Il a fait l’éloge de « l’effet synergétique » de la BRI lié à la coopération Sud-Sud.

Et surtout, Xi a souligné que la Chine « ne cherchera pas à se développer au détriment de l’environnement » ; la Chine « mettra en œuvre l’accord de Paris sur le climat » ; et la Chine « est prête à partager la technologie 5G avec tous les partenaires » sur la voie d’un changement crucial dans le modèle de croissance économique.

Xi et Poutine en croisière dans un monde multipolaire : le Musée Aurora Cruiser

Et la guerre froide 2.0 ?

Il était évident que cela se préparait lentement au cours des cinq ou six dernières années. Maintenant, l’affaire est au grand jour. Le partenariat stratégique global entre la Russie et la Chine est florissant, non pas dans le cadre d’un traité allié, mais comme une feuille de route cohérente vers l’intégration de l’Eurasie et la consolidation du monde multipolaire.

L’unipolarisme – via sa matrice de diabolisation – avait d’abord accéléré le pivot de la Russie vers l’Asie. Aujourd’hui, la guerre commerciale menée par les États-Unis a facilité la consolidation de la Russie en tant que premier partenaire stratégique de la Chine.

Le ministère russe des Affaires Étrangères ferait mieux de se préparer à écarter les déclarations quasi quotidiennes du chef d’État-Major des armées des États-Unis, le général Joseph Dunford, par exemple, lorsqu’il affirme que Moscou a l’intention d’utiliser des armes nucléaires non stratégiques dans le territoire européen. Cela fait partie d’un processus ininterrompu – aujourd’hui en grande vitesse – de fabrication de l’hystérie en effrayant les alliés de l’OTAN avec la « menace » russe.

Moscou ferait mieux de se préparer à esquiver et à contrer les vagues de rapports tels que le plus récent de la société RAND, qui décrit – quoi d’autre ? – Une Guerre Froide 2.0 contre la Russie.

En 2014, la Russie n’a pas réagi aux sanctions imposées par Washington. Il aurait suffi de brandir la menace d’un défaut de paiement sur 700 milliards de dollars de dette extérieure. Cela aurait tué les sanctions.

Maintenant, il y a un vaste débat au sein des cercles du renseignement russe sur ce qu’il faut faire au cas où Moscou serait confrontée à la perspective d’être coupée du système de compensation financière CHIPS-SWIFT.

Une carte d’Eurasie de 1936

Avec peu d’illusions sur ce qui pourrait se passer au G20 d’Osaka plus tard ce mois-ci, en termes de percée dans les relations américano-russes, le PDG de Rosneft, Igor Sechin, est prêt à envoyer un message plus « réaliste » – si cela devait se produire.

Son message à l’UE, dans ce cas-ci, serait de rompre les liens, et d’établir des relations avec la Chine pour de bon. De cette façon, le pétrole russe serait complètement redirigé de l’UE vers la Chine, rendant l’UE complètement dépendante du détroit d’Ormuz.

De son côté, Pékin semble avoir finalement compris que l’offensive actuelle de l’administration Trump n’est pas une simple guerre commerciale, mais une attaque à part entière contre son miracle économique, avec un effort concerté pour couper la Chine des larges pans de l’économie mondiale.

La guerre contre Huawei – le symbole de la suprématie 5G de la Chine – a été identifiée comme une attaque visant à couper la tête du dragon. L’attaque contre Huawei signifie une attaque non seulement contre la technologie, le méga centre de Shenzhen, mais aussi contre tout le delta de la Rivière des Perles : un écosystème de 3 billions de yuans, qui fournit les vices et les écrous de la chaîne logistique chinoise pour la fabrication high-tech.

Entrez dans le Cercle d’Or

Ni l’ascension technologique de la Chine, ni le savoir-faire hypersonique inégalé de la Russie n’ont causé le malaise structurel de l’Amérique. S’il y a des réponses, elles devraient venir des élites exceptionnalistes.

Le problème pour les États-Unis est l’émergence d’un concurrent redoutable en Eurasie – et pire encore, d’un partenariat stratégique. Il a jeté ces élites dans le mode de la suprême paranoïa, qui prend en otage le monde entier.

En revanche, le concept du Cercle d’Or des Grandes Puissances Multipolaires a été lancé, par lequel la Turquie, l’Irak, l’Iran, le Pakistan, la Russie et la Chine pourraient fournir une « ceinture de stabilité » le long de la région de l’Asie du Sud.

J’ai discuté des variantes de cette idée avec des analystes russes, iraniens, pakistanais et turcs – mais cela semble être un vœu pieux. Certes, toutes ces nations accueilleraient favorablement la création du Cercle d’Or, mais personne ne sait dans quelle direction l’Inde de Modi se pencherait – enivrée par le rêve du statut de grande puissance et cœur du mélange « Indo-Pacifique » de l’Amérique.

Il serait peut-être plus réaliste de supposer que si Washington n’entre pas en guerre avec l’Iran – parce que les jeux du Pentagone ont établi que ce serait un cauchemar – toutes les options sont sur la table, de la mer de Chine du Sud à l’Indo-Pacifique plus vaste.

L’État Profond n’hésitera pas à faire des ravages concentriques à la périphérie de la Russie et de la Chine pour ensuite tenter de déstabiliser le centre du pays de l’intérieur. Le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine a provoqué une blessure douloureuse : cela fait mal – si mal – d’être un outsider de l’Eurasie.

Pepe Escobar

Article original en anglais : PEPE ESCOBAR: The Unipolar Moment is Over, The Consortium News, le 10 juin 2019.

traduit par Réseau International

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