Les 300 Hiroshima de l’Italie

L’art de la guerre

Cet article a été publié initialement le 15 décembre 2015.

*

Tandis que le mot « sécurité » nous assourdit les oreilles, amplifié par les mégaphones politico-médiatiques, les paroles du ministre de la défense russe Choïgou sur la toujours plus périlleuse confrontation nucléaire en Europe sont tombées dans le silence. Aucune alarme, aucune réaction gouvernementale en Italie à l’égard de ce qu’il a dit : « Environ 200 bombes nucléaires étasuniennes sont stockées en Italie, Belgique, Hollande, Allemagne et Turquie, et cet arsenal nucléaire est l’objet d’un programme de rénovation ». Pour cette raison, « les forces missilistiques stratégiques russes tiennent plus des 95% des lanceurs prêts à tout moment au combat ». Et tandis qu’un sous-marin russe lance depuis la Méditerranée contre des objectifs EI (Etat islamique) en Syrie des missiles cruise Kalibr (qui parcourent environ 3mille Km à basse altitude en accélérant dans leur phase finale à trois fois la vitesse du son), le président Poutine avertit : « les missiles Kalibr peuvent être armés aussi bien avec des têtes conventionnelles qu’avec des têtes nucléaires », ajoutant que « cela n’est certainement pas nécessaire dans la lutte contre les terroristes, et j’espère que cela ne sera jamais nécessaire ».

Ce message clair adressé en réalité à l’Otan, en particulier aux pays européens dans lesquels sont stockées les armes nucléaires étasuniennes, se trouve présenté par les médias comme la « boutade » d’un Poutine qui « montre ses muscles ». Ainsi n’alarme-t-on pas la population, en la laissant dans l’ignorance du danger auquel elle est exposée. Les environ 70 bombes nucléaires USA B-61, prêtes à l’emploi dans les bases d’Aviano et de Ghedi-Torre, sont sur le point d’être remplacées par les B61-12. Dans ce but -documente la Fédération des scientifiques américains (Fas) avec des photos satellitaires- a été effectué l’upgrade des deux bases, où en 2013 et 2014 s’est déroulé le Steadfast Noon, l’exercice Otan de guerre nucléaire avec la participation aussi de chasseurs F-16 de la Pologne, qui s’est offerte pour accueillir de nouvelles bombes nucléaires USA. La B61-12 est une nouvelle arme nucléaire qui, larguée à environ 100 Km de l’objectif, est projetée pour « décapiter » le pays ennemi dans un first strike nucléaire. On efface ainsi la différence entre armes nucléaires stratégiques de longue portée et armes tactiques de courte portée. On ne sait pas combien de B61-12 seront stockées en Italie mais, avec une estimation par défaut, on calcule que leur puissance destructrice équivaudra à celle d’environ 300 bombes de Hiroshima.

Selon les règles du Groupe de planification nucléaire de l’Otan, dont fait partie l’Italie, les pays qui hébergent les armes nucléaires USA « mettent à disposition des avions équipés pour transporter des bombes nucléaires et du personnel entraîné à cet effet », mais « les Etats Unis conservent le contrôle absolu et la surveillance de ces armes nucléaires ». La Fas confirme qu’à Ghedi Torre sont stockées les bombes nucléaires étasuniennes « pour les Tornado italiens » et que des pilotes italiens sont entraînés à leur utilisation. Comme on prévoit de remplacer les Tornado par les F-35, les premiers pilotes italiens, qui ont complété en novembre l’entraînement sur les F-35 dans la base Luke de la US Air Force en Arizona, sont entraînés aussi à l’utilisation des B61-12.

L’Italie viole de ce fait le Traité de non-prolifération ratifié en 1975, qui l’ « engage à ne pas recevoir de quiconque des armes nucléaires, ni le contrôle sur de telles armes, directement ou indirectement » (Article 2). Elle est devenue par conséquent une base avancée de la stratégie nucléaire USA/Otan et, donc, une cible de représailles nucléaires. Vitale est la bataille pour la dénucléarisation de l’Italie, sans laquelle la requête générique de l’abolition des armes nucléaires devient une couverture démagogique pour qui ne veut pas affronter la question nodale. Preuve que l’assoupissement des consciences a amené aussi à la perte de l’instinct de survie.

Manlio Dinucci 

Edition de mardi 15 décembre 2015 de il manifesto

http://ilmanifesto.info/le-300-hiroshima-dellitalia/ 

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

 

 



Articles Par : Manlio Dinucci

A propos :

Manlio Dinucci est géographe et journaliste. Il a une chronique hebdomadaire “L’art de la guerre” au quotidien italien il manifesto. Parmi ses derniers livres: Geocommunity (en trois tomes) Ed. Zanichelli 2013; Geolaboratorio, Ed. Zanichelli 2014;Se dici guerra…, Ed. Kappa Vu 2014.

Avis de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.

Le Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) accorde la permission de reproduire la version intégrale ou des extraits d'articles du site Mondialisation.ca sur des sites de médias alternatifs. La source de l'article, l'adresse url ainsi qu'un hyperlien vers l'article original du CRM doivent être indiqués. Une note de droit d'auteur (copyright) doit également être indiquée.

Pour publier des articles de Mondialisation.ca en format papier ou autre, y compris les sites Internet commerciaux, contactez: [email protected]

Mondialisation.ca contient du matériel protégé par le droit d'auteur, dont le détenteur n'a pas toujours autorisé l’utilisation. Nous mettons ce matériel à la disposition de nos lecteurs en vertu du principe "d'utilisation équitable", dans le but d'améliorer la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux. Tout le matériel mis en ligne sur ce site est à but non lucratif. Il est mis à la disposition de tous ceux qui s'y intéressent dans le but de faire de la recherche ainsi qu'à des fins éducatives. Si vous désirez utiliser du matériel protégé par le droit d'auteur pour des raisons autres que "l'utilisation équitable", vous devez demander la permission au détenteur du droit d'auteur.

Contact média: [email protected]