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Les Arabes: Ces mal aimés installés dans la fatalité
Par Chems Eddine Chitour
Mondialisation.ca, 03 septembre 2016

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Seul un homme en paix avec son Créateur peut trouver le sommeil dans un lieu de culte. […] Je ne suis pas de ceux dont la foi n’est que terreur du Jugement, dont la prière que prosternation. Ma façon de prier? Je contemple une rose, je compte les étoiles, je m’émerveille de la beauté de la création, de la perfection de son agencement, de l’Homme, la plus belle oeuvre du Créateur, de son cerveau assoiffé de connaissance, de son coeur assoiffé d’amour, de ses sens, tout ses sens, éveillés ou comblés.»

Omar Khayyâm (Poète , astronome, mathématicien. Perse)

L’actualité nous matraque avec son lot de mauvaises nouvelles et n’était-ce, ce fut à bien des égards l’hiver de la misère matérielle, de la mort, du sang et des larmes qui s’installe dans l’hémisphère Sud principalement, il faut bien le dire, dans une région du Proche et du Moyen-Orient coupable à la fois d’être musulmane et d’être arabe.

Le Moyen-Orient qui souffrait déjà depuis près d’un siècle des conséquences néfastes des accords de Sykes-Picot. La Grande-Bretagne et la France ont négocié les restes de l’Empire ottoman sans rien en dire aux Arabes qui se battaient à leurs côtés. Les accords qui en ont résulté symbolisent toujours sur place la traîtrise occidentale. La suite on la connaît. Un siècle d’errance et un nouveau partage après l’implosion de l’empire soviétique grâce à l’Eglise conquérante de Jean-Paul II, un dirigeant utopique avec sa pérestroïka- qui jouait le rôle de l’idiot utile, récompensé par le hochet du prix Nobel de la paix- et un Ronald Reagan adversaire de «l’empire du mal». L’islam est devenu le Satan de rechange.

En Occident un consensus est martelé en boucle  il y a un choc des civilisations : la prophétie auto-réalisatrice de Samuel Huntington sur le choc des civilisations et le formatage des Bernard Lewis et tant d’autres éminences des néo-conservateurs ont permis à George Bush d’avoir sa croisade et de tenter le rechapage du Moyen-Orient Résultat des courses: c’est le chaos dans les pays arabes.  Cela a commencé souvenons-nous, avec le laboratoire expérimental de l’islamisme selon le roi Hassan II,  que fut l’Algérie de la décennie 1990-2000. Après la perte de 200.000 âmes, l’Algérie en est sortie exsangue malgré les interférences de nos adversaires intimes. Le terrorisme, nous savons ce que c’est.

Les convulsions actuelles des pays arabes sont dues à plusieurs facteurs dont les principaux qui sont l’instrumentalisation de la religion à la fois par les pouvoirs en place, mais aussi par les interférences externes dans le combat de titans qui oppose actuellement deux visions du monde: un monde ancien, celui de l’hyperpuissance de l’Empire américain avec ses vassaux anglais et français toujours partants pour les mauvais coups et les rapines, comme nous l’avons vu avec l’Afghanistan, l’Irak , la Lybie, la Syrie et même le Yémen dernier candidat à la destruction de sa culture. Globalement tout est fait pour effacer de la surface de la Terre l’apport des civilisations moyen orientales qui virent à la fois les premières communautés humaines en villages  en Syrie, les civilisations mythiques syriennes assyriennes ,mésopotamiennes, babyloniennes mais aussi les berceaux des religions révélées. Et ceci de la main de nations qu’il y a encore un peu plus de deux siècles n’existaient pas !

En face le nouveau monde multipolaire empêché d’apparaître ce qui explique que les tensions actuelles se font sentir principalement à la limite des plaques tectoniques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Cette hégémonie de ces puissances est due à la conviction d’appartenir à la race supérieure, éclairé par le siècle des Lumières- donc gardienne des valeurs d’universalité dont on s’aperçoit avec le temps que c’était du vent.  L’autre raison est plus simplement à la boulimie énergétique des uns et des autres qui fait qu’il faut s’assurer de sources d’approvisionnement sûres  à un prix dérisoire En un mot, l’ébriété énergétique a de beaux jours devant elle malgré les kermesses des COP dont la COP21.

Quelles sont les victimes de la lutte de ces puissances?

En fait ces victimes sont toutes celles qui ne rentrent pas dans le rang, mais aussi celles qui ont des ressources  minières ou énergétiques. Souvenons d’où du cuivre du chilien et de la mort de Salvador Allende . Dans le domaine de l’énergie ce sont principalement des Arabes!  Souvenons de Saddam Hussein et de sa pendaison de Kadhafi et de sa mort abjecte sous traitée par l’Empire à ses vassaux  Sarkozy et Cameron

Ce cri du coeur du physicien Ahmed Bensaâda résume plus que 1000 discours l’état des Arabes:

«Depuis un quart de siècle, le monde arabe vit au rythme des coalitions. (..)De coalition en coalition, ce monde n’a connu que les massacres, les viols, les exodes et les ruines. De coalition en coalition, le sang de centaines de milliers d’Arabes a coulé, abreuvant non seulement la haine des Arabes entre eux, mais aussi entre les Arabes et les Occidentaux. Pourtant, de coalition en coalition, ces mêmes Occidentaux nous avaient promis de semer, grâce à leurs armes sophistiquées et leurs bombes intelligentes, aussi bien la Démocratie, la Paix et la Prospérité que les Droits de l’homme et la Liberté d’expression. (…) Bien au contraire, de coalition en coalition, de 2002 à 2014, le nombre de morts causés par des attentats terroristes a augmenté de… 4500%! »(1)

«  De coalition en coalition, on a réussi à offrir au monde arabe une saison nouvelle. Bien au contraire, jamais saison n’a été aussi funeste: 1,4 million de victimes (morts et blessés), 833 milliards de dollars de pertes et un nombre astronomique de séquelles à tout jamais gravées dans les corps, dans les esprits et dans les idéaux. De coalition en coalition, on a vu des coalisés s’appliquer à financer le terrorisme, promouvoir le djihadisme et armer la dissidence. (…) De coalition en coalition, des chemins de transhumance humaine ont été ouverts à travers terre, jusqu’à des frontières hérissées de barbelés et à travers mers, jusqu’à une plage où un petit enfant au chandail rouge s’est couché, fixant le sable mouillé, pour ne plus voir la cruauté des humains. Au temps béni des coalitions, le monde arabe n’en finit plus de saigner, n’en finit plus de pleurer, n’en finit plus de péricliter…» (1)

Pour ajouter à l’anomie actuelle, un mot sur l’enterrement en première classe de la cause palestinienne. Pour que les Arabes reviennent en grâce auprès de la communauté internationale –entendons par là l’Europe, et les Etats unis-  impose une  normalisation des pays arabes aux conditions israéliennes est  l’une des conditions posée par les décideurs pour la survie des potentats arabes installés dans les temps morts. Comme on le voit les pays arabes notamment du golfe se bousculent maintenant d’une façon visible au portillon israélien pour faire allégeance ;Pourtant David Ben Gourion, le premier chef du gouvernement d’Israël, l’a bien dit  le 18 juillet 1948.  «Si j’étais un dirigeant arabe, je ne signerais jamais un accord avec Israël   Exit la cause juste des droits des Palestiniens à vivre en dignité sur   le bantoustan en peau de léopard concédé  par Israël.

Les Arabes, ces mal-aimés. Qui étaient-ils?

On dit que les Arabes sont un ancien peuple sémitique dont le barycentre fut l’actuelle Arabie saoudite. Beaucoup d’entre nous dans leur jeunesse ont vibré aux rapsodies et autres «mou’allaquate»  « sortes de poèmes accrochés », où les joutes oratoires se faisaient à Oukadh. Cependant  le déni d’apport à la civilisation universelle de l’Islam a dans une première étape était renié, ensuite ce apport est du selon certains révisionnistes à des dimmis intellectuels brillants ( perses, juifs, kurdes, maghrébins) mais pas arabes qi’il faut à tout prix diaboliser

Les révisionnistes quand à l’apport au patrimoine de l’humanité

Comment – à l’instar de tout ceux qui font preuve de contorsion intellectuelle pour jeter un pont entre la culture grecque et la culture de la Renaissance voire des « Lumières »- peut-on nier huit siècles d’acculturation de l’Europe par la culture dominante qu’était celle de la civilisation musulmane ? L’apport musulman à la connaissance universelle est indéniable dans tous les domaines de la connaissance d’autant que beaucoup d’auteurs plagient sans vergogne sans naturellement citer les références qui les excluraient de la paternité de leurs « œuvres ».

Nasr Boutammina. avance en substance que le savoir humain, grossièrement schématisé en Occident dans un parcours réducteur, aurait pris sa source dans la Grèce antique et Rome, modèles de progrès et cités idéales, ensuite fait un survol de 10 siècles de « néant » pour rebondir avec La Renaissance et le Siècle des Lumières comme aboutissement de la modernité. L’auteur conclut à l’ingratitude d’un Occident triomphant face à une altérité ignorée dont, ajoute l’auteur,

« Aucune invention, aucune création n’a obtenu le « Copyright » de l’Occident Pour Boutammina, l’Eglise a attribué injustement la paternité à la Grèce antique en inventant « une mythologie historique et une falsification textuelle en version latine ou grecque ». L’exemple le plus éloquent est l’histoire de la médecine représentée par l’illustre Hippocrate auquel on a affecté quantité d’ouvrages médicaux qui lui auraient appartenu, pour peu qu’on eût voulu prêter foi. Le Serment d’Hippocrate considéré comme une contrefaçon du Serment d’Ibn Sina a déjà fait couler beaucoup d’encre et réagir des universitaires occidentaux. » (2)

Dans son ouvrage   « Aristote au Mont Saint Michel » Sylvain Guggenheim  attribue la Renaissance de l’Europe  à l’apport d’un obscur abbé  Jacques de Venise, dans l’Abbaye du Mont Saint Michel et à des Chrétiens assyriens, des Juifs, des Perses bref tout sauf des Arabes !  (3)

Plusieurs parmi les historiens dignes de ce nom  on tenu à rectifier cette assertion qui ne repose sur aucune preuve.  Pour Marwan Rashed  :

« le monde arabo-musulman n’a pas reçu passivement le savoir grec, puisqu’un savoir y était déjà constitué, dont une large partie n’avait d’ailleurs pas encore d’équivalent en Occident (comme l’algèbre ou la médecine). Le besoin de traductions des textes grecs en arabe ne s’explique donc que par une volonté d’un savoir nouveau pour répondre à des questions déjà posées par les penseurs arabes.  En ce qui concerne la philosophie, dès le ixe siècle les théologiens rationnels (les Mutakallimun) auraient formulés, selon Marwan Rashed, des théories très complexes pour penser la compatibilité de la liberté et de la prédestination, les limites du possible en métaphysique et la constitution du monde dans une physique de la création.  (4)

La suprématie de la langue arabe

Une langue ne s’impose pas quand elle n’est pas adossée à une production intellectuelle. C’est tout naturellement que les savants de l’époque, juifs, chrétiens assyriens , perses, se sont mis à l’arabe langue plus fluide . Quand Maimonide écrivit  « Dalil el Haïrine » « le Livre des égarés », son ouvrage majeur qui est encore une référence dans le monde juif, il le fit en arabe, il aurait pu le faire en syriaque, en hébreu.

L’Arabe du moyen âge était la vulgate planétaire, c’était l’anglais du XXe siècle.

« Quand l’arabe a commencé à s’imposer dans le Croissant fertile,   Dans le Nouveau Testament , les dernières paroles du Christ ont été laissés en araméen. A leur lecture : « Ya ilahi, Ya ilahi, Lima sabactani ?» «  O mon Dieu, O mon Dieu, Pourquoi m’as tu laissé tombé ?que les Chrétiens occidentaux ânonnent sans savoir, un locuteur arabe les comprend parfaitement : «  Mon Dieu pourquoi as-tu pris de l’avance sur moi,- tu m’as abandonné ? » … (4)

S’agissant justement  de la langue arabe, l’illustre savant Jacques Berque explique dans Les Arabes et nous que «la fonction de la langue pour les Arabes est différente, supérieure à celle qu’elle remplit pour les Occidentaux. Il donne un exemple: ainsi, en arabe, les mots se rapportant à l’écrit dérivent tous de la racine k.t.b.: Maktûb, maktab, maktaba, kâtib, kitâb. En français, ces mêmes mots sont: écrit, bureau, bibliothèque, secrétaire, livre. Les mots français sont tous les cinq arbitraires, mais les mots arabes sont, eux, «soudés par une transparente logique à une racine qui seule est arbitraire». «Alors que les langues européennes solidifient le mot, le figent, en quelque sorte, dans un rapport précis avec la chose, le mot arabe reste cramponné à ses origines. Il tire substance de ses quartiers de noblesse.» (5)(6)

On rapporte que Samaouel, auteur juif antéislamique, auteur  d’expression arabe de la célèbre «lamiiatou Samaouel»  « Le poème de Samuel qui se termine par un mot avec la lettre L finale » : « Idha el mareou lame iadnass min louemi ‘irdhouhou , fakoulou ridaInn yartadihi djamilou »,  « Si l’homme ne se souille pas de choses vils tout vêtement modeste qu’il portera paraitra beau ».. n’a pas voulu dévoiler un secret que lui avait confié Antar Ibn Cheddad mettant en péril de ce fait, la vie de son fils.. Depuis l’expression «aoufa min Samaouel» «Plus fidèle – au serment- que Samaouel- a traversé les siècles.

N’est ce pas plutôt cette atmosphère d’abord de Dar El Hikma à  Bagdad – qui était une  grande belle ville alors qu’’à l’époque Londres était un gros bourg- où on comptait dit-on des centaines de milliers d’ouvrages ou le sultan donnait son poids d’or à tous les traducteurs d’ouvrage ?   Cela se passait au VIIIe siècle Les ministres étaient juifs  Pendant qu’il était interdit aux juifs d’enterrer leurs morts intra-muros à  Paris , que l’inquisition battait son plein ? Comment expliquer cette période  que nous fait connaitre par miracle Sylvain Guggenheim – que constituait l’Abbaye du mont Saint Michel alors que l’Europe était à feu et à sang qu’en pendait les hérétiques qu’on rôtissait les Juifs ?

Le miracle de la  symbiose du savoir arabe à l’ombre de l’Islam

Mostefa Lacheraf  avance que pour écrire la Muqqadima  «  les prolégomènes »  Ibn  Khaldoun, le père de la sociologie  a consulté des milliers d’ouvrages.  A Grenade et à Cordoue l’atmosphère intellectuelle était très favorable à la floraison des idées,  une liberté de penser en action, qui fait que les Juifs , Musulmans et Chrétiens vivaient en harmonie  Seul le savoir était à l’honneur et pouvait discriminer envers les  individus ,ce n’était ni l’ethnie, ni la religion !

Par la symbiose permise par le Coran, les Arabes réussirent à fédérer à l’ombre de l’islam tous les savants qu’ils soient maghrébins, perses, kurdes, arabes chrétiens, juifs. Quand on se rend compte de toute l’étendue des domaines que ces scientifiques par leurs pensées et leurs écrits ont développés, on voit que sans les Arabes, la science et la philosophie européennes ne se seraient pas développées à l’époque comme elles l’ont fait. Les savants musulmans ne se contentèrent pas de transmettre simplement la pensée grecque. Ils en furent les authentiques continuateurs. La conquête arabe apportait les éléments d’un nouvel enthousiasme pour le savoir, une langue qui se forge et qui s’impose comme un instrument de communication internationale; un gouvernement fortement centralisé; une religion qui exalte la connaissance.

Avant, à son tour, de se les approprier et de les enrichir. A force de diaboliser l’Islam, on a fini par faire croire en Occident à travers des médias d’une rare partialité, que les Arabes et les Musulmans sont des barbares incultes et que l’héritage européen est grec.

Il est utile de replacer justement, le contexte des sources littéraires des hommes de lettres européens considérés comme des génies dans leur discipline par un Occident qui dicte la norme sur ce que nous devons apprécier et ce que nous devons rejeter.  Cet état de fait peut être résumé dans l’anecdote romanesque du célèbre écrivain Anatole France, quand un de ses personnages demandait à Mme Nozière, « – Quel était le jour le plus funeste de l’histoire ? Mme Nozière ne le savait pas. – C’est, lui dit-il, le jour de la bataille de Poitiers, quand, en 732, la science, l’art et la civilisation arabes reculèrent devant la barbarie franque. » (7)

C’est ainsi qu’au IXe siècle le Calife de Bagdad Haroun Errachid fonde « Dar El Hikma » ; la « Maison de la sagesse » : sorte de Grande Bibliothèque, qui groupera un million de volumes ! Au Xe siècle la bibliothèque de Cordoue en rassemble 400.000 et celle du Caire comprenait 1,6 millions de volumes dont 6000 ouvrages de mathématiques et 18000 de philosophie (8)

On raconte que le Calife Haroun Errachid offrit, vers 790, une pendule (Clépsydre) à l’Empereur d’Occident, celui-ci lui fit cadeau de … lévriers ! Comme l’écrit Lamine Kouloughli :  « D’un côté des pendules, les premières horloges du monde, de l’autre des sloughis… Oui des sloughis, des chiens ! Non les Arabes n’étaient pas des Barbares… »  (9).

On rapporte aussi que lors de l’entrevue que l’Empereur d’Occident Karl der Gross (Charlemagne) avait accordé à Aachen à l’ambassadeur de Bagdad, il aurait été informé sur le système éducatif en vigueur dans l’Empire abbasside. Il faut croire que cet entretien fut édifiant car à la suite de cela, l’Empereur décida, prenant exemple sur les terre d’Islam, de créer l’école et de ce fait attacha son nom à une création dont il n’a pas la paternité (10)

L’aristotélisme d’Avicenne et d’Averroès fut, par exemple, exposé dans un traité appelé « Lettres Siciliennes » et adressé par le philosophe Ibn Sabin à Frédéric II de Hohenstaufen ; Al-Idrisi nous a légué son « Kitab Rodjer » ; « le livre de Roger », ouvrage de géographie écrit pour Roger roi normand de Sicile (1105-1154) Jusqu’aux XIIIe et XIVe siècle, le monde musulman conserve globalement la suprématie intellectuelle, c’était ce que l’on appela l’« âge d’or » de l’Islam. Comme l’écrit M. Lacheraf : « Les historiens officiels décrivent ainsi le Roi de France, Charles V, dit le Sage (1364-1380) : il peut être considéré comme le fondateur de la Bibliothèque Nationale, car son père ne lui avait laissé que vingt volumes. Ces ouvrages étaient surtout des livres pieux et n’avaient rien à voir, par exemple avec les livres dits « profanes » des sciences.

A cette époque, poursuit Lacheraf :

« Les bibliothèques royales du Maghreb et du Proche orient contenaient non pas des centaines de volumes mais des dizaines de milliers , les bibliothèques privées ou des universités où se forma et se documenta et enseigna Ibn Khaldoun à Tunis, Tlemcen, Bédjaïa, Fès, le Caire, ne le cédant en rien quant à l’importance numérique de leurs manuscrits, à celles des Emirs et Souverains Nasrides de Grenade, Mérinides, Abdelwadites, Hafsides et mamelouks(…) » (11)

A titre d’exemple, La Fontaine, comme, plus tard, Victor Hugo, empruntera beaucoup de thèmes et de personnages de ces régions du monde. En 1664, Le Pouvoir et les Intellectuels ou Les Aventures de Kalila et Dimna, d’Abdallah îbn Mouqaffah (mort en 756H) fait connaître le plus grand ensemble de fables orientales d’origine indienne, traduites en persan au VI° siècle, puis en arabe à Bagdad. Le sujet de la fable Le Corbeau et le Renard (1,2) est emprunté au folklore persan et arabe. Attribué à Esope, Le Villageois et le Serpent (VI, 13) vient également de Kalila et Dimna et souligne que les ingrats peuvent être punis. « Grippeminaud » ermite vénérable et respecté, à la manière du « chat » de l’épisode de Kalila et Dimna intitulé Le rossignol, le lièvre et le chat, et que La Fontaine rebaptise Le Chat, la Belette et le petit Lapin (VII, 16) (12)

Une autre œuvre, La Divine Comédie de Dante doit beaucoup aux sources arabes et musulmanes. Dante a commencé à écrire La Comédie vers 1307, le thèmeLe poète égaré dans la forêt sauvage du péché, effectue un voyage imaginaire au travers de l’Enfer, du Purgatoire et du Paradis, jusqu’à la découverte de Dieu. Parmi les sources profanes citons la plus importante Abou El Ala El Maari (973-1058) prosateur titanesque,  » otage des deux prisons  » écrivait Rissalat El Ghoufran, « l’Épître du pardon ». La Divine Comédie a d’une certaine façon était écrite par El Maâri. Il est établi que Dante reconnaît explicitement dans ses oeuvres en prose sa dette envers de grands philosophes comme Al-Kindi, Al-Farabi, Ibn Sina, Al-Fargani, Ibn’Arabi et biens d’autres mais ne cite pas El Maäri précurseur principal de son « œuvre ».

Georges Corm: un constat d’actualité sans complaisance

Sur la situation actuelle des Arabes Georges Corm, écrivain, ancien ministre libanais de l’Economie écrit:

«Nous sommes en face de deux thèses et on trouve des penseurs arabes dans les deux camps. Il y a d’abord la thèse anthropologique essentialiste qui est une thèse d’autoflagellation soutenant que nous avons en nous-mêmes des défauts depuis l’Antiquité, notamment le tribalisme, ou que nous avons une vision étriquée de la religion qui n’est pas ouverte et tolérante; et donc le problème est chez nous et pas dans les agressions extérieures. Qu’est-ce qui a fait que les Arabes, les Berbères en Andalousie, notamment, sont sortis de l’histoire? Malheureusement, nous essayons de dépasser nos problèmes en parlant d’arabo-islamisme. Il est vrai que les Arabes sont à 95% musulmans. (..) » (13)

Le nationalisme arabe à l’origine à cet enfermement est, poursuit Goerges Corm,  une thèse défendue par les orientalistes occidentaux. Ceux-ci ont voulu faire du nationalisme une affaire des chrétiens du Machraq (..) On a remplacé Ibn Khaldoun par Max Weber. On a remplacé les grands philosophes Ibn Rochd et Ibn Sina par Hegel. (…) L’indépendance de l’esprit arabe a été kidnappée par la culture orientaliste européenne. (…) Quand Obama est venu au Caire, il a parlé de la protection des minorités comme s’il parlait des pandas! «les défis d’aujourd’hui». Ce sont la science et la technique, et pas la métaphysique. Nous étions ouverts sur toutes les cultures. C’était l’âge d’or. Nous étions producteurs des sciences(…)» (13)

Pourquoi, alors admettre comme parole d’évangile  la doxa occidentale qui prend sa source dans l’orientalisme dont le regretté Edward  a dit tout le bien dans son ouvrage magistral «  l’Orientalisme » , Eric Geoffroy Younes professeur à l’université de Grenoble les Orientaux  s’interroge  sur ce qui empêcherait les intellectuels de porter un regard critique sur la production intellectuelle occidentale  en  pratiquant par réciprocité  « l’occidentalisme » (al-istighrâb), pour donner le change aux orientalistes et à leur orientalisme  ? (14).

Les ingérences  occidentales composantes du malheur arabe

Il est indéniable que les puissances occidentales n’ont jamais cessé de diviser les Arabes en jouant sur les sensibilités  ethniques et religieuses. Ainsi les médias main stream ne s’arrêtent de se lamenter sur le sort des Chrétiens d’Orient qui souffrent à la fois de la folie intégriste échappée de la boite de Pandore ouverte par l’Occident  qui en venant avec ses grands sabots et son napalm venir faire voler en éclat des équilibres millénaires entre ethnies entre religions entre cultes différents au sein de l’Eglise. Pour rappel la clé du Saint Sépulcre  remise par Salah Eddine Al Ayoubi a été remise une famille palestinienne depuis  plus de 800 ans  qui la garde et la remet aux  différents rites  nestoriens grecs arméniens  lors de la visite de  l’Eglise de la nativité chacun à son tour.

Hayat al Huwik Atia, journaliste libanaise de confession maronite, interpellant le pape lors de son voyage en Israël déclare:

«L’église d’Orient refuse d’être entraînée dans le processus de judaïsation de l’Occident chrétien. (…)Votre Sainteté le pape, sachez que je suis une chrétienne arabe! (…) Par conséquent, cela ne m’empêche pas de vous rappeler ma fierté d’appartenir à cette terre arabe. Cette terre est le berceau de toutes les Religions et de toutes les Révélations monothéistes. (…) La deuxième raison est que c’est l’Occident qui agit depuis des décades contre le Monde arabe pour saper cette cohésion sociale et religieuse dans le Monde arabe. (..) En conséquence, sachez que nous – Arabes chrétiens – ne sommes une minorité en aucune façon, tout simplement parce que nous étions des Arabes chrétiens avant l’Islam, et que nous sommes toujours des Arabes chrétiens après l’Islam. La seule protection que nous cherchons est comment nous protéger du plan occidental qui vise à nous déraciner de nos terres et à nous envoyer mendier notre pain et notre dignité sur les trottoirs de l’Occident.» (15)

Les périodes de tolérance réciproque: La déconstruction de la doxa occidentale

Il ne faut pas croire que ce fut une guerre totale et continuelle ; il y eut des monarques éclairés qui prônèrent l’altérité.

Il en est ainsi de Roger II de Sicile et de Frederic II « Roger II de Sicile (22 décembre 1095 – 26 février 1154) lit-on sur Wikipédia est le second fils du Grand comte Roger de Hauteville, premier comte normand de Sicile, et d’Adélaïde de Montferrat. Fondateur du royaume de Sicile (1130), Son union avec Béatrice de Rethel donnera une fille, constance, qui enfantera Frédéric II, roi de Sicile et empereur germanique. L’une des caractéristiques du règne de Roger II réside dans le brassage unique des cultures, dont il fait de la Sicile une plateforme de tolérance. Peu au goût des autres États d’Occident dans un contexte de croisade, ce sont pourtant tous les domaines qui vont bénéficier de cette ouverture. Tandis que les Assises d’Ariano (1140) sont d’inspiration aussi bien byzantine qu’arabe, la cathédrale de Cefalu et la chapelle palatine incarnent cette alliance somptueuse entre les influences occidentales et orientales par les peintures, mosaïques, boiseries qui content la chrétienté comme l’histoire de Roger II. » (16)

« La cape de couronnement de Roger II, elle-même le produit de tisserands byzantins, en est un autre reflet par ses broderies qui comporte des inscriptions arabes, mais le joyau en demeure la mappemonde d’al-Idrîssi, cartographe originaire de Ceuta, qui représente le monde connu de cette époque avec une précision inégalée. À la cour de Palerme, Roger II attire auprès de lui plusieurs personnages de grand renom, comme le cartographe arabe Al Idrissi. Ce dernier s’installe à Palerme en 1139, et entreprend à la requête de Roger II, une enquête qui durera dix-huit ans. Cette oeuvre, le « Livre du roi Roger » (al-Kîtab al-Rudjâr) est rédigée en arabe, à la gloire du roi normand, et achevée probablement à la mi-janvier 1154. Roger II fait preuve d’une tolérance absolue envers les diverses croyances, races et langues de son royaume. »  (16)

Frédéric II, élevé en Sicile, avait développé une admiration pour l’islam, qui y était encore très présent après trois siècles d’occupation musulmane et malgré la présence normande qui lui succéda pendant deux siècles. Son islamophilie allait plus loin que la politique d’alliance que pratiquaient les rois de Jérusalem, car elle s’appliquait également aux sciences et à la civilisation islamiques ; elle masquait également une politique antipapiste et anticléricale. Il frappa monnaie avec une double inscription en arabe et en latin.

Frédéric II de Hohenstaufen ou l’islam européen…

Pierre Dortiguier parlant de Fréderic II va jusqu’à parler d’islam européen et voit une parenté intellectuelle entre la politique actuelle de l’Allemagne de Mme Merkel et celle de son illustre prédécesseur :

« (…) A cet égard, le genre humain est bien unique, à considérer la hauteur, mais la marche vers le bas est entraînante et certains Allemands ont vu dans l’islam un point sublime, et dans l’immigration justement un problème à poser et à régler. Telle se conduit l’Allemagne d’aujourd’hui, dans sa profondeur – qui est une manière de préserver la hauteur naturelle – et s’est conduite selon son modèle l’empereur Frédéric II. Chacun sait qu’il savait l’arabe, à admettre ce que les historiens nous en disent et à accepter la chronologie que quelques esprits indépendants en Europe contestent. L’Empire continental, comme l’Allemagne d’aujourd’hui, qui ne veut pas dépenser des millions pour partager la Libye, introduire la guerre intestine dans tous les Etats musulmans, ne veut qu’unir des voisins. (…) » (17)

« Frédéric II avait entrevu notre problème : il avait donné aux immigrants arabes de chez lui une terre, près de Naples avec un commandement à eux ; pas question d’interdire le foulard, le hidjeb ; tout était autonome. (…) A la cour de Sicile trônait Frédéric II, avec ses savants, ses lettrés, ses mystiques arabes et autres. Il avait refusé de participer à la 6e croisade, alors qu’il l’avait acceptée pour lever l’excommunication contre lui, puis avait obtenu des musulmans d’Egypte la reconnaissance de son titre de roi de Jérusalem. (…) Et si l’on vous dit que l’islam n’a pas de racines européennes, pensez que ce musulman impérial fut déclaré le premier européen par Nietzsche et que l’Europe vient d’en haut, d’un point unique qui reste encore à fixer. » (17)

La Sicile islamique : une société multiculturelle et un modèle de tolérance

Dans cette frontière Orient -Occident la Sicile a joué le rôle de trait d’union au tournant du millénaire Il est connu que la Sicile a été le théâtre de plusieurs litiges et batailles. Néanmoins il est utile de signaler que bien avant les croisades qui ont débuté le 27 novembre 1095 à l’issue du concile de Clermont, le pape Urbain II s’adresse aux évêques, pour demander d’aller au secours des chrétiens orientaux Nous lisons :

« (…) Ces Turcs détruisent les églises ; ils saccagent le royaume de Dieu. Si vous demeuriez encore quelque temps sans rien faire, les fidèles de Dieu seraient encore plus largement victimes de cette invasion. Aussi je vous exhorte et je vous supplie – et ce n’est pas moi qui vous y exhorte, c’est le Seigneur lui-même  de se rendre à temps au secours des chrétiens et de repousser ce peuple néfaste loin de nos territoires.  À tous ceux qui y partiront et qui mourront en route, que ce soit sur terre ou sur mer, ou qui perdront la vie en combattant les païens, la rémission de leurs péchés sera accordée. Et je l’accorde en vertu de l’autorité que je tiens de Dieu ».  (18)

Pourtant à en croire les chroniqueurs l’entente entre les trois religions était proverbiale aussi bien dans l’Espagne musulmane notamment à Cordoue que dans les autres provinces musulmanes La publication suivant abonde dans ce sens :

« Si l’appartenance de la Sicile à l’Occident peut aujourd’hui sembler aller de soi, elle n’en a pas moins constitué de 831 à 1071 un des hauts lieux de développement de la culture musulmane. Dans les villes et les campagnes siciliennes cohabitaient alors des communautés d’une diversité tout à fait exceptionnelle. Ni les Aghlabides ni les Kalbites ne cherchèrent à imposer systématiquement l’islam et la culture arabe aux populations indigènes. (…)  Les minorités – qu’elles soient grecques, lombardes, berbères ou juives – étaient regroupées par communauté religieuse et se voyaient octroyer un statut juridique à la fois inégalitaire et protecteur, celui de dhimmi. Le paiement d’une capitation – la jizya – et la loyauté à la dynastie en place étaient récompensés par la reconnaissance d’une certaine autonomie religieuse »( 18)

« On constate ainsi qu’un évêque catholique était présent aux côtés de l’émir musulman à la cour de Palerme. En y regardant de plus près, on observe d’ailleurs qu’une certaine souplesse régnait quant à l’application des règles coraniques censées organiser la cohabitation islamo-chrétienne. Le voyageur Ibn Hawqel, s’offusquait en effet de l’adoption courante de la religion chrétienne par les enfants des couples mixtes réunissant une femme chrétienne et un homme musulman (…) Plus précisément, Henri Bresc note que « les femmes et les filles maintiennent des lignées féminines de foi différente de celle de leurs maris et de leurs frères ». On a ainsi l’impression d’une certaine cohésion sociale au sein d’une population plurielle, ayant pour ciment la fidélité politique à l’Emirat kalbite et au Califat fatimide.(18)

Il n’y avait donc pas de persécutions et d’empêchement pour le chrétien ou le juif de suivre sa propre religion. Cette harmonie à laquelle on ne peut qu’adhérer n’est pas passé de mode même si la situation actuelle s’apparente à ce que Hobbes disait : « l’homme est un loup pour l’homme » et qu’elle débouche sur la guerre de tous contre tous. Pourtant rien n’est irrémédiable, rien n’est irréversible Il n’est pas interdit de rêver à un ré-enchantement du monde à l’instar du sacerdoce d’Amine Maalouf à travers ses merveilleux romans.

Les relations Orient-Occident

Devant l’anomie actuelle du monde, on est droit de se poser la question s’il en a été toujours ainsi entre l’Occident et l’Orient :

« compliqué » . Pour articuler mon plaidoyer je fais appel à Dans son discours à l’académie française Amine Maalouf écrivain éclectique  écrit : « (…) Quand on a le privilège d’être reçu au sein d’une famille comme la vôtre, on n’arrive pas les mains vides. Et si on est l’invité levantin que je suis, on arrive même les bras chargés. Par gratitude envers la France comme envers le Liban, j’apporterai avec moi tout ce que mes deux patries m’ont donné : mes origines, mes langues, mon accent, mes convictions, mes doutes, et plus que tout peut-être, mes rêves d’harmonie, de progrès et de coexistence. Ces rêves sont aujourd’hui malmenés. Un mur s’élève en Méditerranée entre les univers culturels dont je me réclame. Ce mur, je n’ai pas l’intention de l’enjamber pour passer d’une rive à l’autre. Ce mur de la détestation – entre Européens et Africains, entre Occident et Islam, entre juifs et Arabes -, mon ambition est de le saper, et de contribuer à le démolir. Telle a toujours été ma raison de vivre, ma raison d’écrire, et je la poursuivrai au sein de votre Compagnie. » (19)

A sa façon Amine Maalouf nous remet en mémoire le monde de l’an 1I00 avec les Croisades, le monde de la Reconquista au début du XVIe siècle avec Léon L’Africain et les récits d’un Maghreb aux prises avec l’invincible armada qui termina sa course en 1541 dans l’oued El Harrach. Ce sera aussi Samarcande qui nous raconte en creux l’histoire d’un manuscrit, celui des « Robaïates el Khayyâm, manuscrit perdu autour duquel s’articule l’histoire de Omar Khayyâm, le sultan Nidham el Moulk Le balafré et sa secte des assassins (Haschachins) véritables kamikazes des temps modernes avec la pulsion de mort à fleur de peau. Samarcande c’est aussi l’histoire des ingérences occidentales dans les affaires de la Perse avec les mêmes acolytes, l’Angleterre la France, mais aussi la Russie tsariste. C’est aussi l’agonie de l’Empire ottoman dont l’acte de décès sera signé par Sykes et Picot. (19)

Pour Amine Maalouf, l’Occident « est infidèle à ses propres valeurs », ce qui le disqualifie auprès des peuples qu’il prétend acculturer à la démocratie. Sa tentation : préserver par la supériorité militaire ce que ne lui assure plus sa supériorité économique ni son autorité morale. Bien avant Amin Maalouf, l’Emir Abdelkader dans « El Maoukef » écrivait à propos de la défaite de la pensée en Occident : « Plutôt que d’interroger, nous nous interrogeons sur l’avenir de l’homme en général et de l’Occident en particulier puisque c’est lui qui dominera le monde matériel. Cet Occident est malade de son intelligence. Il a beau être savant, il n’arrive pas à saisir une vérité essentielle tant il est vrai qu’il est assoiffé de conquête et de pouvoir, aveuglé par l’illusion de sa puissance, prônant l’argent pour Dieu. »  Le philosophe René Guénon, à son tour, dans les années 1920 du siècle dernier, avait pointé du doigt l’inanité d’un Occident pétri de certitudes.  « travailler et préparer cette entente, c’est aussi s’efforcer de détourner les catastrophes dont l’Occident est menacé par sa propre faute ». » (19)

Amine Maalouf situe l’acmé des antagonismes civilisationnels au déroulement tragique des huit croisades. Dans « Les Croisades vues par les Arabes » il raconte le point de vue des Arabes sur les Croisés et les croisades, pendant deux siècles entre 1096 et 1291. Il raconte les pillages et les massacres perpétrés par les Franjs.   C’est un ouvrage salvateur car il donne un autre son de cloche que celui de dépeindre les musulmans sous un jour couleur de soufre comme le martèle depuis mille ans l’Eglise jusqu’à l’aggiornamento de Vatican II ouvert par Paul VI et promptement fermé par Jean-Paul II puis Benoit XVI avec le nouveau concept du monde judéo-chrétien maintenant que les juifs ne sont plus déicides et que l’islam devienne le tiers exclu de la révélation abrahamique. (16)

Pour Amin Maalouf : « l’incompréhension entre Occident et monde arabo-musulman se creuse. Les relations entre l’Occident et le Monde arabe sont conflictuelles depuis très longtemps, et les croisades constituent en quelque sorte l’événement de référence qui symbolise cet affrontement. Mais ce n’est qu’un symbole. Nos contemporains, qu’ils vivent au nord ou au sud de la Méditerranée, connaissent peu les événements qui se sont produits en ces temps fort anciens ; tout au plus se souvient-on de personnages tels que Saladin ou Richard Coeur-de-Lion. En revanche, chaque fois qu’on assiste à un conflit qui semble impliquer les mêmes protagonistes, ou les mêmes lieux, certains sont tentés d’évoquer les croisades. (…) Les historiens rigoureux savent pourtant que les Arabes et les Juifs ne se sont jamais affrontés au temps des croisades, et qu’ils étaient plutôt alliés contre les croisés ; ces derniers ont même commencé leur marche vers la Terre sainte par un massacre des communautés juives d’Allemagne. Mais peu de gens se soucient des vérités historiques » (16)

Accepter les valeurs de l’Occident ou végéter: Albert Memmi dixit

Que doivent faire les Arabes pour sortir des temps mort ? Albert Memmi écrivain connu pour son «Portrait du colonisé» a la solution. Il pense qu’il  faut une séparation nette de la religion et de l’Etat:

«(…) En ce qui concerne le monde arabe, il en va différemment. Il existe à l’origine une forte culture; mais elle est fossilisée. Chaque fois que vous parlez avec un intellectuel arabe, il vous cite Averroès, qui est du XIIe siècle! Alors qu’il faudrait aborder courageusement la modernité; alors qu’il y a, au contraire, des ruptures à réaliser les intellectuels arabes n’ont pas su, ou pas voulu, prendre radicalement leurs distances avec le système. (…) En Europe, Il a fallu une séparation nette de la religion et de l’Etat. Le lien entre la religion et la société est ancré dans les mentalités et l’inconscient arabes. Sans esprit critique, vous ne pouvez pas avoir devant la nature la liberté de pensée indispensable pour pouvoir la maîtriser ». (20)

« Vous connaissez, poursuit Albert Memmi  la fameuse phrase de Pasteur, grand catholique: «Quand j’entre dans mon laboratoire, je laisse mes convictions au vestiaire.» On verse au compte de la civilisation arabe ce qui fut en réalité une symbiose réussie entre conquérants et conquis. Cette donnée explique en partie pourquoi cette culture a culminé en un «âge d’or», mais n’a pas pu durer. Puisqu’il y a eu deux sociétés mythiques, l’Andalousie et Baghdad, dans lesquelles tout est, rétrospectivement, supposé parfait, il suffit de s’en réclamer. (…) L’aventure de l’Europe n’a pas été commode: elle est passée par les bûchers et la condamnation de Galilée. Mais, en fin de compte, l’Europe a triomphé de ses propres démons. Même si la colonisation a constitué un scandale économique, politique et culturel, les peuples du tiers-monde, y compris les peuples arabes, n’ont pas d’autre choix que d’accepter les valeurs de l’Occident.» (20)

Conclusion

Barbarie, Fatalisme, Archaïsme, Terrorisme. Autour de quelques idées fortes en -isme-, la représentation occidentale des musulmans semble figée à travers les temps. La responsabilité sarrasine est évoquée déjà  par la Chanson de Roland. Ce texte fondateur de la littérature française d’un épisode qui se serait  déroulé à Roncevaux dans la moitié du septième siècle a été « conçu au XIIe siècle dans le sillage de l’atmosphère des croisades  – cinq siècles après-, a figé dans le marbre le regard porté sur l´Islam. Pourtant il a été admis par la suite, que on sait que Roland a été tué par des Basques.  Il en résulte un discours empreint de préjugés millénaires. De l´expression «gentem perfidam sarracenorum» (la nation perfide des sarrasins), utilisée dans la première moitié du VIIIe siècle en Occident à l´étiquette «les Arabes, peuple brigand» écrit par Montesquieu dans «De l´esprit des lois», les Arabes synonymes de musulmans chez les Occidentaux, sont perçus comme étant un danger pour le monde chrétien. Plusieurs siècles après, ce discours n´a pas pris un pli. Le sarrasin est remplacé par le terroriste.

Nezzar Kabbani immense poète d’une Syrie qui n’en finit pas de gémir  adit un jour que « le malheur des Arabes c’est un interminable 1492 ».   Il a raison , les Arabes sont encore dans le rêve alors que le monde a profondément changé ! Albert Memmi dit vrai   : «Les Arabes vivent dans le passé, nous surfons sur des vagues qui ne nous appartiennent pas.» Ainsi, la mort de Ahmed Zewail, seul prix Nobel de Chimie arabe américain né égyptien est passée inaperçue passe encore dans les médias occidentaux- c’est de bonne guerre- mais surtout dans les médias arabes encore soumis intellectuellement à  la grille de lecture  occidentale des évènements et de l’information occidentale  Ce qu’il faudrait peut être ajouter est que la solution réside aussi dans la non ingérence occidentale   Cependant, les choses ne sont pas simples, le malheur des Arabes est le pétrole qui, en attisant les convoitises permet aux nations occidentales de maintenir le statu quo à demeure avec des dirigeants aux ordres. Les printemps arabes n’étaient que du vent et seule une révolution endogène basée sur l’éducation et le savoir permettra de rattraper le train de la science.

La civilisation islamique a sa place parmi les grandes civilisations. Ceux qui l’ont portée aux nues étaient musulmans,  mais aussi juifs, zoroastriens, chrétiens.  Bref des  arabes, des assyriens, des perses, des phéniciens et palestiniens qui se sont épanouis à l’ombre de l’islam et d’une langue qui a connu ses heures  de gloire. Les Arabes  sont un peuple ni meilleur ni pire que les autres.  Les Arabes n’étaient qu’une composante  de la civilisation islamique mais le  vrai miracle de la langue arabe est qu’elle a été la langua franca pendant des siècles. Un seul  bémol,  le sort actuel des peuples arabes n’est pas du ni à la langue encore moins à l’islam mais à leur dirigeants qui se sont installés dans les temps  morts,  pour l’éternité  avec la complicité active de l’Occident mais ceci est une autre histoire

Professeur Chems  Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger

 

1.Ahmed Bensaada : Au temps béni des coalitions 18 décembre 2015

2.Nasr Boutammina : L’Islam Fondateur de la Science « La Renaissance et les Lumières : les siècles de plagiat ». Editions El Bouraq, Paris. 2006.
3. Aristote au Mont Saint Michel Encyclopédie Wikipédia

4. Chems Eddine Chitour http://www.lexpressiondz.com/article/0/0-0-0/39110.html

5.Jacques Berque: http://www.islam-fraternet. com/maj-0598/berq.htm

6.Chems Eddine Chitour :La civilisation islamique et le savoir universel: Le déni des idéologues intolérants http://www.mondialisation.ca/la-civilisation-islamique-et-le-savoir-universel-le-deni-des-ideologues-intolerants/5377724

7.Anatole France : la vie en Fleur. Ed. Calman-Lévy, 1922, dans Abdelkader Benarab L’Islam et l’Europe Le Quotidien d’Oran le 25/05/2006

8. René Breton. Géographie des civilisations. p.80. Editions . P.U.F. Paris, 1987.

9.Lamine Kouloughli : Image de l’Ecole coloniale Revue de l’Institut des Langues Etrangères. Université de Constantine. p. 59 ; Janvier 1994.

10.Chems Eddine  Chitour http://www.millebabords.org/article. php3?id_ article=5257

11 Mostefa Lacheraf .L’Historien Maghrébin et les siens : une lecture d’Ibn Khaldoun dans Ecrits didactiques.p.193-194 .Edition ENAP .Alger. 1988.
12.Marcel Schneider rapporté par Christian Lochon Site Oumma.com mardi 29 juin 2004

13.Georges Corm Interveiw par Faycal Métaoui http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache: l7jOAaonTCMJ:www.siladz.com/conference-presse-george corm.html+le+nouveau+ gouvernement+du+monde+georges+ corm&cd=34&hl=fr&ct=clnk&gl=fr

14. Eric « Younès » Geoffroy Le regard de quelques auteurs musulmans sur l’orientalisme français (partie 1/2) Site Oumma.com 25 juillet 2003

15. Hayat al Huwik Atia: Lettre ouverte http:// liberation-opprimes.net/ 24 mai 2009  dans C. Eddine  Chitour : Les chrétiens d’Orient veulent rester arabes Mondialisation.ca 23 09 2012

16.  Roger II de Sicile Encyclopédie Wikipédia

17. http://www.dortiguier.fr/Frederic-II-de-Hohenstaufen-ou-l.html

18. http://www.lesclesdumoyenorient.com/ La-Sicile-islamique.html

19. Chems Eddine Chitour http://www.mondialisation.ca/lecrivain-amine-maalouf-le-forgeron-des-mots-chantre-de-la-tolerance-occident-orient/5513712

20..Albert Memmi : Les Arabes Interview par Christian Makarian LíExpress du 14/06/2004

 

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