Les BRICS, ce nouveau Veau d’Or ?
Le sommet des BRICS vient de se terminer hier à Kazan en Russie. S’il confirme l’intérêt de nombreux pays pour une autre vision du monde, la question centrale reste de savoir si les BRICS ont la capacité et la volonté de construire ce nouveau monde ou si cette organisation n’est pas finalement une énième structure globaliste régionale. Le refus de la Banque des BRICS d’investir en Russie et le « plan de paix » soutenu obligent à la prudence.
Les BRICS sont présentés comme cette force nouvelle, qui va assurément balayer de la volonté « souveraine » de ses membres le système de la globalisation. Les Etats-Unis en ont soi-disant peur, les « pro-russes » applaudissent à s’en rompre les bras. Cela ne se discute pas. Amen !
C’est le moment d’y regarder de plus près. Sans entrer dans tous les détails, deux éléments sont particulièrement significatifs et devraient faire réfléchir, ceux qui se cherchent une nouvelle idole à adorer.
La banque des BRICS opère conformément aux restrictions atlantistes
La Banque des BRICS, sur laquelle repose l’espoir d’un système financier plus « juste », plus « équitable », tient pourtant une étrange position : pas d’investissements en Russie pour éviter de tomber sous sanction et ne pas violer les règles globales. C’est le discours ferme tenu par sa nouvelle présidente, grande amie de la Russie – What else ?, Dilma Roussef, ancienne présidente du Brésil. Le « Sud global » est bien global, plus que géographique.
La banque des BRICS, appelée Nouvelle banque de Développement (NBD), a été instituée en 2014 en grande pompe comme une alternative au FMI. Son siège est à Shangaï. Elle doit financer des projets dans les pays membres, mais pas pour tous : uniquement pour ceux autorisés par le système global. Comme le déclare Dilma Roussef :
La NBD confirme qu’elle n’envisage pas de nouveaux projets en Russie et qu’elle opère conformément aux restrictions actuelles sur les marchés financiers et internationaux des capitaux. Toute hypothèse contraire est infondée.
Rien à dire, c’est une position combative face à la globalisation, une certaine vision, voire une vision certaine d’un système financier plus juste … Surtout en respectant les restrictions imposées pour raisons idéologiques.
Le ministère des Finances russe a mis au point avec cette banque des mécanismes, afin de relancer l’investissement en Russie, mais qui ne seront pour l’instant pas mis en pratique. Ainsi, la logique de fonctionnement de cette institution est exactement la même que celles, qui en toute honnêteté, se reconnaissent globalistes.
Le plan de paix brésilo-chinois: un clone du projet Stoltenberg
Juste avant le début du sommet des BRICS, le porte-parole du Kremlindéclare que l’Ukraine n’est pas à l’ordre du jour. Mais le Président chinois l’ayant réintroduite de force, Peskov a tenté après le sommet de minimiser l’impact en déclarant que les pays des BRICS commencent à mieux comprendre la position russe et qu’il ne s’agissait pas d’un thème central. (Voir mon commentaire pour RT ici)
D’où vient ce malaise ? Du fait que le plan « brésilo-chinois » est parfaitement atlantico-compatible. Pour le comprendre, revenons un peu sur la foire aux « plans de paix », qui s’enchaînent et se ressemblent fortement. L’on en retiendra trois principaux : celui de Stoltenberg / OTAN, celui de Volker / Trump et celui de la Chine. Ils ont en commun la cessation immédiate des hostilités, la fixation de la ligne de front et … la non-reconnaissance des territoires entrés en Russie.
Les plans américains sont plus explicites quant aux conséquences. Le plan Stoltenberg / OTAN prévoit la défaite de la Russie par la méthode RDA. Autrement dit, après la fixation de la ligne de démarcation et la fin des combats, il restera un sujet « Ukraine » indépendant de la Russie, qui pourra alors être intégré dans l’OTAN dans les frontières qui sont de facto contrôlées par les Atlantistes, où l’art. 5 s’appliquera. Le reste du territoire jusqu’à la Crimée sera considéré comme occupé par la Russie. Ceci constituera la défaite de la Russie, puisque l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN et à terme l’entrepôt d’armes nucléaires mettra en danger augmenté sa sécurité, ce justement contre quoi elle avait lancé l’Opération militaire en février 2022. Le plan Volker / Trump n’est pas fondamentalement différent en prévoyant le scénario coréen. Il prévoit simplement un transfert de l’armement et de la charge sur les Européens et la juridiction de l’OTAN et de l’UE sur le territoire de factocontrôlé, sans reconnaissance des territoires entrés en Russie. C’est d’ailleurs en substance, ce « plan » que le très souverainiste Orban trimbalait dans sa tournée « de paix ».
Le plan chinois reste dans cette logique, puisqu’il en garantit les fondements : le gel du conflit le long de la ligne de front. Le 23 mai 2024, le Brésil et la Chine signent un memorandum donnant vie à ce « plan de paix », qui ne reconnaît pas non plus le droit national russe, puisqu’il ne reconnaît pas l’entrée des nouveaux territoires dans la Fédération de Russie et reste dans la logique globaliste de la suprématie de la communauté globale sur la souveraineté nationale.
En réponse, le Président russe présente les lignes indiscutables : reconnaissance des frontières administratives et non de facto de ces territoires entrés en Russie; garanties pour la non-entrée de l’Ukraine dans l’OTAN; sa démilitarisation; changement des élites. Le problème est qu’en étant réaliste, ce plan n’est réalisable, que si la Russie contrôle le territoire ukrainien. Et c’est justement ce que tous ces « plans de paix » globalistes veulent éviter. Car cela impliquerait la victoire de la Russie et leur défaite.
Dans la foulée, la Chine lance une nouvelle plateforme (puisque celle de Genève n’a pas marché), celle des « amis de la paix ». Mais sans préciser de quelle paix il s’agit : celle de la paix des Nations ou celle de la Pax Americana. Un indice apparaît en faveur de la deuxième option : une rencontre est organisée ce 29 juillet au siège de l’ONU à New-York, après que Sullivan, en charge des processus de paix concernant l’Ukraine, soit allé en Chine. A cette rencontre « pour la paix » ont pris part les pays des BRICS (sauf l’Inde et la Russie), avec l’Algérie, le Mexique, la Bolivie, l’Egypte, la Zambie, l’Indonésie, la Turquie, le Kazakhstan. Ont été invitées la Hongrie, la France et la Suisse. Ainsi, les « amis » africains et sud-américains ont rejoint les amis asiatiques, l’espace post-soviétique repris en main est ici instrumentalisé. Notons une reconnaissance pour bons services à la Hongrie. Le tout avec la France, qui lance le mouvement d’une intervention militaire en Ukraine et la Suisse, qui gère les plateformes de paix. Même avec beaucoup de bonne volonté, il est difficile de voir ici une alternative …
Ces « amis » imposent ainsi à la Russie l’ordre du jour atlantiste, puisqu’ils défendent en réalité la Pax Americana. En permettant le gel du conflit, sans qu’il soit objectivement possible pour la Russie de garantir sa sécurité, ils ouvrent la porte à la réalisation des plans de Stoltenberg ou de Trump, ce qui montre bien par ailleurs que l’issue des élections américaines n’aura que peu d’incidence sur le front ukrainien pour la Russie.
Les BRICS ont une certaine potentialité, dans la mesure où leurs élites nationales sont réellement prêtes à ne pas jouer selon les règles atlantistes. Ce n’est pas l’institution des BRICS qui changera les choses, mais les forces politiques dans ces pays. Pour que cette ligne progresse, il serait bon d’arrêter de s’étourdir en dansant autour de ce nouveau totem. Il faut en revanche construire de véritables instruments alternatifs, qui ne peuvent s’appuyer que sur des pays, où les élites sont véritablement souveraines. Et ils sont très très peu aujourd’hui. Sans créer et favoriser l’émergence de ces élites, on tournera toujours en rond. En changeant simplement de Totem.
Karine Bechet-Golovko